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Carl Pei, co-fondateur de OnePlus : “Je veux changer le monde”

Le jeune co-fondateur de OnePlus Carl Pei était de passage à Paris à l’occasion de la présentation du OnePlus X. De la vente de vêtements sur internet à la conception de smartphones, Carl Pei est un touche-à-tout autodidacte qui rappelle forcément certaines grandes figures de l’industrie.

OnePlus a lancé début novembre le troisième smartphone de sa courte existence, le OnePlus X. Une réussite en matière de design et des performances de milieu voire haut de gamme… le tout à un prix low cost, ou presque. Un modèle dans la lignée des deux premiers smartphones de la gamme, en somme. Avant OnePlus, aucune marque n’était parvenue à associer ces deux conceptions opposées. La double culture chinoise et scandinave de Carl Pei, co-fondateur de la société, n’y est pas étrangère, forcément. 

01net.com  – Chine, Etats-Unis, Suède… Comment, si jeune, se retrouve-t-on à voyager autant ?

Carl Pei – Je suis né à Pékin, en Chine. Mes parents étaient encore étudiants et voulaient vraiment étudier aux Etats-Unis, pour y faire de la recherche, alors nous sommes partis y vivre. J’étais très jeune, j’avais 4 ans. Deux ans plus tard, lorsque j’avais 6 ans, nous avons finalement déménagé en Suède. Mes parents voulaient y passer leur PhD. C’est dans cet environnement que j’ai grandi, au milieu de mes deux parents qui poursuivaient chacun leurs études supérieures. Au collège (en 6è), j’ai eu la chance d’avoir un professeur génial qui travaillait auparavant pour IBM. Ils nous a appris à développer en HTML des sites très simples, qu’on hébergeait sur le service GeoCities. J’ai continué à créer des sites par la suite, notamment dédiés à l’univers des Pokémon et de Dragon Ball Z. A 14 ans, j’ai ensuite créé l’un des plus gros sites de téléchargement de jeux vidéo pour Windows. Quand j’étais en Suède, j’ai eu vent de ce qui se passait en Chine, de sa très forte croissance économique. Tout ceci m’était étranger, parce que j’ai quitté le pays très jeune. alors j’ai décidé d’aller en Chine par mes propres moyens, après le lycée et d’y rester pour voir quelles étaient les opportunités sur place.

01net.com – Vous parliez chinois ? Que fait-on en Chine à 17 ans, sans contact sur place ?

C.P. – Oui, je parlais chinois parce qu’on le pratiquait à la maison avec mes parents, mais j’étais incapable de le lire à ce moment-là. En Chine, j’ai commencé ma propre affaire d’export. Au début, elle était très basique, je ne connaissais rien de ce milieu, alors je suis juste allé au distributeur de billets et j’ai retiré tout ce que je pouvais. Ensuite, je suis allé sur le marché des PC et j’ai acheté toutes sortes de produits qui me plaisaient. C’était ma façon de sélectionner les produits que j’allais vendre. Je suis rentré à la maison, j’ai pris des photos de tous ces produits, et j’ai monté un joli site pour les mettre en valeur, et les vendre à des acheteurs américains et européens. On a commencé avec des lecteurs MP3 et MP4, et finalement, nous nous sommes mis à vendre des vêtements, et uniquement des vêtements. Nous sommes devenus de plus en plus importants, alors j’ai demandé à un ami suédois du lycée de me rejoindre dans l’aventure pour s’occuper du service client. Et j’ai embauché un employé en Chine pour gérer les expéditions. Par la suite, nous avons décidé de nous adresser directement aux fabricants, alors nous nous sommes rendus dans une usine. Nous leur avons acheté du stock, et nous avons apposé notre logo sur les produits. C’étaient vraiment des produits bas de gamme, que les gens achetaient surtout pour le prix. Nous étions en 2008. Mais pour mes parents, ma petite entreprise n’était pas quelque chose de suffisamment sérieux, alors ils m’ont demandé de revenir en Suède pour poursuivre mes études. C’est ce que j’ai fait. J’ai donc repris l’université.

