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La délicate gestion de carrière des cadres à haut potentiel

Pour préparer la relève, constructeurs et SSII consacrent beaucoup d’énergie à détecter, puis à couver leurs futurs cadres dirigeants.

En dépit du ralentissement d’activité dans la high-tech, il est une population qui ne fait pas les frais des réductions budgétaires en matière de gestion des compétences : les cadres à haut potentiel. Aussi appelés “talent managers”, “high pros” ou “hot pots”, ces mystérieux hauts potentiels sont tout simplement les cadres dirigeants de demain. Agés de 30 à 40 ans, issus d’une école prestigieuse ?” X-Telecom, Centrale, Mines, Insead, entre autres ?”, ils changent de poste tous les dix-huit mois environ. Parcours professionnel programmé, suivi de formation personnalisé, attribution de stock options, avantages en nature, opportunités de postes…, ces leaders en puissance font l’objet de toutes les sollicitudes. Si vous répondez à ce profil, vos performances ont certainement été repérées à l’étage de la direction. Il n’est pas dit, pour autant, que votre statut de haut potentiel ait été clairement explicité. Entre culte du secret et transparence, les avis sont partagés sur la pertinence de communiquer la liste des heureux élus. D’un côté, trop de pression peut nuire ; et, en cas d’erreur de casting, l’ex-haut potentiel sera tenté de fuir l’entreprise qui l’a fait roi un jour. De l’autre, le risque de voir partir un haut potentiel, faute de lui avoir dit à quel dessein on le prédestinait, est trop élevé dans un secteur aussi concurrentiel que les nouvelles tecchnologies.

À chacun sa propre définition du leader

Chez Alcatel, le passage au stade de haut potentiel n’est pas officialisé. “Même si les intéressés ont toutes les raisons de s’en douter”, estime Pierre Le Roux. Le DRH du groupe précise toutefois qu’il ne s’agit pas d’un statut irrévocable. “On peut avoir été haut potentiel et ne plus l’être. Il faut aussi le vouloir. Pour emprunter une expression américaine : le cadre est dans le siège du conducteur. C’est à lui de prendre sa carrière en main et d’utiliser, s’il le souhaite, les différents outils que nous mettons à sa disposition.” De fait, le système pyramidal de l’équipementier laisse apparaître une sévère sélection avec un facteur de deux à trois par poste à pourvoir. Les “high potentials” sont deux mille ; les “corporate high potentials” huit cents, et les “corporate executive” de trois cents à trois cent cinquante personnes. Les promotions se décident au cas par cas au sein des comités de carrière (“organisation and people review”), qui ont lieu une fois par an dans chaque division.HP va plus loin dans la transparence. Le géant de l’informatique attribue chaque année une note de 1 à 5 à ses employés, tout comme IBM. En haut de ce classement, les hauts potentiels représentent de 5 à 10 % de l’effectif global, et HP les informe de leur statut. “En revanche, il ne leur est fait aucune promesse ou offre de plan de carrière”, précise François Volpi, DRH Europe des divisions PC et télécoms. Comme chez Alcatel, le haut potentiel est placé devant ses choix. “A lui de saisir les opportunités. Le système de bourse d’emploi interne est transparent. Tout le monde peut postuler, même si un haut potentiel part favori.” Au-delà des signes extérieurs de reconnaissance, chaque entreprise a sa propre définition du “leader”, fondée sur les valeurs de la société. IBM a ainsi défini, onze compétences clés, dont le sens du client, la direction d’équipe ou la capacité à accompagner le changement. “Tous nos processus de formation et de progression de carrière sont basés sur cette grille”, confirme Jean-Louis Michaud, Executive Resources Manager chez IBM France.En plus des fameuses lois du garage (“rules of the garage”), HP a retenu huit compétences à destination de ses cadres, parmi lesquels “penser globalement” ou “valoriser le changement “. Mais pas question de se reposer sur ses lauriers. “Le haut potentiel est évalué sur ses performances actuelles mais aussi futures, via sa capacité à apprendre”, précise François Volpi, qui cite “l’agilité mentale, l’agilité au changement et l’agilité à communiquer “. Des notions empruntées au concept d’intelligence émotionnelle.

