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Environnement : pourquoi Apple ne devrait sortir de nouveaux iPhone que tous les deux ans

En pointe sur bien des combats écologiques, Apple veut aboutir à un bilan carbone neutre pour toute son activité d’ici à 2030. Mais au-delà de ces efforts déjà titanesques, le géant de Cupertino ne doit-il pas avoir le courage d’adopter une nouvelle voie, d’innover une fois encore ?

Il y a, chez Apple, les grands-messes, les grands lancements, le buzz permanent, une position unique dans un univers ultra-concurrentiel rythmé par une innovation effrénée et des trimestres fiscaux qui usent les superlatifs. Et puis il y a une course de fond plus discrète, un ultra-trail écologique, en quelque sorte, éprouvant, mais tout aussi essentiel. 

Apple : le cap vert

Depuis une dizaine d’années, Apple travaille en effet à sa révolution verte. Réduisant les emballages pour consommer moins de papier, cherchant le moyen de supprimer ce petit bout de plastique ici, basculant l’entièreté de son alimentation électrique vers des sources renouvelables là, ou encore se fixant, pour 2030, l’objectif très ambitieux d’une neutralité carbone de toutes ses opérations – y compris pour ses produits, de leur fabrication à leur fin de vie.
Un travail colossal, découpé en des milliers d’enjeux et de projets, financés notamment par les obligations vertes émises depuis 2016 pour un montant total de 4,7 milliards de dollars. Une ambition à l’échelle d’Apple, qui impose évidemment de convertir ses fournisseurs aux énergies renouvelables.

Un objectif qui passe également par une nouvelle façon de concevoir les produits, et même les matériaux, comme l’aluminium, qui sont utilisés dans les produits. Certes, en l’occurrence, Apple n’a pas inventé le nouveau procédé, mais il est à l’origine de sa montée en puissance, il a, par son investissement, par sa quête d’une solution, permis l’éclosion de cette nouvelle approche.

Apple – Daisy, le robot démonteur d’iPhone, a été développé par Apple.

Un cap, enfin, qui se manifeste par des efforts véritables – mais encore insuffisants au vu de l’urgence et des enjeux écologiques – dans le recyclage des produits. On se souvient de Liam, lancé en 2016, puis remplacé en 2018 par Daisy. Ces robots-chaînes de désassemblage, sont capables de démanteler des millions d’iPhone par an pour récupérer leurs différents composants, y compris les matériaux utilisés, comme les terres rares.

Car l’objectif d’Apple est d’arriver à ne plus miner de ressources, à ne produire qu’en recyclant ses propres appareils et ceux fabriqués par la concurrence que ses clients ou partenaires lui fourniront. Là aussi, l’effort à fournir et les étapes pour atteindre cet objectif sont tout aussi enthousiasmants que vertigineux.

Durability by design

Pour les utilisateurs que nous sommes, il y a aussi des efforts bien plus tangibles. De même qu’Apple a démocratisé l’appellation privacy by design, qui laisse entendre que le respect de votre vie privée est une intention prise en compte dès la conception des produits et services, on pourrait dire que les produits Apple répondent à une autre appellation (officieuse celle-là, et de notre cru) : durability by design.

Rendu possible par l’intégration entre logiciel et matériel et le contrôle étroit établi sur ces deux pans fondamentaux des produits, cette durabilité est sans doute de plus en plus un argument central et différenciant des appareils Apple.

Elle repose, d’une part, sur la qualité de fabrication premium, et à l’épreuve du temps. Et aussi, d’autre part, sur un suivi logiciel qui est, à l’heure actuelle sans équivalent sur le marché. Même si Apple a encore de gros efforts à faire sur la réparabilité, malmenée par la course au design et au contrôle.

Les iPhone 6S, sortis en 2015, et plus produits depuis 2018, sont toujours mis à jour régulièrement – pas seulement pour des questions de sécurité – puisqu’ils sont compatibles avec la dernière version majeure du système d’exploitation mobile d’Apple, iOS 15.

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Aller encore plus loin…

Apple a donc construit un environnement qui tend vers le vertueux, fondé sur de nombreux efforts au long cours pour lesquels il est un modèle pour l’industrie ou en tout cas en pointe. Mais, est-ce assez ?

Une cascade de questions se pose avec de plus en plus d’acuité. Alors qu’il faut économiser les ressources, réduire nos besoins énergétiques, limiter notre impact environnemental, ne faut-il pas envisager une autre étape ?

Au vu de la position particulière qu’il occupe (intégration inégalée, positionnement premium de bout en bout, construction d’une image marketing sans véritable équivalent, etc.), Apple devrait envisager de mettre un terme à cette course en avant encouragée par la sortie annuelle de nouveaux produits.

Il y a quelques années encore, Apple sortait une année sur deux un iPhone en S, une sorte d’évolution et d’amélioration du modèle sorti l’année précédente. Qu’elle ait trop mis en évidence le côté itératif et dispensable des nouveaux appareils, ou qu’elle n’ait plus correspondu à une stratégie plus large, cette appellation a disparu avec les iPhone 11.