01net.com – Comment passe-t-on du textile à l’électronique ?

C.P. – Mon site de vente a continué quelques temps mais des poids lourds comme H&M et Zara ont pris une telle ampleur qu’il était difficile d’exister. Les gens n’avaient plus besoin d’acheter sur un site chinois, ils avaient accès à des prix compétitifs juste à côté de chez eux. Mais les affaires m’ont manqué lorsque j’étais à la fac, alors j’ai monté un petit site de vente de codes Xbox Live. Une façon pour moi de me faire un peu d’argent de poche quand j’étais à la fac. Puis j’ai quitté la fac au moment où je devais rédiger ma thèse. Ma thèse devait traiter du marché des achats groupés, de type Groupon, mais elle m’a surtout incité à monter ma propre affaire, un agrégateur de sites d’achats groupés. Ce projet m’a pris tellement de temps que je n’ai pas pu me consacrer à ma thèse. Mais ce n’est pas la seule raison. En trois ans d’école de commerce, nous n’avons pas parlé une seule fois d’e-commerce, de technologies, alors que nous étions dans une école de commerce en Suède qui était censée être l’une des meilleures au monde. Nous n’avons rien appris à propos de cette nouvelle économie qui se mettait en place. J’étais très déçu parce qu’ils (les enseignants, ndlr) ne nous apprenaient pas comment réussir dans le monde moderne. C’est pour cette raison que je n’ai pas eu mon diplôme. 

01net.com – Sans diplôme, sans formation, comment avez-vous fait pour vous lancer dans le numérique ?

C.P. – Je me suis retrouvé chez moi sans diplôme, sans travail. J’avais entendu parler d’un incubateur très en vogue dans la Silicon Valley, Y Combinator (Airbnb, Dropbox, Reddit, Scribe…) par un ami qui l’avait rejoint. J’avais vraiment très envie de le rejoindre là-bas, mais l’incubateur était surtout à la recherche d’entrepreneurs avec un solide bagage technique. Mes compétences sommaires en HTML ne suffisaient pas, alors j’ai passé 4 mois à étudier le code en Suède, enfermé chez moi. A cette époque, je me souviens avoir discuté avec des amis qui me demandaient : «Tu es à la fac ?». Je leur ai répondu « – Non, je ne suis pas à la fac. – Tu as un boulot ? – Non, je n’ai pas de boulot. – Mais pourquoi tu ne te trouves pas un boulot ? – Le boulot que je cherche n’existe pas – Prends-toi n’importe quel boulot ! -Comment ? Mais pourquoi je prendrais n’importe quel boulot ? » Prendre le premier boulot qui passait était un concept qui m’échappait totalement. Pourquoi j’investirais mon temps dans le seul but de récupérer de l’argent ? Je cherchais autre chose, je cherchais une activité dans laquelle je pourrais vraiment m’épanouir.

Puis j’ai reçu un appel de Chine, d’une marque de smartphone assez connue localement à l’époque, Meizu. J’étais fan de cette marque parce qu’elle faisait de très bons lecteurs MP3, et j’avais monté une page Facebook en suédois dédiée à la marque qui a eu tellement de succès que même le Los Angeles Time en a parlé. Du coup, le CEO de Meizu voulait me parler. A cette époque, ils voulaient se développer en dehors de Chine, alors ils m’ont appelé pour les aider. Je suis donc retourné à Hong-Kong, mais au bout d’un an, il est apparu que Meizu devait se reconcentrer sur le marché chinois pour des raisons économiques. Je me suis retrouvé à devoir travailler uniquement sur le marché chinois, que je connaissais finalement très peu, alors que j’étais venu pour m’occuper de leur stratégie internationale. Je me suis mis alors à la recherche d’un nouveau projet. 

