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VU Entertainment sur un tapis de poker yankee

Jean-René Fourtou pourra-t-il éviter la vente du pôle US de Vivendi Universal ? USA Networks, Liberty Media ou NBC sont prêts à racheter l’ancien groupe Universal.

Love me two times : Mark Harrington, analyste de la banque JP Morgan, adore donner des titres hollywoodiens à ses études… notamment celles consacrées à Vivendi Universal. Offrir une seconde vie à Vivendi : c’est bien le principal défi qui attend Jean-René Fourtou, le nouveau PDG, appelé cet été au chevet de l’empire en ruines légué par Jean-Marie Messier. Reste à savoir s’il devra sacrifier le “rêve américain” de son prédécesseur, né il y a deux ans de la fusion de l’ex-Générale des Eaux et d’Universal…Pour assurer la survie de l’entité qui prétendait au titre de “numéro 1 mondial de la communication”, JRF doit en effet trouver à tout prix du cash pour combler l’énorme dette ?”35 milliards d’euros?” due à la frénésie d’acquisitions de J2M. Et vite. Les 3 milliards d’euros de crédit obtenus au- près des banques par le “régent” de Vivendi Universal n’y suffiront pas. D’où l’annonce, le 25 septembre dernier, d’un programme de cessions de 12 milliards d’euros dans les 18 mois. Après Vizzavi (laissé à Vodafone), l’ensemble Express-Expansion-Comareg (cédé à Dassault), Canal Plus Technologie (racheté par TMM), Telepiù (obtenu par News Corp), de gros morceaux restent à vendre au plus offrant : le groupe d’édition VUP (Larousse, Bordas, Laffont, Plon…) et son pôle américain Houghton Mifflin, valorisés en bloc à 4 milliards d’euros ; le reste des filiales étrangères de Canal Plus ; l’opérateur télécoms Cegetel, si le Britannique Vodafone accepte de débourser 9 ou 10 mil- liards d’euros ; et toute une série d’actifs non stratégiques.

La petite donne des Frenchies

Jean-René Fourtou a présenté le futur Vivendi comme un groupe d’entertainment recentré sur quatre piliers : Canal Plus, Vivendi Universal Games, Universal Studios et Universal Music. Et gardant “un pied de chaque côté de l’Atlantique”. Mais rien ne dit qu’il sera en mesure de tenir la seconde partie de sa promesse stratégique. “De nouveaux emprunts arrivent à maturation en mars 2003 et juillet 2003”, relève Neil Blackley, de Merrill Lynch : 1,8 milliard d’euros sont dus en mars, 1,44 milliard d’euros en juillet… Vivendi Universal devra gérer au plus près ses ventes d’actifs pour satisfaire à ses obligations financières et garder un pied aux États-Unis. “L’exécution devra être parfaite”, avertit le même Neil Blackley.Toutefois, les Américains ne croient pas à un désengagement immédiat des “Frenchies” de Vivendi Universal Entertainment (VUE), le pôle américain du groupe qui coiffe les studios de cinéma Universal, la major mondiale du disque Universal Music et USA Networks, le groupe de télévision de Barry Diller. Car, aujourd’hui, le “juste prix” théorique de ces formidables actifs ?”valorisés dans leur ensemble à 26 milliards d’euros par Aurel Leven?” serait bien plus faible sur le marché américain. La dégringolade de Wall Street et le désamour des investisseurs pour les médias empêchent une vente rapide.En revanche, à long terme, les Américains parient effectivement sur une retraite en bon ordre des troupes hexagonales. “La partie “divertissements” sera sans doute séparée du reste et introduite en Bourse, car la nouvelle direction française de Vivendi n’a pas l’expérience pour la gérer”, tranche Neil Blackley. Pour les analystes de Wall Street, l’histoire est déjà écrite. L’ex-“pharmacien” d’Aventis, Jean-René Fourtou, ne se réinventera pas en “mogul” d’Hollywood.En revanche, les magnats américains de l’entertainment se bousculent pour participer à une partie de poker menteur dont l’enjeu est précisément VUE. Edgar Bronfman, le jeune héritier de la famille Bronfman, semblait tout désigné. Après tout, sa famille possède encore une grosse part des titres Vivendi : 4,7 %. Toutefois, les observateurs américains sont sceptiques. “Il a déjà perdu beaucoup d’argent avec son ami Messier, et le conseil de famille veut arrêter les frais”, rappelle un analyste de Kaufman Bros. Depuis la vente d’Universal à Vivendi, la valeur des actions obtenues par la famille Bronfman a chuté de 80 %…

Deux cadors blindés

Barry Diller, l’actuel responsable de VUE, et toujours patron de USA Interactive (Home Shopping Network, Ticketmaster…), paraît, lui, un candidat très sérieux. À Hollywood et à New York, tous les experts ont admiré le contrat qu’il a fait signer à Jean-Marie Messier. Lorsqu’il a vendu en 2001 son groupe de télévision USA Networks à Vivendi pour 11 milliards de dollars (11,2 milliards d’euros), quelques petites clauses en bas de page ont assuré le contrôle de cet empire pour… 15 ans !Pour se défaire de ce contrat léonin avant l’échéance, Vivendi devra payer 2 milliards de dollars au roué Barry Diller. Et si Vivendi décidait de vendre tout VUE (Universal et USA Networks), la moitié de l’argent récupéré irait dans les coffres de Vivendi Universal Entertainment. Bref, Barry Diller tient aujourd’hui fermement les commandes de l’empire américain de Vivendi. Et il aura son mot à dire, voire un droit de veto, sur tout ce qui touche son avenir. Aussi, le scénario d’un rachat de VUE par ce redoutable homme d’affaires tient la route. “Il n’aura aucun mal à trouver les soutiens financiers”, prédit l’analyste Peter Kreisky.Mais un deuxième larron, John Malone, vieille connaissance de Barry Diller, pourrait aussi participer au jeu. Son groupe, Liberty Media, possède déjà 3,43 % des actions de Vivendi Universal. Et contrôle plusieurs chaînes de télévision (Starz, Encore, Discovery…), qui s’imbriqueraient parfaitement dans l’univers VUE. Malone a les moyens de ses ambitions. En 1999, il a vendu le numéro un du câble américain TCI au géant des télécoms AT&T pour 46 milliards de dollars ! Il a gardé 2,3 milliards de dollars en poche, pour faire ses emplettes. Bref, Barry Diller et John Malone paraissent décidément bien placés pour jouer un premier rôle dans l’avenir de Vivendi Universal Entertainment.

NBC en embuscade

Mais ils ne sont pas seuls. En outsider, le grand network NBC, propriété de General Electric, fait aussi partie des éventuels repreneurs de VUE. Car il est toujours en quête de contenus audiovisuels pour remplir ses grilles de programmes. Les poches pleines de sa maison mère, GE, pourraient lui donner voix au chapitre. Et mettre un point final à la saga de Vivendi chez les Yankees. C’est devenu un proverbe à Hollywood : “À chaque fois qu’un pied tendre vient chez nous, il se fait totalement plumer.” Les Japonais de Matshushita en savent quelque chose : en 1995, ils furent contraints de céder pour une bouchée de pain les studios MCA à la famille Bronfman, qui les rebaptisa… Universal Studios ! Bref, pour Jean-René Fourtou, il s’agit donc, le cas échéant, de ne pas repartir d’Hollywood enduit de plumes et de goudron.* à New York

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Caroline Talbot* et Jean-Christophe Feraud