Néanmoins, la réalité est toujours la même. Apple – et ses concurrents aussi – distillent des mises à jour matérielles et fonctionnelles, préservant une marge de progression, mais laissant bien souvent l’impression qu’on aurait pu attendre un an de plus pour avoir droit à davantage de nouveautés d’un coup.
D’autant que la question de la puissance est désormais réglée, puisque l’essentiel et le superflu sont largement assurés par les puces A1x et M1x. Tant que de nouveaux usages n’émergent pas (la réalité mixte, notamment), les efforts à fournir le sont du côté de l’autonomie, et des réseaux neuronaux pour apporter plus de souplesses à des usages logiciels.

L’arrivée des puces Apple Silicon dans les Mac matérialise parfaitement ce nouveau point d’équilibre atteint. On voit bien que les MacBook Air, MacBook Pro 13 pouces ou même Mac mini équipés de la puce M1, sortis en novembre 2020, n’ont pas atteint leurs limites, tant à l’usage que quand on les confronte à la concurrence. Dès lors, pourquoi ne pas faire en sorte que cette innovation, en plus d’offrir plus de performances et d’autonomie, ouvre une porte vers un avenir plus vert ?

Les puces Apple Silicon, sur les Mac, mais c’est aussi vrai sur les iPhone, permettent d’imaginer, sans nuire à la satisfaction des besoins quotidiens des utilisateurs, un monde dans lequel les cycles de mises à jour sont plus longs.

Ce temps plus lent permettrait également aux paliers de l’innovation d’être plus stables et de profiter de davantage de maturation – un bon moyen d’échapper à l’impression d’itérations frustrantes, peut-être.

Certes, cela demanderait de revoir des modèles d’investissement et de R&D, cela alourdirait aussi des décisions qui seront maintenues pendant plus longtemps. Encore qu’Apple a montré, en vendant pendant des années des MacBook avec trop peu de connectique ou une Touch Bar pas assez unifiée dans ses usages, que les ratés peuvent survivre de modèle en modèle sans compromettre une gamme.

01net.com – Lionel Morillon – Les MacBook Pro 14 et 16 pouces embarquent des puces Apple Silicon.

Cette décision d’inscrire les lancements de nouveaux produits dans des temps plus longs – et on peut imaginer des sorties en quinconce pour éviter des années vides – paraît d’autant moins aberrante qu’elle est déjà appliquée sur certaines gammes de produits, accessoires ou à faible valeur ajoutée.

On pense par exemple aux AirPods, qui ne sont pas mis à jour tous les ans, et le sont parfois de manière trop chiche – AirPods de troisième génération, quelqu’un ? – ou à l’iPhone SE, qui en six ans d’existence n’a connu que trois itérations (2016, 2020 et 2022).

Ces deux exemples ne sont pas innocents. Ils démontrent en effet un pré-requis essentiel à la réussite de l’allongement de la vie commerciale d’un produit. L’iPhone SE 2022 et les AirPods 3 montrent ce qu’il ne faut pas faire. Ils souffrent tous deux du même souci, d’un problème d’équilibre, et pèchent par un positionnement tarifaire trop élevé pour une innovation trop réduite. C’est surtout regrettable pour l’iPhone SE qui pourrait être une expérimentation marginale en ce sens.

Car, l’avenir « vert » du premium ne pourra passer par une nouvelle temporalité des sorties et une durée de vie commerciale allongée que si les produits sont plus riches en innovations, que leur valeur ajoutée est forte, à leur sortie et perdure.

Il est évident qu’Apple pourrait avoir beaucoup à perdre à court terme – on imagine déjà la réaction des places boursières peu enclines à envisager le long terme et le devenir de notre planète – mais rien qui ne puisse être préparé, contre-carré.

Les « visées vertes » peuvent être un argument marketing essentiel. Ses ambitions écologiques sont un « produit », qu’il sait et saura vendre, sur lesquelles il saura créer une valeur ajoutée – et plus le catalogue de produits et services d’Apple se diversifiera, plus ce sera facile.

L’enjeu à long terme en vaut largement la chandelle. Une fois encore, il est ici question d’ouvrir une voie, de montrer le chemin à l’industrie, de s’ériger en modèle, d’être le premier.

A, comme Apple. A pour Gaïa

Apple occupe une position unique qui lui offre certaines libertés et lui impose, aux yeux de la société civile, bien des devoirs. Ce géant ne peut pas négliger cette voie. Son omniprésence le désigne comme le candidat parfait à cette rupture d’un modèle qui a prouvé ses limites, sauf d’un point de vue financier, bien sûr.

Le nouveau credo vert d’Apple, « laisser la planète dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvée », doit lui faire prendre en compte la réalité d’un monde et d’un modèle usés. Apple doit montrer à ses concurrents et à ses utilisateurs qu’une autre voie est possible. L’échec relatif de Fairphone, qui a seulement pu esquisser cette voie, n’invalide pas sa pertinence. Il doit démontrer qu’une industrie innovante et « intelligemment décroissante », durable, est envisageable.

Apple doit faire un choix, celui d’être le véritable champion de Gaïa. Il sera alors dans la position d’offrir à ses utilisateurs une véritable alternative, qui le différenciera de la concurrence, au-delà, bien sûr, de l’offre de memojis qui nous seront proposés pour réagir à l’annonce de la fin du monde…

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Pierre FONTAINE