Passer au contenu

Comment fonctionne The Scene, cette communauté secrète dédiée au piratage de contenu

Créée dans les années 80, cette nébuleuse de groupes de pirates est la source de tout contenu numérique contrefait. Elle est régie par des règles strictes et se caractérise par une organisation quasi militaire.

Fin août, les forces de police ont sonné l’hallali sur le piratage. Elles ont réussi à démanteler plus de 60 serveurs au contenu illégal, répartis sur 19 pays et trois continents. Plusieurs personnes ont été arrêtées. Depuis, dans le milieu interlope du « warez », les drapeaux sont en berne. Et pour cause : les policiers ont frappé le Saint des saints de cet écosystème, à savoir « The Scene », une nébuleuse de groupes de hackers et de crackers qui se situe tout en haut de la chaîne de distribution et qui alimente les canaux de la contrefaçon numérique du monde entier. Si un jour vous avez téléchargé un film piraté sur le Web, c’est forcément de là qu’il provenait.

The Scene est un haut lieu de la sous-culture numérique aussi vieux que le piratage lui-même. Il est apparu dans les années 80, avec l’avènement des ordinateurs individuels et des logiciels diffusés en masse aux particuliers. Son fonctionnement et ses valeurs ont été décrits en 2005 dans une minisérie intitulée « The Scene », qui a été diffusée sur le Web et qui démarre sur une voix off assez grandiloquente : « La plupart des gens qui partagent des fichiers n’ont aucune idée d’où ils viennent. Il ne savent pas qu’il existe tout un monde, une énorme infrastructure dont le seul but est de capter et de diffuser du contenu. Et au plus haut niveau de cette machine, il y a un endroit virtuel où tous ces fichiers qui sont disséminés travers le monde sont créés, où des pactes sont noués, où des accès et des identités sont jalousement cachés (…) Cet endroit, nous l’appelons… The Scene ». Nous voilà prévenus.

The Scene Episode 1 – Les “sceners” communiquent par IRC

Il faut que dire que cette communauté « warez » impressionne, tant par le culte du secret qui y règne que par ses codes et les règles strictes qui la régissent. En faire partie est un parcours du combattant, comme le montre l’interview d’un ex- « Scener » dans les colonnes de TorrentFreak.
L’homme a proposé ses compétences de développeur à l’un des groupes spécialisés dans le cracking de contenu, ou « Release groups ». Il a été mis à l’épreuve pendant plusieurs mois avant d’être accepté.
Concrètement, les membres existants ont essayé de le « doxer », c’est-à-dire de découvrir son identité et de collecter des informations personnelles à partir des traces qu’il laisse sur la Toile. Car il va sans dire que l’anonymat et le chiffrement des communications est la règle dans The Scene. C’est une question de survie.

Les « Release groups » sont spécialisés par type de contenu et/ou de format : films, séries, musique, DVD, Blu-ray, streaming, etc. Pour mettre la main sur un contenu, les « Release groups » s’appuient sur différentes techniques. Pour récupérer des DVD et des BluRay, ils vont contacter des grossistes et se faire passer pour un distributeur qui souhaite s’approvisionner. Pour le streaming, ils créent des comptes en ligne sous une fausse identité et téléchargent le contenu.

PreDB.org – Ce site référence en temps réel les contenus qui apparaissent sur les Topsites

Dans tous les cas, il faut évidemment avoir le bon outil qui permettra de contourner les DRM, ces verrous logiciels censés protéger le contenu de la contrefaçon. Dans le cas du streaming, « le DRM le plus courant et le plus difficile à craquer s’appelle Widevine », souligne l’ex-« Screner » auprès de TorrenFreak. Pour le contrer, les groupes utilisent des outils « spécialisés, codés par The Scene, pour The Scene », que auxquels « seule une poignée de personnes dans le monde a accès », en tous les cas pour les dernières versions.

Une fois craqué, le contenu est encodé dans la meilleure définition possible, puis transféré sur un « Topsite », c’est-à-dire un serveur FTP ultra-secret et à haute capacité de stockage et de débit. Il est géré par un « siteop », un opérateur de site, qui décide quels « Release groups » peuvent y accéder. Ces derniers deviennent alors des « Affiliés ». Mais le but est évidemment de maximiser la diffusion dans le monde. C’est pourquoi il existe aussi des groupes de « Couriers », qui ont accès à plusieurs « Topsites » et dont le but est de repérer les nouveaux contenus et de les répliquer ailleurs. Cette fonction, toutefois, est de plus en plus automatisée par des scripts.

À partir de ces « Topsites », d’autres « traders » vont pouvoir récupérer ces contenus et les amener vers les sites accessibles au grand public. L’utilisateur final, de son côté, n’imagine pas toute la complexité qui se cache derrière son acte illégal de téléchargement.
C’est en tout cas toute cette mécanique secrète qui a été largement mise à mal par l’action coordonnée des forces de police. The Scene va-t-elle survivre à ce mauvais coup ? Difficile à dire, mais en ligne comme ailleurs, la Nature a horreur du vide… 

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Gilbert KALLENBORN