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La tentation de Maurice

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

Lecteurs lambda, passez votre chemin : cette semaine, ma chronique ne s’adresse pas à vous. Et ne faites surtout pas l’erreur d’envoyer un courrier de protestation au journal pour qu’il me le fasse suivre. Je déchire impitoyablement toute missive critique, sans même l’ouvrir. Comment puis-je deviner ? Simple : si le bruit des applaudissements ne traverse pas l’enveloppe, c’est que vous manquez d’enthousiasme, ou même pire. Je m’épargne donc cette rare douleur en vous prévenant qu’aujourd’hui, tel un chef de guerre afghan, je vous trahis momentanément. Au profit des vainqueurs du jour : les journalistes, dont je dépends totalement en tant que directeur de la communication d’un groupe de nouvelles technologies, prêt à tout pour séduire la presse. Les journalistes, dont je sais qu’ils lisent régulièrement Le Nouvel Hebdo pour lui piquer les infos qu’ils n’arrivent pas à trouver sur le terrain. Ou pour se payer chaque semaine ?” moyennant 15 modestes francs ?” un stage de formation à la net économie, à laquelle ils ne comprennent rien. À tous ces journalistes, dont l’humeur est le saint-baromètre devant lequel je me prosterne soir et matin, je demande cette faveur : s’il vous plaît, ne séchez pas la prochaine conférence de presse de mon groupe. Venez nombreux, ou je perdrais mon job ! Car Roland, le boss, vient de balancer sa nouvelle fatwa : “Il faut mettre le booster sur la com’. Débrouillez-vous, sinon vous serez tous bons pour le plan social dans un mois !” Je lui ai expliqué qu’on ne pouvait pas convoquer la presse sans avoir quelque chose à lui vendre, et que de ce côté-là, c’était Waterloo morne plaine…“Ah bon ? Et tous nos projets ? Et nos nouvelles perspectives de développement ? nos derniers sites révolutionnaires ? C’est ainsi que tu les juges ? C’est comme ça que tu vois la boîte ? Tu sais, si on ne te plaît pas…” Allais-je lui répondre que la seule chose qui me plaît chez lui, c’est le salaire qu’il me verse ? Certes non, mais comment vous intéresser, chers journalistes (très chers parfois, notre budget pots-de-vin en témoigne) à ces projets hypothétiques, à ces perspectives fumeuses, et à ces sites qui n’innovent que dans le secteur du plagiat ? Comment vous passionner, sinon en vous conviant à un énième voyage de presse à l’île Maurice, qui creuserait notre déficit alors que je suis censé vous vendre des lendemains qui chantent ?Un seul moyen : vous faire l’annonce ?” spectaculaire ?” de… notre faillite. Mais pour ça, je vais encore vous faire attendre un peu : je ne sortirai ce joker de ma manche qu’après avoir vendu les actions que Roland m’a données. Très bientôt, donc. En attendant, si vous parlez de nous et que votre prose fait monter les cours, je saurai me montrer généreux. Alors, croyez-moi, les quelques jours à l’île Maurice dont vous rêviez vous sembleront aussi cheap qu’un séjour de SDF à Sèvres-Babylone (ligne 12). Je vois que vous m’avez compris… La semaine prochaine, j’annoncerai donc à mes lecteurs lambda que le groupe se porte bien. Ils me croiront, bien entendu. Ils m’enverront même des lettres de félicitations. Comment rester plus dune semaine infidèle à des gens pareils ?

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La rédaction