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Ebranlé, EMC tente de garder la tête hors de l’eau

Le géant du stockage a enregistré en 2001 des résultats financiers catastrophiques. Pour sortir de cette année noire, il joue l’ouverture et lance un middleware capable de superviser des baies multifournisseurs.

Pas une semaine depuis septembre sans qu’EMC ne fasse parler de lui. Dernier événement en date : le géant du stockage se dit prêt à s’ouvrir aux matériels de ses concurrents. Une annonce “révolutionnaire”, EMC étant réputé pour ses pratiques très propriétaires. En tout cas, cette annonce vient à point nommé après la tourmente que l’entreprise vient de traverser.Depuis le début de l’année, le monde semble, en effet, s’écrouler autour d’EMC : les alliances stratégiques entre constructeurs tendent à le marginaliser. Ainsi, HDS (Hitachi Data Systems) a signé avec Sun et a réitéré ses accords OEM avec HP. Par ailleurs, la nouvelle gamme de baies Symmetrix d’EMC intègre une technologie vieillissante comparée à celle proposée par HDS. Enfin, l’entreprise a reçu une gifle monumentale lors du dernier semestre, en annonçant une perte d’un milliard de dollars. Depuis douze ans, elle n’avait jamais connu le rouge.

Nouveau venu, il avait misé sur l’innovation

Comment expliquer une année aussi cauchemardesque ? Il semblerait, de prime abord, que les facteurs qui avaient fait le succès d’EMC dans les années quatre-vingt-dix ne soient plus au rendez-vous. IBM était alors le leader incontesté dans le monde des mainframes et de leurs périphériques. Progressivement, le géant s’est fait damer le pion dans le stockage par un nouveau venu, EMC. La partie a été remportée grâce à l’innovation technologique, à une politique de prix extrêmement agressive et à l’image arrogante d’IBM. L’innovation, parce qu’EMC a su, le premier, commercialiser des unités externes de stockage performantes, peu encombrantes et fiables. Dans un premier temps, celles-ci prenaient l’aspect d’une grosse mémoire électronique avec sauvegarde sur batterie. Ce dispositif, qui restait très cher, multipliait par cinq cents les performances des disques proposés par IBM, HDS ou Memorex dans les environnements grand système (des disques de 60 cm de diamètre pour une capacité de 2,9 Go environ). Résultat, les unités d’EMC se sont vendues comme des petits pains. Mais c’est véritablement l’année 1994 qui consacrera son succès.

Premier à mettre en ?”uvre le concept du Raid

Le challenger décide alors de placer derrière sa mémoire électronique des batteries de disques de 5,25 pouces de diamètre (les mêmes que ceux utilisés dans les PC). Le premier Symmetrix était né. Par ailleurs, pour garantir la sécurité des informations, EMC a mis en application un concept développé quelques années plus tôt par les ingénieurs de l’université de Berkeley, le Raid (Redundant Array of Independent Disks) : les données stockées sur le Symmetrix sont systématiquement répliquées sur deux volumes distincts. Le concept de Raid avait, en fait, été popularisé par les campagnes marketing orchestrées par Storagetek pour promouvoir à la même époque sa baie Iceberg. Cette dernière devait intégrer un système Raid de niveau 7, un système de virtualisation et un autre de compression des données. Reste que le produit, trop perfectionné, a pris des mois de retard. Des mois au cours desquels EMC a donc sorti son produit phare, certes moins perfectionné que l’Iceberg, mais disponible. La force d’EMC venait également des fonctionnalités avancées proposées sur sa baie, tel que SRDF, son outil de réplication. La compagnie a su, ensuite, nouer des partenariats avec des constructeurs de serveurs tels que Bull, Unisys, HP, ou Data General, qui tous avaient mis un terme à la fabrication de disques. Progressivement, elle s’est ainsi construit une crédibilité dans les mondes ouverts pour finalement s’y imposer.

