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Gilles de Courcel, president de la compagnie des conseils et experts financiers : “Les sociétés appliquent à l’excès le principe de prudence”

A l’heure de l’université d’été de l’Ordre des experts-comptables de Paris et d’Ile-de-France, Gilles de Courcel rouvre le débat sur la vérité des comptes.

En cette rentrée, la certification des comptes des entreprises agite la communauté financière. Comment les choses se présentent-elles en France ?Le contrôle est plutôt mieux organisé qu’ailleurs. Cela tient essentiellement à la loi. Il y a obligation pour toutes les sociétés françaises, qu’elles soient cotées ou non, de faire appel à deux commissaires aux comptes à partir du moment où leurs chiffres sont consolidés. Ensuite ?” je parle uniquement des sociétés cotées ?”, il y a une liaison étroite entre les commissaires aux comptes et la COB. Pour être précis, l’autorité de régulation a un droit de regard sur la certification des comptes. Ce point est très important. J’ajouterai qu’en France, un dirigeant ne peut pas se faire prêter de l’argent par sa propre entreprise. Il doit passer par des établissements financiers. Aux États-Unis, c’est le contraire : on vient encore d’en avoir la preuve avec Worldcom, où l’un des patrons s’est fait prêter une grosse somme par sa société. Chez nous, au sens strict du mot prêt, c’est impossible.Faut-il envisager un traitement comptable particulier pour les entreprises de la nouvelle économie ?Ce sont des entreprises qui ont tiré le marché vers le haut… avant de le pousser vers le bas. Est-ce une raison pour leur accorder un traitement comptable dérogatoire ? Je ne le crois pas. Leurs difficultés sont venues d’une situation largement inédite. Lorsque ces sociétés ont voulu s’introduire en Bourse, personne ne savait très bien sur quels critères les évaluer. De plus, leur valeur reposait sur des hypothèses de croissance exceptionnelle. Résultat : au premier incident, tout s’est effondré. Mais les choses devraient se normaliser. Déjà, pour autoriser une entrée en Bourse, la COB exige une diligence spécifique [une vigilance comptable et financière accrue, ndlr] de la part des introducteurs.On s’approche donc de la vérité des comptes…C’est plus compliqué que ça. Le point positif, c’est que la plupart des entreprises choisissent d’appliquer le principe de prudence dans la gestion et la présentation de leurs comptes. C’est vrai en France, c’est vrai ailleurs. Mais elles l’appliquent à l’excès. Du coup, les sommes passées au titre de provisions sont très importantes, voire potentiellement pénalisantes : une fois qu’une société a passé une provision, elle ne peut plus revenir en arrière. Dans ces conditions, le risque est grand qu’en cas de forte reprise, nombre de sociétés aient du mal à suivre.Que pensez-vous de l’approche fondée sur la “valeur instantanée” d’une entreprise ?Là encore, c’est difficile à établir. Les stratégies d’entreprises s’apprécient à long terme, notamment lorsqu’elles s’accompagnent de prises de participation. Si vous faites un arrêt sur image tous les ans pour examiner les chiffres, vous n’obtiendrez jamais la même “valeur” d’une société. À la volatilité des marchés s’ajoutera alors la volatilité des comptes. Ce n’est pas l’effet recherché, c’est même le contraire.Faut-il changer les normes comptables ? Et dans quelle direction ?Nous nous orientons vers les normes IASC (International Accounting Standards Committee), qui sont des normes internationales. Le système GAAP (Generally Accepted Accounting Principles) étant américain, il attire évidemment beaucoup de monde, et pas seulement des entreprises américaines [Vivendi Universal, par exemple]. Le problème, c’est que ce dispositif reste très dominé par les États-Unis. Ce qui n’est pas le cas de l’IASC.Une clarification des normes comptables peut-elle favoriser la reprise économique ?Oui, en contribuant à faire revenir la confiance, laquelle a pour ainsi dire disparu. Au minimum, elle est sapée. Regardez Andersen : en six mois, l’un des plus gros cabinets d’affaires du monde s’est volatilisé. C’est hallucinant, c’est atterrant ! Et pourtant, voilà un événement qui est complètement banalisé. Le retour de la confiance est donc essentiel.Passons aux particuliers. Les Français sont-ils mieux protégés que d’autres contre les aléas boursiers ?Les ménages français sont beaucoup moins tributaires de la Bourse. Mais en pratique, l’interpénétration des marchés est telle que tout le monde finit par être impliqué…Que peuvent faire les pouvoirs publics ?Travailler sur l’épargne salariale. Le texte Fabius de 2001 avait déjà précisé les contours d’un tel dispositif. Mais, depuis l’effondrement des cours de nombreuses sociétés, les gens ont pris peur. Ils ne veulent plus entendre parler d’épargne salariale. Il serait cependant excessif de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’épargne salariale est une idée qui reste intéressante, mais à condition de pouvoir l’élargir à des entreprises de proximité et, j’ajouterai, à des entreprises non cotées. Je pense, par exemple, que l’argent pourrait s’investir dans des PME solides, bien implantées localement, qui ont des besoins de financement. Ce dispositif était prévu par Laurent Fabius, mais il n’a jamais été vraiment mis en place. Je sais que la COB réfléchit à cette question.

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Pierre-Antoine Merlin