« Je veux changer le monde »

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’autre fondateur de OnePlus, Pete Lau. Il était alors le vice-président d’Oppo. Je l’ai simplement contacté par les réseaux sociaux pour lui dire que je voulais le rencontrer. Il m’a répondu dans les 5 minutes, ce dont je ne m’attendais pas du tout. Je me demandais : « Mais pourquoi me répond-il aussi vite ? » On s’est rencontré, j’avais 22 ans, et je lui ai dit tout simplement : « je veux changer le monde ». Il m’a répondu « Ok ». Il n’avait jamais entendu quelqu’un dire une chose pareille. Il m’a donné deux semaines pour élaborer une stratégie pour Oppo. Ce que j’ai fait. Il a aimé mon plan, et m’a embauché pour m’occuper de l’ensemble du marketing. Au bout de 10 mois, des rumeurs évoquaient un départ de Pete, et j’étais profondément déçu parce qu’il m’avait embauché il y a quelques mois à peine sur la base d’un projet qui me tenait vraiment à coeur. Une fois remplacé, rien ne me garantissait qu’Oppo n’allait pas vouloir changer de cap. Je l’ai rencontré en privé, et il s’est avéré qu’il ne m’en avait pas parlé parce qu’il estimait que mon travail chez Oppo était capital. Mais je lui ai dit que je voulais aussi créer une nouvelle société à partir de zéro, que ça ne m’intéressait pas de travailler avec des gens avec qui je n’avais aucune affinité. On a conclu un deal : si j’arrivais à trouver mon propre remplacement chez Oppo, il accepterait de m’embarquer avec lui dans l’aventure. C’est comme ça que j’ai rejoint OnePlus dès le début.

01net.com – OnePlus a lancé son premier smartphone en avril 2014, qu’est-ce qui a changé depuis, en 18 mois ?

A l’époque, on a monté une grosse équipe exclusivement chinoise parce que nous étions convaincus que le marché de OnePlus serait chinois à 99%. Nos actions à l’international étaient gérées par une toute petite équipe, très jeune. Mais au lancement du OnePlus One, on s’est vite rendu compte de notre erreur. Plus de 60% des ventes étaient réalisées à l’international. Nous avons dû revoir tous nos plans, pour grossir plus vite mais sans prendre trop de risques non plus. Aujourd’hui, nous réalisons 80% de notre chiffre d’affaire en dehors de Chine. Nous sommes donc en train de monter des équipes dédiées à chaque zone majeure.

01net.com – Vous avez comme ambition de changer le monde. Avec OnePlus, vous pensez enfin y parvenir ?

C’est difficile à dire, en fait. A ce stade, c’est encore trop tôt. Si l’on regarde l’histoire d’Apple, la société était encore une toute petite entreprise deux ans après sa création. Donc on pourra devenir une marque incontournable dans dix ans peut-être, ou bien disparaître, nul ne sait. Mais ce qui est sûr, c’est que OnePlus a un impact majeur aujourd’hui, sur une industrie qui évolue très rapidement. Certaines marques très connues par le passé sont en train de disparaître, petit à petit. Peut-être que si nous évitons la faillite dans les 3 à 5 ans à venir, nous pourrons prétendre à devenir une marque mondiale de poids.

01net.com – Avez-vous le sentiment que OnePlus a fait évoluer le marché ? Quel est son impact selon vous ?

OnePlus ne devrait même plus exister aujourd’hui ! A l’époque où nous avions monté la société, 4 ou 5 concurrents sont apparus sur le même segment que nous, avec le même objectif. Mais OnePlus est la seule marque à avoir réussi à s’exporter en dehors de Chine avec autant de succès. On le doit certainement à notre ADN international. Dès le début, l’équipe de OnePlus était constituée de collaborateurs de 5 pays différents, et moi-même, je me considère comme un pont entre les cultures occidentale et orientale. 

Amazon a perdu près de 300 millions de dollars avec Fire Phone, notamment parce que l’inventaire était mal géré.