Une architecture vieille de dix ans

Aujourd’hui, à peu de choses près, EMC se retrouve dans la même posture qu’IBM au début des années quatre-vingt-dix. Côté technologie d’abord, il semble que l’entreprise se soit endormie sur ses lauriers. L’architecture de ses Symmetrix n’a pas changé depuis dix ans. Elle repose sur un bus partagé, quand celle de HDS s’appuie sur un bus commuté garantissant de meilleurs débits. En outre, ses prix sont restés très élevés. Pour faire face à la concurrence, le champion du stockage a récemment dû baisser ses marges d’au moins 25 %. Une baisse qui explique d’ailleurs en partie ses mauvais résultats. Ironie du sort, il y a quelques années, Michael Dell, patron de l’entreprise du même nom, s’amusait à déformer l’acronyme EMC, qu’il qualifiait “d’Excess Margin Corp”.Enfin, EMC souffre surtout de sa position de leader et de sa réputation de constructeur propriétaire. Ce statut a poussé ses concurrents à s’allier résolument contre lui. “Cette cabale ne date pas d’aujourd’hui. La fusion Compaq-Digital, l’alliance HP-HDS et le lancement du Shark d’IBM sont autant d’événements censés mettre à genou EMC. Or, nous n’avons subi aucun impact”, expliquait Hani Roumier, directeur marketing Europe, en septembre dernier peu après l’annonce de l’accord Sun-HDS. Aujourd’hui, pourtant, les efforts de la concurrence commencent à porter leurs fruits. PDG d’EMC France, André Andrieux le reconnaît : “Ces derniers temps, nous avons surtout souffert des ventes packagées de constructeurs comme IBM, qui fournissent avec leurs mainframes des baie de stockage à très bas prix.”

Clariion et Symmetrix n’ont jamais su cohabiter

Malmené, EMC a donc rebondi ces dernières semaines. Outre l’annonce de son “ouverture” logicielle, la société s’est associée avec Dell, le dernier constructeur de serveurs disponible. Objectif : pénétrer le segment milieu de gamme, historiquement détenu par Compaq. Et ce, à travers la commercialisation de ses baies Clariion.Il s’agit aussi de distribuer un produit acquis lors du rachat de Data General, que le géant n’a jamais su intégrer à sa gamme. “EMC a toujours valorisé ses Symmetrix au détriment de la gamme Clariion, se souvient un ancien salarié de Data General. Pire, les équipes dédiées au Clariion étaient méprisées par celles travaillant sur Symmetrix. Les commerciaux des deux bords en arrivaient même à devenir concurrents !” Côté technique, là encore, EMC n’a pas cherché à harmoniser les deux familles. Pour preuve, les fonctionnalités de réplication et de snapshot du Symmetrix n’ont jamais été portées sur Clariion. De même, EMC ne s’est jamais inspiré de la technologie du Clariion ?” la première baie entièrement Fibre Channel ?” pour faire évoluer son Symmetrix dont les disques sont encore en SCSI.Les deux annonces récentes seront-elles suffisantes pour desserrer l’étau formé autour d’EMC ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce qu’il faudra du temps avant d’être capable d’administrer les baies de la concurrence : les échanges d’API (Application Programming Interface) entre constructeurs ne se feront pas si facilement. Or, le succès de l’entreprise repose sur des solutions propriétaires, et les environnements EMC ont tendance à ne pas reconnaître le matériel non EMC. Il faudra donc changer de culture. Ensuite, parce qu’EMC n’est pas le seul à se positionner sur ce créneau. Outre les éditeurs historiques tels que Veritas, Tivoli ou Computer Associates, tous les autres constructeurs cherchent eux aussi à administrer le stockage : Compaq avec Versastor, HP avec StorageApps et HDS, associé à Sun et HP. Enfin, EMC devrait rencontrer une concurrence encore plus rude au niveau matériel, puisque ces mêmes acteurs ciblent désormais tous les segments : Sun vise le stockage haut volume, IBM et Compaq descendent et montent respectivement en gamme. Dans un tel contexte, EMC commence à réagir. Il lui reste maintenant à concrétiser ses intentions.

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Vincent Berdot