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Dishonored 2 : entrez dans les coulisses du studio Arkane 

Imaginer, concevoir, donner vie à Dishonored 2 n’a pas été une mince affaire, ainsi qu’on a pu le constater dans les locaux mêmes du studio.

Se promener dans les environs des nouveaux studios d’Arkane suffit pour avoir la sensation d’être en présence d’un bifront, d’un Janus : les locaux sont bordés, d’un côté, par une rive abrupte, boisée, presque sauvage, de la Saône, de l’autre par des voies ferrées, des bâtisses en construction et, plus loin encore, de l’A7 et ses promesses de soleil. Arkane, on le dirait en équilibre entre ces deux extrêmes. En fait, tout dans le studio, ou dans son actualité récente, renvoie à cette dualité, à ce double visage : le duo Raphaël ­Colantonio/Harvey Smith, les deux directeurs créatifs qui veillent à la cohérence de la production arkanienne ; les deux studios, le premier à Lyon, le second à Austin (Texas) ; le développement conjoint de deux jeux, Dishonored 2 et Prey, etc. 

Telle la divinité romaine, Arkane a autant le regard tourné vers le passé qu’en direction du futur, rappelant le studio Looking Glass (cité à de nombreuses reprises durant les interviews) par sa méthode de travail ou ses productions, mais toujours concentré à produire des jeux d’aujourd’hui, inspiré, mais non engoncé dans un âge d’or de « l’immersive sim ».  Enfin, il y a Corvo et Emily, les deux personnages jouables dans Dishonored 2.

Parallèlement à cette dualité, il y a la prise de conscience que, pour Arkane, créer une suite est une première. Romuald Capron, COO et directeur de production, rappelle : « On s’est rendu rapidement compte que notre concurrent, c’était Dishonored 1. C’est difficile de faire la suite d’un jeu qui a fonctionné. » Tellement difficile que certains membres de l’équipe ont besoin de se rassurer, comme Sébastien Mitton, directeur artistique : « Sur le premier, avec Victor Antonov (directeur artistique du premier Dishonored), on se présentait comme un outsider parmi les suites de AAA.

Notre message était : “Nous, on fait du créatif, eux, de l’argent.” Et là, on fait le deux… [rires] Pour me rassurer, je me suis dit que Terminator 2 était une suite meilleure que l’original. Et puis, on ne pouvait pas refuser une suite à Bethesda. » La question qui se pose alors pour l’équipe est simple : faire du nouveau, oui, mais comment ? Peut-être d’abord en imaginant un nouveau lieu d’action, l’île Karnaca, la capitale de l’île Serkonos.

Civilization XVIII

« On aime l’artisanat, le savoir-faire », commence Sébastien Mitton. Leur île, Mitton et ses artistes l’ont choyée, l’imaginant d’abord sauvage, puis envahie, colonisée, notamment par les pêcheurs de Dunwall. Des mines, une carrière qui dévisage la forêt et traverse en partie Poussièreville, des quartiers à l’architecture variant en fonction de l’origine des colons, tout Karnaca hurle son histoire, « ce cauchemar » dont Stephen Dedalus, héros de l’Ulysse de James Joyce, « essaie de se réveiller ». Et pour réussir ce pari, Mitton est revenu aux sources, aux leçons apprises dans les écoles d’art : le tissu, le tombé, les plis, les muscles saillants sous la toile, les règles de la construction d’une image, la qualité de l’éclairage, sa manière de frapper chaque élément… « On a des banques de données plein la tête, sourit Mitton.

Avec Jean-Luc Monnet, lead concept artist, on s’envoie des SMS pendant Des racines et des ailes : “Regarde ça, ça tue ! » Et Karnaca est vivante, il y a ces graffitis sur les murs (une résurgence de The Crossing, un des jeux annulés du studio), les murs qui suintent leur passé, les meubles et les statues qui transpirent la richesse de sa classe dominante. Si Dunwall était toute de pierre, Karnaca, elle, se fait de bois, de celui qui couvre toute la partie sauvage de l’île et dont les essences les plus précieuses sont exploitées pour les intérieurs les plus huppés. Le reste, c’est la poussière de Poussièreville, toujours à flotter dans l’air. C’est là, à Karnaca, que le destin de Corvo et Emily va se jouer. 

