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Comment les malvoyants sont discriminés dans l’accès aux services publics en ligne

L’accessibilité numérique n’est pas qu’un enjeu technique, mais une obligation légale. Cependant, le gouvernement ne semble pas pressé de se mettre en conformité.

En France, quand on est déficient visuel, il est presque impossible de refaire sa carte d’identité ou son permis de conduire en ligne. La raison ? 77 % des 250 services publics en ligne ne sont pas accessibles aux 12 millions de Français en situation de handicap, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas conçus pour être retranscrits à l’oral ou en braille par un lecteur d’écran pour ceux qui en ont besoin. Derrière cette question a priori technique se cache un enjeu de société : l’égalité de traitement entre les citoyens, garantie par la loi.

L’État dans l’illégalité depuis 2005

« C’est un comble ! », s’exaspère Fernando Pinto Da Silva, chargé de mission stratégique numérique pour l’association Braillenet et lui-même déficient visuel. En France, l’accessibilité numérique est une obligation légale depuis plus de quinze ans, réitérée en 2016 par la loi pour une République numérique. Par la directive de 2018 relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, l’Union européenne (UE) a également enfoncé le clou.  Les États membres avaient jusqu’au 23 septembre 2020 pour se mettre en conformité. La France est donc toujours hors-la-loi, mais la Commission n’a pas prévu de sanctions financières.

« Malgré ses échéances, rien ne change. On se vraiment demande à quoi bon », s’impatiente Fernando Pinto Da Silva, qui est aussi membre de la Fédération des aveugles de France. Pourtant, lorsque le gouvernement a annoncé une série de mesures en faveur de l’accessibilité numérique lors de la Conférence nationale du handicap, en février dernier, Fernando voulait y croire. Entre autres, Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique, s’était engagé à atteindre un objectif de 80 % de services publics en ligne accessibles d’ici 2022 – soit environ 160 sites alors qu’ils ne sont qu’une trentaine aujourd’hui. Une ambition que Fernando Pinto Da Silva jugeait alors « réaliste ». 

« C’est insupportable »

Et depuis ? Les déclarations s’enchaînent et se ressemblent. Mais le dossier n’avance pas ou presque. En septembre, au lieu de fêter la mise en conformité avec le droit européen des sites publics français, Amélie de Montchalin, chargée des Affaires européennes, accompagnée de Sophie Cluzel, chargée des Personnes handicapées, ont de nouveau entériné le constat d’un échec et réaffirmé leur volonté de changement. « En attendant, ce sont des milliers de Français qui sont discriminés. C’est insupportable ! », s’énerve Fernando Pinto Da Silva.

Marion Simon-Rainaud / 01net.com – Fernando Pinto Da Silva ne peut pas accéder à ses services sur Pôle emploi.

En ligne, la discrimination frappe rapidement. Avec son PC (un Dell dernière génération doté d’une couche logicielle supplémentaire capable de lire ce qui est écrit sur les interfaces prévues pour ce système) il nous fait une démonstration sur le site de Pôle emploi. Dès le premier clic, ça coince. Le logiciel ne peut plus avancer dans les onglets du site. La voix de synthèse qui lui dicte toutes les informations à l’écran est elle aussi bloquée.  Il change d’appareil, prend son iPhone dernier cri… même constat. « Qu’est-ce que cela veut dire ? Parce que je suis déficient visuel, je ne pourrais pas chercher un emploi comme le reste des Français ? », s’interroge-t-il.

1 personne sur 5 aurait besoin de sites accessibles

Le consortium World Wide Web estime qu’une personne sur cinq dans le monde aurait besoin de services en ligne accessibles. Depuis 1997, le groupe interne dédié à l’accessibilité du Net met régulièrement à disposition des guides pour sensibiliser les développeurs à ces enjeux, qui sont techniquement surmontables. L’effort doit aussi être fait sur la formation des métiers du numérique, afin que les programmes intègrent un module sur le sujet. 

Mais, aujourd’hui l’urgence est à l’action. Fatigués d’entendre des discours sans en voir les conséquences, il semblerait que plusieurs associations militantes envisagent une procédure en justice contre l’État français. « On peut plus d’attendre, maintenant il faut que ça bouge ! », insiste Fernando Da Silda. 

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Marion SIMON-RAINAUD