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De l’émotion en vidéo

L’un a mille choses à faire avant de partir pour New York, le lendemain. L’autre accuse la fatigue d’une nuit passée à travailler. Benjamin Bejbaum s’occupe de la stratégie de Dailymotion, et Olivier Poitrey, de la partie technique.
Nous les avons rencontrés.

Lancé quasiment au même moment que YouTube, en mars 2005, Dailymotion est le numéro 2 mondial des sites de partage de vidéos en ligne, derrière la nouvelle acquisition de Google. Dailymotion ? Le nom est
anglais*, mais le site est bien français.Comme beaucoup de sites à succès, il est juste né d’un besoin spécifique de son fondateur qui, ne trouvant pas les bons outils sur le Net, a décidé de les réaliser lui-même : habitué à partager ses photos sur Flickr et ses
favoris sur Del.icio.us, deux sites américains pionniers du Web 2.0, Benjamin Bejbaum voulait partager de la même façon les vidéos qu’il avait tournées lors de son premier voyage à New York. Mais les sites qu’il a essayés étaient trop contraignants,
notamment en ce qui concernait le format des vidéos à envoyer.Il a alors imaginé un site qui accepterait n’importe quel format de vidéo et effectuerait lui-même la conversion dans un format visible par tous ?” en l’occurrence QuickTime, puis maintenant Flash Video. Il réalise une première
maquette, assez rudimentaire, de son site, et, très vite, présente son idée à Olivier Poitrey, qu’il a rencontré quelque temps plus tôt. Les deux compères s’attellent à la réalisation d’une nouvelle version, qu’ils terminent en moins d’un mois. Le
reste fait partie de l’histoire du Net…

Plus de 15 millions d’utilisateurs

Aujourd’hui, Dailymotion revendique 15,5 millions d’utilisateurs et plus de 550 millions de pages vues chaque mois, dont 60 % par des internautes étrangers. De quoi attirer nombre d’investisseurs, et, surtout, d’annonceurs :
financé exclusivement par la publicité, le site est entièrement libre d’accès. Chacun peut s’y inscrire et déposer ses vidéos en quelques clics.Mais comme chaque médaille, celle de Dailymotion a son revers : le copyright. Les internautes envoient sur le site toutes les vidéos qu’ils jugent intéressantes, et pas seulement celles qu’ils ont eux-mêmes réalisées. Clips
musicaux, extraits d’émissions, épisodes de séries TV, films entiers… On trouve de tout sur Dailymotion, même des choses qui ne devraient pas y être !

Favoriser à terme la création

Pour contrer ce phénomène, le site applique une politique de modération a posteriori : les visiteurs peuvent signaler à tout moment un contenu illicite, qui sera vérifié par une équipe de modérateurs et supprimé le cas échéant.
Il a, par ailleurs, signé un accord avec Warner Music, qui l’autorise à héberger les clips vidéos de la major, et veut développer un système de rémunération des auteurs de vidéos originales, afin d’encourager la création plutôt que la diffusion
d’?”uvres tierces* Le nom Dailymotion est difficilement traduisible : c’est un jeu de mots sur ‘ daily ‘, qui signifie quotidien mais qui fait surtout référence au site de partage de favoris Del.icio.us ;
et ‘ motion ‘, qui fait penser à ‘ motion picture ‘, l’expression anglaise qui désigne les films de cinéma.
MH : Vous semblez fatigué… On a pourtant du mal à imaginer que l’entretien d’un site comme Dailymotion, où tout est automatisé, demande beaucoup de travail !


Olivier Poitrey : C’est signe qu’on a bien réussi ! Hormis les deux géants Free et Orange, tous les autres FAI réunis consomment moins de bande passante que nous, qui sommes un simple site Web. C’est dû au fait que
nous diffusons de la bande passante à un grand nombre d’internautes dans le monde. Actuellement, Internet n’est pas taillé pour ce type d’utilisation.Par ailleurs, nous recevons plus de 10 000 vidéos par jour, et nous disposons d’un catalogue de plus de 1,5 million de vidéos d’environ trois minutes chacune. Et au lieu d’avoir quelques vidéos qui sont vues des millions de fois,
nous avons énormément de vidéos qui sont vues peu de fois. Au contraire des services de vidéo à la demande, qui proposent un nombre restreint de vidéos, on ne peut pas utiliser de système de cache pour absorber la charge. On a donc été obligés de
développer des technologies pour optimiser ce genre de trafic. On s’est aussi heurtés au problème de l’encodage, puisque toutes nos vidéos sont encodées à la volée. Il a fallu être capables d’encoder très rapidement un flux constant de vidéos et de
gérer tous les formats. Enfin, il y a des problématiques importantes de stockage. En somme, c’est une gestion d’un site énorme qui, en à peine deux ans, est devenu l’un des 100 premiers sites mondiaux. C’est difficile de gérer à la fois la vitesse
de la croissance et des challenges techniques qui sont nouveaux et inconnus.De quel équipement technique disposez-vous ?


