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Empire et décence

Achetez une paire de bottes poussiéreuses ayant crapahuté dans les décombres de Ground Zero, que vous mettrez ensuite dans votre salon, sous une cloche de verre,…

Achetez une paire de bottes poussiéreuses ayant crapahuté dans les décombres de Ground Zero, que vous mettrez ensuite dans votre salon, sous une cloche de verre, avec une jolie étiquette indiquant : “Bottes de pompier de New York ayant cherché des cadavres dans les décombres des Twin Towers.” Un truc à faire pâlir de jalousie tous vos voisins et tous vos parents un peu versés dans l’histoire immédiate ? C’est possible sur internet, très exactement sur le site de ventes aux enchères, Ebay. Du moins, ça l’était, jusqu’à ce que la ville de New York y mette un méchant holà. Celle-ci a en effet considéré que ces ventes de souvenirs du 11 septembre étaient “moralement répugnantes” et exigé du site qu’elles cessent immédiatement. Peu importe finalement que, sur l’interloquant internet américain, on puisse se constituer une belle bibliothèque révisionniste ou bien s’achalander en brimborions nazis variés, au grand dam de la conscience européenne, voire canadienne. Si internet se considère bien volontiers mondial, sa moralité reste en revanche tout entière limitée au carcan américain. Le point le plus intéressant de ce fabliau contemporain ? Avant de mettre en vente ces catastrophiques fétiches, Ebay avait observé un délai de décence de trois mois. Au-delà des simples apparences, le site a donc une sorte de morale. La sienne. Mais qui ressemble, au fond, à celle d’Hollywood, laquelle, après avoir fait sa chochotte puritaine ?”jurant que cette fois, la réalité ayant dépassé la fiction, c’en était fini des films ultraviolents?”, vient de lever l’embargo et de sortir le dernier film ultraviolent d’Arnold Schwarzenegger. Inutile de sermonner à outrance : industriellement parlant, un trimestre de décence, c’est déjà énorme. De même qu’il est temps d’arrêter de dire que plus rien ne sera pareil après le 11 septembre, que le siècle nouveau a posé là sa pierre d’angle. Au contraire, nous sommes prêts pour que tout recommence, que l’industrieuse chenille redémarre et que l’on s’extasie sur sa pérennité. Car philosophiquement parlant, un trimestre à dire et à écrire des bêtises, cest long… aussi.* journaliste et essayiste

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Arnaud Viviant*