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Brevets logiciels: l’alliance EuroLinux veut faire plier Bruxelles

Le projet européen de rendre bientôt brevetables les logiciels déchaîne les passions. Petits éditeurs informatiques et partisans du logiciel libre parlent d’une grave atteinte à l’innovation.

Les petits éditeurs de logiciels et la communauté du logiciel libre se met en branle contre le “Moloch” européen. Au mois de novembre prochain, la Commission européenne compte en effet rendre les logiciels brevetables dans le cadre d’une refonte totale du système d’attribution des brevets.“C’est la mort des petits éditeurs et du logiciel libre “, estime Jean-Paul Smets-Solanes, de l’AFUL, association membre de l’alliance EuroLinux.” Les brevets ne protégeront pas plus les éditeurs, mais ils leur coûteront très cher. Les grands éditeurs ont suffisamment d’argent pour déposer de multiples brevets et ils n’hésitent pas à s’échanger des licences. Mais, pour les petits, les conséquences d’une telle décision peuvent être catastrophiques “, ajoute-t-il.Le coût moyen d’un brevet européen est de 30 000 euros ?” trois à quatre fois plus qu’aux Etats-Unis ou au Japon ?” pour une durée de dix ans. L’alliance EuroLinux, un groupement d’éditeurs de logiciels européens et d’associations de promotion des logiciels libres, a donc décidé de lancer une pétition contre les brevets logiciels.

Le brevet crée un monopole

En Europe, la protection des logiciels se fait traditionnellement grâce aux droits d’auteur. Tout en protégeant contre la copie illégale, ils permettent de reprendre les idées développées par un logiciel tiers pour les intégrer dans son propre produit. Le brevet, au contraire, accorde un titre de propriété sur une innovation pour une période déterminée, créant de facto un monopole pour l’entreprise propriétaire du brevet.Les logiciels sont pour l’instant exclus de la liste des inventions brevetables. Cependant, une machine fonctionnant avec un logiciel est considérée comme brevetable. Ce subtil distinguo a permis à l’Office des brevets européens (OEB) d’enregistrer déjà plus de 10 000 brevets logiciels en toute illégalité, selon EuroLinux.” L’OEB essaie d’étendre le champ de la brevetabilité “, explique Jean-Paul Smets-Solanes. ” Ces experts en propriété industrielle se moquent bien de protéger l’innovation. Pour eux, plus de brevets c’est plus d’argent gagné et peu importent les conséquences “, accuse-t-il.L’Europe a pourtant décidé d’adopter la politique des brevets logiciels, tout droit importée des USA et défendue par le président américain Bill Clinton. Une décision ubuesque alors même que de nombreux observateurs estiment les brevets américains ingérables. Selon certaines estimations, l’Office des brevets américains ou PTO (Patent Trademark Office) enregistrera environ 100 000 brevets logiciels cette année. Plus que les techniques logicielles, ce sont les méthodes d’affaires utilisant des techniques informatiques qui sont brevetées.

L’exemple américain est effrayant

Ainsi, le site Priceline.com a fait breveter l’idée de mettre aux enchères sur Internet les places restées vides dans un avion, en utilisant des bases de données. Conséquence : Priceline.com jouit d’un monopole de vingt ans sur ce business et personne ne peut le concurrencer sous peine de violer le brevet déposé. De plus, bien qu’étant largement déficitaire, cette société est, grâce à son monopole, littéralement arrosée d’argent par les capital-risqueurs. Fin 1999, la société Barnes & Nobles a dû renoncer à une méthode permettant aux cyberacheteurs de faire leurs courses en un seul clic de souris. En effet, son concurrent Amazon.com possédait un brevet, baptisé 1-Click, sur cette technique logicielle.Le comble du ridicule a été atteint en 1993 par la société Compton’s New Media. Elle a déposé un brevet sur les procédés et concepts technologiques permettant la recherche d’information dans une base de données. Sous la pression des industriels du logiciel, le PTO a soumis, en toute illégalité, le brevet à un second examen et a décidé de l’annuler.

Un système qui bloque l’innovation

Rien de très rassurant pour les éditeurs européens, d’autant plus que le système est accusé de favoriser les entreprises peu innovantes. Selon Frank Hoen, président de NetPresenter, “Les analystes financiers doivent être conscients que le système de brevets logiciels, tel qu’il a évolué aux Etats-Unis, provoque de nombreux conflits juridiques, sans pour autant parvenir à protéger les vrais inventeurs et les investisseurs dans le domaine du logiciel “.Toujours d’après Frank Hoen, “c’est un système qui permet à des société pourvues de départements juridiques puissants, et souvent peu innovantes, de s’approprier ou de bloquer le travail de concurrents innovants. Comme l’ont montré des économistes du MIT et de Harvard, un système fondé sur le droit d’auteur, ou sur un droit sui generis similaire, protège bien mieux les investissements dans l’édition de logiciels que ne le fait le système des brevets américains dans son état actuel.”Une opinion qui mériterait l’attention des instances européennes au moment où les Américains déposent des brevets sur des méthodes d’éducation utilisant des réseaux d’ordinateurs. Et si quelqu’un, demain, déposait un brevet sur une technologie réseau permettant à un enseignant d’instruire à distance ses élèves. Grâce à la Commission, toutes les universités en ligne d’Europe devront-elles lui payer des royalties ?

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Antonin Billet