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Le défi technologique de Bouygues

En choisissant l’i-mode aux dépens du WAP, Bouygues Telecom va devoir relever un pari risqué : imposer un modèle économique basé sur une technologie minoritaire.

WAP ou i-mode ? Quel format de données pour l’interactivité sur les téléphones mobiles ? A priori, la réponse pourrait être simple : le WAP a été un échec en Europe et l’i-mode est un succès au Japon. On comprend donc que le ” bon sens ” de Martin Bouygues l’ait poussé à choisir l’i-mode après un voyage d’études au Japon.Annoncé en fanfare comme le moyen de créer un nouveau modèle économique ?” et, ce n’est pas accessoire, d’augmenter les revenus par abonné de Bouygues Telecom ?” l’i-mode porte pourtant en lui les germes de son échec : sa spécificité.Le WAP n’est pas une technologie mature, personne n’en disconviendra, mais c’est une technologie dominante. Pour faire un parallèle, peut-être hasardeux, certains produits de Microsoft ne sont pas matures, ils se sont pourtant imposés. Et tous ceux qui ont essayé de s’y attaquer ont disparu de la circulation.Aujourd’hui, Bouygues fait le pari de baser une partie de son modèle d’affaires sur une technologie minoritaire. Car si l’i-mode a fonctionné au Japon, c’est peut-être qu’il constituait une technologie incontournable, soutenue par un acteur quasi monopolistique.On vante souvent la standardisation de l’i-mode. C’est un fait, mais une telle standardisation est dix fois plus facile à obtenir lorsque vous vous appelez NTT DoCoMo et que vous pouvez imposer vos standards, à vos fabricants de téléphones comme aux éditeurs de services.En France, Bouygues se trouvera dans la situation contraire, mais la technologie sera déjà standardisée. Par contre, les problèmes technologiques seront légion. Trouver des téléphones, déjà, comme l’écrivait 01net. Mais pas seulement.Les téléphones i-mode sont plus chers que les téléphones WAP et Bouygues Telecom ne pourra pas arguer d’achats de masse pour pousser ses fournisseurs à baisser leurs prix. Et vu la clientèle visée (les jeunes en majorité), l’opérateur ne pourra pas non plus vendre lesdits téléphones trop chers. Conclusion, il devra les subventionner à outrance et donc perdre ?” au moins provisoirement ?” beaucoup d’argent.Autre problème : convaincre des éditeurs de rendre leurs contenus compatibles avec l’i-mode. Bouygues Telecom représentera au maximum 20 % des utilisateurs français de téléphones portables. Dans les premiers mois, il ne pourra pas espérer que plus de 10 % de ses abonnés passent à l’i-mode. Surtout que les consommateurs changent leur téléphone moins souvent qu’avant : tous les 27 mois contre tous les 24 mois l’année dernière.En faisant le calcul, on s’aperçoit vite que seulement 2 % des utilisateurs de téléphones mobiles utiliseront l’i-mode. Ce bassin de clientèle sera-t-il suffisant à pousser les grands fournisseurs de contenus à développer des sites i-mode ? Ce n’est que dans 18 ou 24 mois que nous saurons si le groupe Bouygues a réussi son défi : bâtir un vrai modèle économique autour d’une technologie minoritaire.Beaucoup de sociétés se sont cassé le nez à ce jeu, que ce soit sur le Web ou dans le domaine plus générique de l’édition de logiciels. Mais peu avaient les moyens extraordinaires de ce groupe : une machine marketing parfaitement huilée et une aussi forte image d’innovateur.* Grand reporter au Nouvel HebdoProchaine chronique vendredi 10 mai

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Alain Steinmann*