Réimaginer Emily

Personnage secondaire du premier volet, Emily Kaldwin, future impératrice et fille du Corvo, est donc désormais jouable, suite à une demande des joueurs, mais aussi à une volonté du studio de creuser le personnage. Mais sa recréation – elle est désormais adulte – n’a pas été de tout repos, ainsi que l’explique Dinga Bakaba, lead designer et producteur : « De base, les deux héros avaient la même palette de pouvoirs. Et puis, on a embrassé les possibilités offertes par le personnage. Mais, même avec des pouvoirs différents, elle devait être aussi capable que Corvo, puisque c’est sa fille. Un peu comme Bruce Lee et Brandon Lee ! »

Pour autant, Emily manie la dague avec plus de vivacité, d’entrain et de jeunesse qu’un vieillissant Corvo. « Pour les pouvoirs, il y avait un challenge : trouver un équivalent à Blink (« clignement » en français), le pouvoir de base de Corvo. Blink implique une certaine manière de jouer, façon infiltration rapide. On ne voulait pas perdre ça. Il y a eu plusieurs options, puis on a trouvé Reach (« longue portée » en français) qui est assez différent. Blink, ça marche bien en réaction, en panique. Reach, il faut cibler quelque chose et les ennemis peuvent te voir passer. Mais tu peux aussi te propulser avec, comme si c’était un lance-pierres, lorsque tu cours et utilises Reach en même temps. »

En effet, véritable grappin, ce pouvoir permet de se saisir des pans de murs, des parois, mais aussi des objets ou des adversaires qu’il est alors possible d’éliminer d’un coup de dague. Reste que ces pouvoirs ne seraient pas intéressants sans un level design approprié.

Du level design

« On voulait pousser plus loin l’idée de missions à thème, explique Romuald Capron. On s’est rendu compte que, dans le premier Dishonored, les joueurs avaient apprécié les missions comme la fête masquée chez Lady Boyle. D’où la volonté d’avoir un thème fort par mission. à Poussièreville, il y a les tempêtes de sable qui réduisent le champ de vision, ainsi que les deux factions que l’on peut aider ou trahir. Il y a la mission où l’on voyage dans le temps ou celle se déroulant dans la maison mécanique. »

Pour Arkane, et plus particulièrement pour les level designers, ces deux niveaux ont constitué de véritables challenges, révèle Christophe Carrier, lead level design director : « J’aime les jeux où je suis surpris. Pour des tas de jeux, tu sais que tu vas faire la même chose jusqu’au bout. La mission Lady Boyle du premier volet, tout le monde en a parlé. Parce que, tout d’un coup, le jeu change complètement, tu peux discuter avec les gens, il y a une énigme. Le voyage dans le temps, c’est une idée qui m’est venue lors de notre travail sur BioShock 2. L’avatar a des flashs du passé, et on avait construit un niveau où le joueur était projeté dans le passé, mais c’était chronométré. Je m’étais dit : “C’est mortel !” ça m’avait donné plein d’idées de level design. C’est revenu sur Dishonored 2. Il y a une équipe d’étudiants chinois qui avait fait un prototype, The Void, je crois, dans le même genre. Dans la créativité, tu as toujours l’impression d’avoir une bonne idée, et voilà que d’autres la font avant toi. ça flotte, tu te branches sur une sorte de truc. Dans cette mission, on enlève les pouvoirs du joueur et on lui donne cet outil pour voyager dans le temps. Quand on a présenté l’idée, toute l’équipe nous a regardés, genre : “Vous faites chier !” Dans cette map, tu en as en fait quatre qui tournent en parallèle, et on passe de l’une à l’autre en fonction des actions du joueur, avec des changements drastiques de level design dans certains cas. »

Ainsi que le souligne Carrier, c’est cependant le niveau de la maison mécanique qui a le plus questionné l’équipe des level designers : « Un joueur, ça se perd facilement. Alors, imagine pour un niveau qui est modifié en permanence où tu mélanges ses repères visuels à chaque fois qu’il appuie sur un bouton. C’est un truc de geeks. J’ai fait des recherches sur ce qui se faisait ; des Japonais pour gagner de la place ont des appartements qui se transforment. La maison mécanique, c’était paniquant pour l’équipe, et même pour nous, c’est un vrai risque. Avec les playtests, on a vu que les joueurs apprécient vraiment le niveau. » En effet, pour vérifier la validité de son game design, Arkane a fait appel à des joueurs, et certains youtubeurs qui, selon Carrier, « ont retourné le jeu. On n’arriverait pas à faire ce qu’ils font. Le fait que ce soit du systémique, ça permet ça. Parfois, ça fait des bugs, mais, chaque fois qu’on trouve une combinaison bizarre, on l’exploite. » Exploiter les bugs, les transformer en mécaniques, il n’y a peut-être qu’à Arkane que l’on voit cela.

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Raphaël Lucas - The Game