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Risque de carambolage sur la route des services

Des équipementiers aux éditeurs de logiciels, la télématique embarquée aiguise les appétits. Mais dans cette course effrénée, les opérateurs télécoms ont déjà pris la pole position.

Du constructeur lambda jusqu’au spécialiste des semi-conducteurs ST Microelectronics à l’autre bout de la chaîne, la voiture communicante intéresse une multitude de secteurs. Le groupe franco-italien affirmait par exemple, il y a quelques mois, que l’automobile serait son relais de croissance, en attendant la reprise du marché du PC.Même Microsoft a déjà mis un pied dans le véhicule, et rêve d’installer un système d’exploitation pour y être aussi indispensable que dans l’ordinateur familial. “Nous travaillons depuis six ans sur l’automobile. Nous avons lancé notre premier produit en 1998, l’Auto PC, que nous avons développé avec le spécialiste de l’autoradio Clarion. On le retrouve à bord de quelques Citroën en France”, retrace Alfons Stärck, le manager Europe de la division automobile du géant de Redmond.

Le client est déjà ” communicant “

Mais plus question d’importer un ordinateur personnel dans la voiture. Priorité est donnée à la déclinaison automobile de l’approche de plateforme multi-accès “.Net”. “Ce secteur peut nous apporter beaucoup, car il est très exigeant en terme de fiabilité”, reconnaît-il encore, plaisantant sur le fait que chez Microsoft, la confiance dans un produit ne commence qu’à partir de la version 3.0. Du coup, en février, Car.Net a été lancé directement dans sa version 3.5, signe de l’ampleur de l’offensive Microsoft. Reste à intégrer toutes ces bonnes volontés. “Le monde de la high-tech évolue plus vite que l’architecture du véhicule”, résume Jean-Luc Maté, vice-président en charge des systèmes électroniques de l’habitacle de l’équipementier Siemens VDO Automotive. Or, en attendant que la voiture soit pleinement communicante, l’homme, lui, l’est déjà avec son mobile et son PDA.“La première brique sur laquelle il faut s’appuyer, c’est le téléphone du client, car il ne comprendrait pas devoir se passer de ses services lorsqu’il est dans sa voiture”, admet Bruno Simon, de Renault. Cependant, l’automobile et le téléphone portable sont deux outils d’indépendance. Et chacun rechigne à laisser l’autre prendre le pas. Le conducteur, lui, vit déjà le rapprochement des deux, les clés de la voiture dans une poche, le téléphone dans l’autre.Avec le système de téléphonie intégré, la composition vocale du numéro et le retour du son via les haut-parleurs, il peut déjà se passer de son mobile lorsqu’il est au volant. Et lorsqu’il aura oublié ses clés, il pourra bientôt contacter un centre d’appels qui commande l’ouverture des portes à distance. “La téléphonie de voiture, telle qu’elle existait à la fin des années quatre-vingt, a été cannibalisée par le mobile. La législation, en interdisant de conduire le combiné rivé à l’oreille, a permis de réintégrer le téléphone dans le tableau de bord. Cette boucle est susceptible de se répéter pour la télématique automobile et sous-tend les enjeux stratégiques du marché”, explique Max Blanchet, de Roland Berger.Avec la télématique, Renault, Peugeot, ou Citroën sortent pour la seconde fois de leur c?”ur de métier, après le financement automobile. “Mais pour autant, nous sommes des constructeurs, et non des centrales de services”, précise Bruno Simon de Renault, citant le PDG Louis Schweitzer. À chacun son métier en quelque sorte, car nul ne peut prétendre dominer la chaîne de bout en bout, de la construction et l’implantation des équipements dans le véhicule à la production des contenus, leur mise au format et leur transport via le réseau mobile.“Les constructeurs abandonnent leur tentation hégémonique. Au début, ils ne considéraient les opérateurs télécoms que comme des tuyaux. Ils avaient dans l’idée de devenir des MVNO, des opérateurs mobiles virtuels, en nous louant seulement notre réseau”, avertit Jacques Garcin, le responsable du pôle automobile d’Orange. Et, chiffres à l’appui, il résume le problème en recoupant les deux populations de clients : sur les quelque 390 millions d’Européens, 70% ont plus de 18 ans, et 30% de ces derniers ont à la fois une voiture et un mobile. De plus, ces 82 millions d’individus passent en moyenne 15 minutes par jour dans les embouteillages. “Enrichissons à ce moment-là notre client commun”, conclut-il. Mais la tentation est grande de tirer la couverture à soi, et la question de savoir qui possédera le client d’un service télématique n’est toujours pas tranchée.Pour les opérateurs, les bénéfices potentiels sont importants : l’augmentation de l’usage, du revenu moyen par abonné (Arpu) et la création de nouvelles lignes. Le tout sans investissement supplémentaire, car le GSM est présent quasiment partout, et le déploiement des réseaux GPRS et UMTS reste surtout lié à l’évolution de leur propre c?”ur de métier.Si l’opérateur est capable de mettre en ?”uvre des services vocaux, data et SMS, les services télématiques, eux, entrent dans la chaîne intime de l’industrie automobile, notamment pour les applications mettant en contact le véhicule avec le constructeur ou son réseau de distribution. Voir un tiers s’immiscer dans cette relation fait grincer les dents des constructeurs. “Ils ne savent pas gérer un client mensuellement, argumente Jacques Garcin, d’Orange. Nous sommes les seuls à assurer la continuité du service lorsque le client change de véhicule.”

Auto, telco, bobo ?

Un pied dans l’automobile, l’autre dans la téléphonie, le modèle économique de la voiture communicante est complexe : mélange de vente de matériel, d’abonnement et de facturation de prestations à l’acte, en minutes ou en kilo-octets. Certains services seront même “gratuits”, ou transparents pour le client, telle la mise à jour à distance de certains paramètres de fonctionnement du véhicule. Mais la recette de ce subtil cocktail n’est pas encore gravée dans le marbre, et il dépendra du type de service acheté par le client.Lors du Cebit, en mars, Via Michelin, la filiale numérique du fabricant de pneus et éditeur du Guide Rouge, a annoncé que ses services seront désormais accessibles aux abonnés d’E-Plus. L’opérateur mobile allemand croit davantage au concept du “conducteur connecté”. Il proposera ainsi le haut débit pour 3 euros par mois, par le biais du protocole I-mode. L’abonné de la filiale de KPN pourra consulter Via Michelin pour préparer un itinéraire, ou dénicher un restaurant, avec un abonnement service par service, facturé entre 0,25 et 2 euros par mois. En sus, il s’acquittera de 0,01 euro par kilo-octet téléchargé. Les revenus seront partagés entre l’opérateur et le prestataire de services, mais si ce contenu devait se retrouver intégré au tableau de bord, le constructeur ne manquerait pas d’exiger sa part.Que ce soient les “telcos”, les équipementiers ou les éditeurs de services, qui vendent leur contenu, nombre de sociétés poussent l’automobiliste à une plus grande consommation d’informations, quitte à se passer du constructeur en attendant que celui-ci équipe sa gamme. “Mais pour que l’équation des services télématiques soit résolue, il faudra que chacun trouve le modèle qui assurera sa propre rentabilité dans la chaîne de valeur”,prévient Bruno Simon, de Renault, qui assure : “Nous sommes prêts à faire des investissements, mais nous ne ferons pas de télématique à perte.” Et les revenus indirects, du type image de marque, nentreront pas dans son calcul.

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Maxime Rabiller