Les SSII font preuve de moins de formalisme

Une fois identifié, le haut potentiel peut démarrer son jeu de l’oie, avec, pour première étape incontournable, l’expatriation. Chez Alcatel, IBM ou HP, le contrat est clair. Inutile de prétendre à un poste de direction sans avoir vécu au moins une expérience de mobilité internationale. “Savoir négocier ou manager dans une autre culture est indispensable”, avance Elisabeth Bré, fondatrice du cabinet de recrutement parisien d’Harvey Nash. Pour favoriser l’appel du large, Alcatel a lancé l’an dernier le programme “Go USA “. Deux cent cinquante postes étaient à pourvoir aux Etats-Unis.La mobilité doit aussi être fonctionnelle. “Consulting, serveurs, mainframes… IBM a des activités multiples, rappelle Jean-Louis Michaud. Pour couvrir l’ensemble de l’offre, des processus et des organisations, il faut changer de poste tous les deux ou trois ans, en s’exposant à des problématiques toujours plus éloignées de son champ d’application initial.” Moins regardantes sur le diplôme ou le cursus international, les sociétés de services développent une approche plus souple.Président du directoire de la SSII Sys-com et coauteur de L’entreprise neuronale, Alain Fustec fustige la notion individualiste du haut potentiel, fruit, selon lui, d’une compétition interne stérile. “Trop souvent encore, des chefs de service se glissent des peaux de banane. Leurs énergies s’annulent au lieu de s’additionner.” DRH de Sopra Group, Claude Puppatti prône également le pragmatisme. “En cinq ans d’ingénierie, un chef de projet a managé une dizaine de personnes et couvert divers aspects, aussi bien techniques que budgétaires. Sur cette base, nous lui demandons de développer sa corde commerciale par la vente de prestations ou de progiciels pendant dix-huit à trente mois. A partir de là, s’ouvre à lui la filière management : direction d’agence, de division, puis direction générale.”

Oui à l’informatique si l’on sait en sortir

Dans cette course d’obstacles, les informaticiens de formation partent-ils gagnants ? Oui, semble-t-il… à condition de quitter rapidement leur domaine d’expertise pour se frotter au commercial et au management, les deux piliers d’une progression de carrière fulgurante. “Etre expert ne suffit pas, tranche Elisabeth Bré. Entre un hyperspécialiste peu loquace et un expert de moindre technicité ouvert et bon animateur d’équipe, le choix est vite fait.” Un informaticien ne va toutefois pas se muer en commercial du jour au lendemain, et son parcours doit comprendre des paliers de décompression. “Passer à l’avant-vente, au support ou à la formation permet de conserver son background technique, tout en initiant un contact client.” Directeur d’agence adjoint chez Sopra, Raphaël Thouvenin poursuit ce parcours initiatique. Il met en garde contre les risques de déconvenue. “Il faut sécuriser chaque étape clé et se ménager des voies de retour pour que cela ne soit ni un échec pour Sopra, ni une grande claque pour moi.”Si le management reste la voie royale pour exercer les plus hautes fonctions, des sociétés à dominante services contestent ce diktat. Au-delà de la piste managériale, IBM a ainsi développé deux autres filières d’évolution : la carrière technique pure et celle orientée client. “Chez nous, le responsable d’un grand client peut avoir le niveau d’un vice-président, affirme Jean-Louis Michaud. De même, Alain Fustec refuse les carcans et met sur un pied d’égalité trois types de profils : le développeur d’affaires, l’expert et le leader. “En multipliant les filières, on évite de se retrouver avec 15 % d’élus et 85 % de frustrés”, avance le PDG de Sys-com, lui-même ingénieur agronome de formation. Une note d’optimisme pour tous les cadres qui n’ont pas vocation à être des meneurs d’hommes.

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Xavier Biseul