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Joël de Rosnay, directeur de la prospective et de l’évaluation de la cité des Sciences et de l’Industrie de la Vilette : ” Internet a fait décoller les biotechs “

Pour le directeur de la prospective et de l’évaluation de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette, l’impact de l’informatique est fondamental dans…

Pour le directeur de la prospective et de l’évaluation de la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette, l’impact de l’informatique est fondamental dans l’essor des biotechnologies. Mais Joël de Rosnay estime que la maîtrise de cette discipline va entraîner de nombreux problèmes éthiques.Les biotechnologies ont-t-elles déjà fait leurs preuves ?Bien sûr ! Dès les années 1980 sont apparus sur le marché les premiers résultats des recherches biotechnologiques à des fins thérapeutiques. Il s’agit, par exemple, de l’hormone de croissance humaine, de l’insuline ou encore du vaccin contre l’hépatite B. Dans le domaine du diagnostic, le test de dépistage du sida Elisa a été mis au point par mes équipes alors que j’étais à l’institut Pasteur. L’industrie elle-même en profite. Des procédés issus des voies biotechnologiques se substituent de plus en plus fréquemment aux synthèses chimiques traditionnelles. Ainsi, des bactéries sont utilisées pour dégrader des substances dangereuses.Les biotechnologies vont-elles prendre le pas sur les approches traditionnelles ?La chimie traditionnelle permet de fabriquer des molécules de façon linéaire. Dans cette configuration, les chercheurs ajoutent ou enlèvent une ou plusieurs parties de ces molécules et testent les résultats in vitro. Avec la chimie combinatoire, des populations de dizaines, voire de centaines de milliers de molécules, peuvent être créées simultanément. Cette palette est bien supérieure à celle que nous pourrions obtenir avec la chimie classique. Les biotechnologies permettent de fabriquer des cibles potentielles (protéines, etc.) sur lesquelles seront testées toutes ces molécules fabriquées. Cela s’appelle le criblage. Il s’agit-là d’un moyen rapide de définir des familles de molécules disposant d’effets thérapeutiques potentiels et de créer des molécules efficaces et économiques pour le futur.Quel est l’apport de l’informatique au monde des biotechnologies ?Primordial. Sans la bio-informatique, l’étude du génome serait impossible. Il faut distinguer plusieurs grandes étapes. La première a rendu possible la visualisation des molécules complexes sur écrans d’ordinateurs. Quel choc, lorsque, en 1969 avec des collègues du MIT [Massachussets Institute of Technology, près de Bos-ton, ndlr], nous sommes parvenus à programmer la machine pour qu’elle nous offre sur l’écran, et pour la première fois au monde, l’image d’un ARN [acide ribonucléique] de transfert !La deuxième étape a porté sur la constitution de bases de données mondiales regroupant les séquences de gènes et les protéines auxquelles ils correspondent. Avec l’apparition du net, le système a explosé : toutes ces séquences sont devenues accessibles à tous et partout. C’est là, pour moi, la vraie naissance de la bio-informatique. Autre moment fort : la création de systèmes de séquençage automatique permettant de découper les gènes pour les stocker, les classer et retrouver l’information qu’ils contiennent.Ces bases de données sont-elles réellement accessibles à tous ?Certains acteurs privés ?” notamment Craig Venter, le fondateur de la société américaine Celera ?” s’opposèrent dans un premier temps à l’attitude européenne qui constituait à publier immédiatement le résultat des travaux sur le séquençage. Mais, depuis, ces difficultés ont été aplanies. Quelques sociétés refusent encore l’accès à leurs découvertes. Mais la base de données s’accroît néanmoins de manière exponentielle et irréversible. Sa taille est gigantesque par rapport à des îlots de propriété privée. De plus, la pression des scientifiques pour communiquer à grande échelle est très forte actuellement.Outre ces bases de données et la puissance de calcul, quels sont les autres apports de l’informatique aux biotechnologies ?Grâce à une meilleure connaissance des mécanismes biologiques, il devient possible d’envisager la conception de molécule assistée par ordinateur (CAO). Les médicaments du futur seront conçus avec des méthodes de représentation graphique voisines de celles utilisées dans l’industrie automobile ! Mieux encore, l’informatique permet de vérifier l’efficacité potentielle de ces médicaments en simulant in silico leur action. La possibilité de relier des manipulations in silico avec celles que l’on peut faire in vitro ou même in vivo est très récente et très excitante. C’est là que le mariage entre la génomique et la bio-informatique prend tout son sens.La découverte si rapide de milliers de nouveaux composés ne va-t-elle pas engendrer l’apparition de problèmes éthiques ?Si, et de taille ! Les investissements réalisés pour découvrir toutes ces molécules sont énormes, d’autant que la biotechnologie permet de personnaliser les traitements. Mais cela implique de longues phases de tests. Or, la durée de validité des brevets ne change pas. Les firmes pharmaceutiques auront donc moins de temps pour rentabiliser leurs recherches : ils engageront des politiques agressives de marketing dans les milieux hospitaliers et médicaux. Pire, ces médicaments seront très coûteux, ce qui risque de créer une médecine à deux vitesses, les derniers produits étant réservés aux plus fortunés.

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Gilles Musi et Agathe Remoué