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ZeoSync, une nouvelle arnaque à la compression

Une entreprise américaine prétend avoir découvert une méthode révolutionnaire de compression sans perte. Hélas, ZeoSync semble plutôt donner dans l’imposture.

Vous vous souvenez d’ I2bp, cette start-up qui a défrayé la chronique l’an dernier en prétendant avoir découvert une technologie de compression révolutionnaire, capable de réduire un flux vidéo à quelques octets ? Personne n’a jamais rien vu, et le fondateur de l’entreprise s’est fait oublier.En ce début d’année, le scénario se répète. Lundi 7 janvier, ZeoSync, une entreprise américaine dont personne n’a jamais entendu parler, publie un communiqué fracassant. Ses découvertes mathématiques lui permettraient de dépasser les limites de la théorie de la compression de données, et de réduire n’importe quel type de fichier à une fraction de sa taille d’origine, “sans aucune perte”. Une sorte de Zip à la puissance 10.

Une révolution dans l’informatique ?

” Nos développements marquent une nouvelle étape dans la théorie de la communication. […] Nous considérons ces découvertes comme une rupture significative avec les limites historiques des communications numériques telles qu’elles ont été détaillées à l’origine par Claude Shannon dans son traité sur la théorie de l’Information “, déclare Peter St George, PDG et fondateur de ZeoSync.Et le communiqué poursuit en précisant : Les technologies courantes de compression de données pour la transmission et le stockage sont généralement limitées à des taux de compression de 10 pour 1. Les solutions Zero Space Tuner et Binary Accelerator, de ZeoSync, une fois totalement fonctionnelles, offriront des taux de compression dont nous attendons qu’elles approchent de l’ordre de 100 pour 1.

La prestigieuse équipe de recherche de ZeoSync

Sur le site de ZeoSync on trouve plusieurs pages d’explications d’apparence scientifique, qui multiplient les références théoriques sans rien apporter de concret.Tout cela porterait plutôt à la suspicion, ne serait-ce que l’organigramme de l’équipe scientifique avancé par ZeoSync : une dizaine de mathématiciens tous issus d’universités prestigieuses ?” Harvard, le MIT, Berkeley, Stanford, l’institut polytechnique de Varsovie, l’université d’Etat de Moscou, l’université de Pékin entre autres. On y trouve même un récipiendaire de la médaille Fields (le Nobel des mathématiques) : Steve Smale, qui s’avère après vérification avoir reçu sa médaille en 1966, et être âgé aujourd’hui de 70 ans.La nouvelle est séduisante. Mais est-elle crédible ? Impossible de joindre ZeoSync. Le numéro de téléphone aboutit sur une boîte vocale, et les mails restent sans réponse.

Communication ratée

Christophe Bernard, chercheur au Centre de mathématiques appliquées de l’Ecole polytechnique et spécialiste de la compression, est allé examiner le site de ZeoSync :” A mon avis, c’est écrit par des gens qui ne sont pas au top des connaissances en compression. La description du “Layman process” avec le concept de “Gems”, entités “multidimensionnelles” est douteuse. Elle est écrite comme si ces objets étaient quelque chose de grandiose et d’exceptionnel en mathématiques, alors que c’est un concept complètement banal. La page Technology est aussi un chef d’?”uvre d’intoxication. La référence au papier de Shannon de 1948 est bien choisie (c’est le papier de référence fondateur sur la compression), mais très vite on retombe dans un charabia sans queue ni tête “, nous écrit-il.

