Passer au contenu

Le journal pas très intime

Micro Photo Vidéo : Au début des années 90, vous pratiquez la Vidéocapture. En quoi ce procédé est-il pour vous un passage naturel vers l’image numérique…


Micro Photo Vidéo : Au début des années 90, vous pratiquez la Vidéocapture. En quoi ce procédé est-il pour vous un passage naturel vers l’image numérique ?
Arnaud Baumann : La vidéocapture est un procédé que j’ai proposé à Libération pour le Festival de Cannes en 1992. Plutôt que de surmener mon appareil photo et ma santé à la recherche de la bonne photo de la bonne star au bon endroit, j’ai préféré filmer une journée de festival dans sa globalité (plusieurs heures, plusieurs points de vues fixes) pour ensuite prélever, chaque soir, parmi un nombre incroyable de rushes, les deux ou trois images capitales du jour, les mouvements imperceptibles qu’un appareil photo aurait vraisemblablement ratés. Sur mon ordinateur, j’extrayais donc, en conservant à l’image le time code (le codage temporel marqué sur la bande), une suite de trois ou quatre images créant une petite histoire sans parole, ou une émotion.
MPV : Justement, quelles ont été vos raisons et motivations pour vous tourner vers le numérique ?
A. B. : La Vidéocapture m’a fait goûter au plaisir de glaner des images inattendues au détour d’une balade, d’un défilé de mode ou d’une séance de portraits en studio. Ce côté spontané que l’on perd avec les lourdeurs financières de la prise de vue argentique, je l’ai retrouvé ensuite avec la photo numérique. Pas au début bien sûr. Dans les années 90, les appareils étaient très coûteux et décevants en terme de qualité et de rapidité. Je les ai testés sans souhaiter les acquérir. Puis, une photo primée à Cannes m’a fait gagner mon premier appareil numérique : un des tout premiers compacts Canon. Sa lenteur à peine supportable obligeait à devancer le déclenchement pour amortir le temps de latence : il fallait être hypersensible à tout, constamment aux aguets… Cela m’a appris à appréhender l’image, à prévoir l’événement. Utiliser ces compacts, c’était aussi concrétiser un rêve : avoir un ?”il au bout de mon bras et pouvoir faire le cadrage, la mise au point, les réglages techniques sans être collé au viseur. Je recouvrais ma liberté créatrice.
MPV : En 2001, vous collaborez à La lune et les étoiles, un site Internet photographique et littéraire, où vous prenez le relais pour réaliser, en temps réel, une photo par jour pendant un an. Que vous a apporté cette expérience numérique ?
A. B. : Cette expérience extraordinaire, lancée par les créateurs du site (http://www.lunetoil.net), Patrick Morelli et Alain Longuet, m’a ouvert à une dimension humaine de la pratique numérique. Avec la contrainte de réaliser chaque jour une image, je me suis senti comme un sportif de haut niveau qui s’entraîne tous les jours, qui voit ses muscles se développer. Moi, c’étaient mes sens, et mon ?”il en particulier. J’ai ressenti de nouveau mon métier comme une passion. Évidemment, ce travail est un peu compliqué au quotidien, et a bouleversé ma vie pendant un an. Mais quel pari et quelle énergie créatrice au final !
MPV : Quels sont vos outils numériques privilégiés pour ce type de projet ?
A. B. : Pour une pratique photographique au quotidien, légère et solitaire, j’utilise très volontiers un compact sans ambition qualitative démesurée, mais qui reste discret et ingénieux avec son écran mobile. Je deviens alors un photographe de cm à 2,50 m, je peux me faufiler et capter discrètement la vie, en coulisses des défilés de mode par exemple, sans déranger. Les défauts sont vite oubliés. Résolution modeste et latence au déclenchement se domptent. J’ai commencé avec mon premier Canon, puis continué avec un Nikon Coolpix à écran orientable, aujourd’hui remplacé par un PowerShot Pro 1. Son large écran et ses réglages directs et rapides me ravissent. En revanche, je ne comprends toujours pas l’intérêt d’un zoom électrique et non manuel sur ce genre de compact ; une bague manipulable serait tellement plus intuitive et économique en énergie !
MPV : La généralisation de la photographie numérique est-elle devenue une menace pour les photographes professionnels ?
A. B. : Avec le numérique, tout le monde croit pouvoir faire de la photo, comme si posséder un stylo faisait de nous un écrivain. Le numérique n’est pas responsable en soi de la médiocrité. Il y participe, mais la vulgarisation conduit aussi heureusement à la démocratisation de l’art photographique. Et il me semble évident que n’importe quel photographe expérimentateur d’un autre temps, tel que Man Ray, l’utiliserait aujourd’hui. Les gens qui vont créer demain le feront en numérique. La photo est en pleine période de mutation, et la profession souffre d’un contexte économique difficile. Mais à la croisée des chemins, je revendique l’utilisation du numérique comme positive, et garde l’espoir que la culture, le talent, la passion, la réflexion et le métier feront encore la différence.
MPV : Quel nouvel horizon professionnel vous offre le numérique ?
A. B. : Grâce au numérique, j’ai tout d’abord redécouvert un désir neuf de création. Malgré la conjoncture, il me permet de travailler même sans commande et à moindre frais. J’ai aussi la chance d’avoir accès à ce qu’il y a de mieux en technologie pro comme le reflex Canon EOS 1DS Mark II, concurrentiel des dos numériques moyen format. Je me sens très concerné par l’évolution des outils photographiques numériques et essaie de m’impliquer dans leur progrès. Je tente de motiver les fabricants pour créer un appareil qui aurait la qualité d’un reflex professionnel de type EOS avec la souplesse et l’intelligence d’utilisation d’un PowerShot.
MPV : Où en est votre travail actuel ?
A. B. : Je collabore toujours avec Dupré Santabarbara, un jeune couple de stylistes talentueux, je réponds à des commandes de photographies de paysages, je reviens au reportage, mais sans pour autant abandonner le portrait. Je collabore aussi à un site Internet artistique et collectif (http://babiloff.free.fr) et je suis chargé d’un cours à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne intitulé Pratique d’un art. Un éclectisme qui me plaît et définit bien mon parcours en général. Mon site est le réceptacle de cette diversité voulue.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Marilia Destot