Même un an après la création de OnePlus, on a observé l’arrivée de beaucoup de concurrents qui ont tenté de nous copier, mais je pense que c’est très difficile de réussir à dimensionner correctement un projet industriel sans finir en faillite. Amazon a perdu près de 300 millions de dollars avec le Fire Phone, notamment parce que l’inventaire était mal géré. C’est énormément d’argent, et un nouvel entrant ne peut se permettre un tel échec. La plupart des concurrents de OnePlus n’ont pas eu beaucoup de succès. Par ailleurs, les gens sont fatigués de voir arriver des centaines de nouveaux smartphones qui ne sont finalement pas si différents les uns des autres. Le marché n’a pas connu d’innovations majeures depuis le lancement de l’iPhone en 2007. Ils sont juste de plus en plus rapides, de plus en plus beaux… Du coup tout le monde se copie, et on voit par exemple un acteur historique comme Samsung s’inspirer de OnePlus avec sa gamme A, vendue exclusivement en ligne ou presque et positionnée sur le même segment que nous en Inde, en Chine et toute l’Asie.

01net.com – Le système d’invitation vous a permis de régler le problème d’inventaire, est-il voué à perdurer ?

Le problème avec la gestion des inventaires, c’est qu’on ne peut pas prendre le risque de produire trop de smartphones. Si on surévalue les ventes, nous nous retrouvons dos au mur avec un seul échappatoire : baisser le prix pour écouler le stock. Et comme nous réduisons au maximum nos marges pour vendre à un tarif le plus bas possible, nous perdrions de l’argent. Nous sommes déjà à un seuil de rentabilité très limite. Cependant, nous sommes conscients que le système d’invitations génère beaucoup de frustration et de mécontentements. Nous sommes en train de chercher des moyens d’améliorer le processus. Ainsi, nous avons récemment étendu la durée de validité des codes, de 24 heures à 3 jours. Et nous allons également organiser davantage de ventes sans code. En décembre, il y en aura chaque semaine. Nous allons donc rendre les achats de plus en plus simples, également parce que nous nous rendons compte que nos produits intéressent aussi les utilisateurs qui ne sont pas forcément des geeks ou des technophiles. Ces derniers doivent pouvoir nous rejoindre plus facilement.

01net.com – Avez-vous des projets dans les objets connectés ?

Nous n’avons pas de projets d’objets connectés dans les tiroirs. Nous avons décidé que ce n’était pas le bon moment, que nous devions nous concentrer sur une chose, que nous devions faire le mieux possible. Et nous avons déjà suffisamment à faire avec nos smartphones. Nous devons nous assurer qu’ils se vendent bien, que nos clients sont contents.

01net.com – Pourquoi avoir lancé le OnePlus X ? Pourquoi lui avoir donné ce nom ?

Nous sommes déjà bien connus des technophiles, les early adopters, mais nous le sommes beaucoup moins de ceux qui s’intéressent de loin aux technologies. Il est encore un peu tôt pour devenir grand public, pour lancer une campagne de pub à la télévision. Nous devons d’abord nous faire connaître davantage du grand public, et dans cette optique, nous avons décidé de miser sur un design très premium. Nous avons surtout misé sur cet aspect, même si le OnePlus X fait très peu de compromis techniques. Il est à la fois beau et puissant. Quant au prix, nous n’avons pas cherché à faire le produit le moins cher possible. Nous avons simplement établi un cahier des charges technique, puis conçu son design. On a ensuite regardé ce qu’il nous coûtait à produire, puis nous avons mis un prix au bas de la colonne. Certains nous ont demandé pourquoi on ne lançait pas un smartphone à 100 euros. en Inde, ce marché est florissant et il se vend des millions de smartphones à ce prix. Mais nous ne pouvons pas faire un bon smartphone à ce prix, c’est impossible, donc nous ne le ferons pas. Pourquoi l’avoir appelé « X » ? X, ça peut dire n’importe quoi. En math, le X désigne des possibilités et des expériences infinies. Et dans un sens, le X définit notre propre expérience d’un smartphone centré sur le design.

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Christofer CIMINELLI