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Comment la police de Londres utilise l’analyse des données pour arrêter les criminels les plus dangereux de la ville

La police de Londres souhaite davantage utiliser les data sur la criminalité pour cibler les plus grands malfaiteurs… voire prédire les futurs crimes.

À l’heure où les services de police de Paris s’interrogent sur la façon de mieux protéger le Champ-de-Mars, ce programme de la Met, la police londonienne, pourrait intéresser ou inquiéter ses homologues parisiens. Depuis quelques mois, une nouvelle approche, basée sur l’analyse de données, est testée par les forces de l’ordre britanniques, rapporte The Guardian, ce lundi 31 juillet. Selon nos confrères, les enquêteurs pourraient, grâce à cet outil, éviter de se disperser, et concentrer leurs ressources et leurs moyens sur les suspects les plus dangereux de la ville, en ciblant les plus grands malfaiteurs.

Leur prochaine étape serait même de créer un outil de prévision des crimes – en identifiant les schémas potentiels que pourraient suivre des criminels. Un attentat à la pudeur pourrait, par exemple, précéder de futurs crimes graves comme un viol ou un meurtre, expliquent nos confrères. Cette approche n’est pas sans poser des questions, car elle pourrait conduire à des erreurs – par exemple en listant en tête de file des profils, par erreur.

Un logiciel qui classe des suspects en fonction de la durée des peines de prison encourues

En quoi consiste cette approche ? Chaque semaine, un logiciel hiérarchise les suspects en fonction de la peine d’emprisonnement qu’ils encourent – 35 000 individus y seraient listés actuellement, explique le professeur de criminologie Lawrence Sherman, responsable scientifique de la police londonienne en charge du programme, interviewé ce 31 juillet par Public Technology. Plus le crime dont ces personnes sont accusées est grave, et, plus elles vont être classées dans le haut de la liste. Dans ce groupe de tête, la grande majorité des suspects est accusée de meurtre ou de viol, encourant des peines potentielles d’au moins 15 ans d’emprisonnement.

Une fois face à cette liste, les enquêteurs décideraient de l’ordre des priorités. Le logiciel permettrait de trancher sur les dossiers à traiter en urgence, de sélectionner des suspects à surveiller ou des victimes et des témoins à réinterroger. Cette méthode serait actuellement testée dans deux quartiers de Londres, où le nombre d’agressions à l’arme blanche est particulièrement élevé.

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Une méthode née après l’affaire du « violeur au taxi noir »

Mais cette approche a d’abord et surtout été pensée comme outil de lutte contre les violences faites aux femmes. Dernièrement, le logiciel aurait permis l’arrestation d’un homme soupçonné d’agressions commises sur des femmes, rapporte le Guardian. Le professeur Sherman explique que cet individu faisait partie des « 100 premières priorités à traiter », des 100 premiers individus à avoir été listés. Ces derniers mois, l’homme avait été désigné comme suspect par plusieurs victimes. Un policier lui aurait alors consacré « 35 heures non stop », ce qui aurait permis d’accumuler des preuves conduisant à sa détention provisoire.

Cette approche qui passe par l’analyse des données proviendrait d’ailleurs d’une affaire qui a eu lieu dans les années 2000, celle de John Worboys. Celui qui est connu outre-Manche pour être le « violeur au taxi noir » avait été condamné en 2009 pour des agressions commises à l’encontre de 12 femmes. Mais on pense qu’il aurait fait une centaine de victimes. Et c’est pour éviter qu’un tel scénario se reproduise que cette méthode aurait été créée.

Car « Worboys avait été désigné par des victimes comme suspect à plusieurs reprises, sans être arrêté  », explique le professeur à nos confrères de Public Technology. Or, « ce n’est pas parce que nous ne pouvons pas obtenir de preuves que quelqu’un est innocent ». Il n’y a pas de fumée sans feu, explique-t-il en substance, alors « si nous voyons énormément de fumée, (…) “enquêtons et voyons si nous trouvons un feu” (…) », ajoute le responsable de la police scientifique de Londres à nos confrères.

« Il y a évidemment des risques à classer à tort des personnes comme dangereuses »

Mais cette méthode suscite aussi la crainte des associations de défense des droits civils, qui demandent notamment des garanties : cette approche permet-elle de réduire les discriminations en matière d’interpellations et de fouilles, sources de controverse et de critiques outre Manche ? Un autre point les inquiète encore davantage : la prochaine étape de ce programme consisterait à essayer d’identifier les délinquants récidivistes, l’outil permettant de prédire les crimes, avant qu’ils ne soient commis. Il s’agirait de classer sur plusieurs années les antécédents criminels d’un individu condamné par la justice. Ceux qui pourraient correspondre à un schéma identifié préalablement pourraient être visés – le schéma en question pouvant être celui d’un individu qui commettrait un délit mineur avant un crime grave.

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Cette méthode n’est pas sans risque, reconnaît Mike Hough, professeur émérite de droit à Birkbeck, à l’université de Londres, au Guardian. L’approche est « prometteuse », elle a le mérite de cibler des délinquants récidivistes, et de lutter contre les violences faites aux femmes. Mais « il y a évidemment des risques à classer à tort des personnes comme dangereuses, et à le faire de manière peu transparente », admet-il à nos confrères. Même son de cloche pour le professeur Lawrence Sherman en personne, qui reconnait qu’il existe bien des risques de partialité. Mais « si nous n’utilisons pas ces informations, nous ne faisons pas notre devoir de protéger les gens », ajoute-t-il à Public Technology. Pour ce dernier, une meilleure utilisation des données est essentielle pour prévenir les infractions les plus graves. Cette approche, qui devrait être particulièrement dans le collimateur des associations de défense des droits, pourrait être étendue à d’autres domaines comme les délits routiers.

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Source : The Guardian


Stéphanie Bascou
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