Benjamin Bejbaum : Au début, c’était sur un hébergement mutualisé. Une machine, située dans mon bureau, faisait l’encodage, et les vidéos arrivaient de la salle serveur via FTP sur l’ordinateur de la graphiste, qui
hurlait parce qu’elle ne pouvait plus alors utiliser Photoshop ! On a finalement acheté un deuxième serveur et séparé la base de données et le Web. Avec le serveur d’encodage, on avait donc trois machines. Aujourd’hui, on a 250 serveurs situés
à Aubervilliers, Clichy et Saint-Denis, ainsi que des points de présence réseau à Paris et à Courbevoie. Au final, on a une belle boucle de fibre optique de 12 Gbit/s et on pompe plus de 45 Gbit/s de bande passante sur différents points de
transit.Pensiez-vous, au départ, que votre site diffuserait tous types de vidéos, y compris les plus inattendues. Je pense par exemple à la fameuse vidéo cachée de Ségolène Royal ?


Benjamin Bejbaum : Non. On a juste créé un outil. Puis, sur le plan éditorial, le site a fait sa vie. Lors du récent débat sur la télévision du futur, Free a demandé que Dailymotion et YouTube participent aussi au
financement de l’industrie audiovisuelle, au même titre qu’une chaîne de télévision.


Benjamin Bejbaum : Pour l’instant, on ne diffuse pas de contenu. On est une plate-forme d’hébergement où les gens déposent des contenus audiovisuels.Justement, vous revendiquez la responsabilité d’un hébergeur, ce qui vous oblige à lutter contre certains types de contenu faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, ou la pornographie
enfantine. Comment exercez-vous ce contrôle sur les vidéos ?



Benjamin Bejbaum : Il n’y a pas de contrôle a priori sur les vidéos. La loi nous permet d’exister en tant qu’hébergeur parce qu’elle ne nous impose pas de contrôler toutes les vidéos a priori. En revanche, elle nous
impose de réagir promptement si on a connaissance de ce type de cas. On a mis en place un bouton sur le site, qui permet aux internautes de signaler ce genre de dérives. Et il est très utilisé. Notre support technique reçoit ces demandes, vérifie le
contenu des vidéos et les retire si nécessaire.Pourtant, beaucoup de vidéos sont diffusées sans l’autorisation des ayants droit…


Benjamin Bejbaum : Les internautes qui déposent aujourd’hui des contenus soumis au droit d’auteur sont dans l’illégalité. On n’a pas le droit de pirater une ?”uvre, puis de la déposer et de la partager. Nous, on ne
peut agir que dans les limites du cadre légal qui est le nôtre, c’est-à-dire celui d’un hébergeur. On travaille actuellement sur l’intégration technologique du Finger Printing. Ce système permet de détecter un contenu pour peu que l’ayant droit ait
fourni son empreinte numérique au prestataire. A partir du moment où l’ayant droit nous dit ‘ mettez cette technologie en place pour empêcher mes contenus d’être déposés illégalement chez vous ‘, on
pourra le faire. AudibleMagic, qui sera a priori notre prestataire, a fait en sorte que ce soit le plus fluide possible pour l’utilisateur.YouTube a annoncé son intention de rémunérer ses contributeurs. On sait que vous n’y êtes pas opposé. Comment envisagez-vous de le faire ?


Benjamin Bejbaum : C’est évident que d’ici quelques années, aucun site de partage de vidéo qui se rémunère sur la publicité ne pourra contourner la rétribution des utilisateurs. Le bon contenu ira là où il y aura
rémunération ! C’est pourquoi nous venons de lancer le programme Motion Maker, qui est encore en version bêta. C’est un programme où les gens peuvent s’inscrire et se déclarer comme musicien, comédien, filmmaker ou reporter. Leurs vidéos
doivent alors être validées pour être acceptées dans ce programme. Cette validation est aujourd’hui faite en interne. Mais à terme, on veut fabriquer un modèle communautaire avec ce service. C’est alors la communauté qui validera les vidéos.
Progressivement, il y aura deux parties sur Dailymotion : une partie où l’on diffusera du contenu édité pour lequel on a les droits, et une partie hébergement.Comment comptez-vous faire face à l’arrivée de la HD, et donc des vidéos en haute définition d’une part, du très haut débit, d’autre part ?


Olivier Poitrey : Le passage à la haute définition sera un autre challenge. On va certainement avoir besoin de nouvelles technologies au niveau des réseaux. Avant tout, les FAI doivent être prêts pour la HD. Quant au
très haut débit, le format facile à distribuer sur le Net n’existe pas encore.YouTube a été racheté par Google. Vous a-t-on fait une offre intéressante ?


Benjamin Bejbaum : Ce n’est pas le moment de penser à ça ! On a du pain sur la planche…

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Valérie Quélier