Un taux de compression improbable

Mauvais point pour ZeoSync, mais qui n’invalide pas a priori la possibilité d’une découverte révolutionnaire, relayée par une communication maladroite. Seulement voilà : ce que revendique l’entreprise contredit les mathématiques et la théorie de l’information.En effet, il existe deux méthodes de compression, qui se différencient à la fois par les allégements qu’elles permettent d’obtenir et par la plus ou moins grande fidélité qu’elles préservent entre l’original et le fichier traité.Dans la compression avec perte, une partie de l’information de base est supprimée, pour ne conserver qu’un document allégé qui présente une ressemblance acceptable avec l’original. C’est le mode de fonctionnement de Jpeg, Mpeg, MP3 ou DivX. Cette méthode permet d’obtenir des taux de compression très élevés, de l’ordre de 1:20 à 1:100, voire plus, en acceptant une dégradation significative.Mais ce que revendique ZeoSync, c’est une compression sans perte. Cette méthode garantit que les données comprimées puis décomprimées seront strictement identiques à l’original. Pour du texte, des programmes, des données qui ne souffrent pas d’être modifiés d’un iota, c’est la seule solution”, explique Christophe Bernard.

Limites de la compression sans perte

Les technologies actuelles de compression sans perte permettent d’atteindre des taux de 1:2 à 1:5 selon la complexité des données de départ. Elles sont utilisées dans les logiciels de type Zip, mais aussi pour le stockage sur bandes par exemple.” Mais, en règle générale, on ne peut jamais garantir un taux de compression valable pour tout type de données [contrairement à ce qu’affirme ZeoSync, NDLR]. Mieux, je peux vous construire des données au format texte dont je vous assure qu’aucun logiciel de codage ne pourra les comprimer sans perte, sauf peut être par chance, mais alors d’une fraction tout à fait négligeable, comme de comprimer 100 000 octets en 99 997 , ajoute Christophe Bernard.Au regard des connaissances actuelles, les déclarations de ZeoSync ne sont donc pas crédibles (pour les acharnés anglophones, une mine de ressources sur le sujet, ici).

L’équipe scientifique n’était qu’un rêve

Mais alors, comment expliquer que l’entreprise ait reçu le soutien d’une équipe de mathématiciens chevronnés ? Tout simplement par le fait que plusieurs de ces scientifiques n’ont jamais entendu parler de ZeoSync.Ainsi, Neal Koblitz, professeur de mathématiques à l’université de Washington, serait chargé des ” courbes elliptiques “au sein de Zeosync. Interrogé par téléphone, il affirme “n’avoir rien à faire avec cette société et n’avoir jamais travaillé dans le domaine de la compression de données . Il a en fait découvert ZeoSync en recevant des e-mails de curieux ayant vu son nom apparaître dans l’équipe de la société.Rick Smith, du département de mathématique de l’université de Floride et membre présumé du même organigramme scientifique, s’est fendu d’ un communiqué sur son propre site Web. Là non plus, aucun lien ni avec ZeoSync ni avec la compression de données. Mais un début d’explication.Rick Smith raconte en effet qu’il a travaillé avec un dénommé Piotr Blass, aujourd’hui enseignant à l’université Florida Atlantic. Injoignable au téléphone mercredi 9 janvier, celui-ci est qualifié chez ZeoSync de Chief Technical Advisor. Pour Rick Smith, Piotr Blass s’est donc tout simplement permis d’ajouter son nom sur le site Web de la société sans le lui demander.

Un attrape-VC ?

Bref, l’affaire ZeoSync a toutes les apparences de la supercherie, ou pire. D’autant plus que l’entreprise annonce des prétentions fracassantes : commercialisation des premières solutions en 2003, alliances avec des majors (dont les noms n’ont pas été révélés) et avec des fabricants de puces spécialistes de la compression (dont les noms n’ont pas non plus été révélés), mais surtout levée de fonds de 40 millions de dollars d’ici à fin 2002. Pourtant, impossible de se procurer les documents destinés aux investisseurs.On soupçonne donc fortement une opération attrape-Venture Capitalist, à la mode I2bp. Le choix des technologies de compression n’a rien d’original, depuis une vingtaine d’année, c’est un domaine privilégié pour ce genre d’opérations. Les actuelles tergiversation sur laccès haut débit permettent aisément de comprendre pourquoi.

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Renaud Bonnet et Ludovic Nachury (à New York)