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Pourquoi la directive « copyright » déchaîne-t-elle Internet ?

Le 12 septembre 2018, les eurodéputés ont adopté la directive sur le droit d’auteur. Le texte est actuellement dans la dernière phase du processus législatif. Mais les articles 11 et 13 cristallisent plus que jamais les polémiques.

Google a encore frappé. Après la multiplication de vidéos alarmistes sur la fin annoncée d’Internet, le géant du web vient de « laisser fuiter » un montage de ce que ressemblerait sa page Google Actualités si la directive voulue par l’Union Européenne (UE) passait… Une page vierge.

Cette directive supranationale, initialement proposée par la Commission européenne en 2016, a pour objectif de clarifier certaines incertitudes juridiques et renforcer la position et la rémunération des ayants-droits face aux plates-formes numériques.

Après un rejet en première lecture à l’été 2018 et un grand nombre d’amendements, le texte a finalement a été largement validé par les députés européens – 438 voix contre 226 – le 12 septembre dernier. Depuis, la législation est entrée dans un « trilogue » entre le Parlement, le Conseil et la Commission pour finaliser le corps du texte. Après la dernière réunion du 3 décembre 2018, le vote final aura lieu en mars 2019. 

Sur les 24 articles de cette directive « copyright », deux ont particulièrement animé les débats : l’article 11, qui étend les droits des éditeurs et des agences de presse dont les contenus génèrent du trafic sur internet, et l’article 13 relatif à la responsabilité des sites par rapport au contenu qu’elles diffusent.

Article 11, entrave au partage ? 

Le premier – presque inchangé depuis la première proposition de loi – prévoit la création d’un « droit voisin », qui donnera la possibilité aux médias de réclamer le paiement d’une redevance, lorsque des plates-formes diffusent ou agrègent des extraits d’articles accompagnés d’un lien.

L’interface de Google Actualités est particulièrement visée. En réponse aux velléités européennes, Richard Gingras, dirigeant de Google Actualités, explique :

« L’article 11 peut impliquer que les services en ligne établissent des contrats commerciaux avec les éditeurs de presse pour afficher des liens hypertextes et du contenu. Les services en ligne […] devront choisir avec quels éditeurs ils travailleront. Aujourd’hui, plus de 80 000 éditeurs dans le monde peuvent apparaître dans Google Actualités, mais l’article 11 réduirait considérablement ce nombre. »

Les adversaires du droit voisin dénoncent également une taxe sur l’hyperlien et une attaque contre les snippets (vignettes qui accompagnent un hyperlien), éléments qu’ils considèrent au partage en ligne.

« La vérité sur l’article 13 »

Quant à lui, l’article 13 prévoit que les plates-formes permettant à leurs utilisateurs de diffuser du contenu – telles que YouTube, Facebook ou Dailymotion par exemple – aient la responsabilité de contrôler ces contenus. Concrètement, les hébergeurs doivent mettre en place un système de filtrage systématique quand un contenu protégé est détecté, selon des accords préalablement passés avec les ayants droit.

Une mesure applaudie par ces derniers puisqu’elle leur garantit la protection des œuvres originales et une meilleure rémunération. Car le trafic généré par leurs contenus est extrêmement rentable pour les plateformes multimédia.

Côté GAFA, tollé général. Les géants d’Internet pointent la complexité de la mise en place un tel algorithme et des accords avec l’intégralité des ayants droit potentiels. Sans parler des frais engendrés.

Et pour cause, depuis 2015, Youtube a créé un système de filtrage très controversé qui pointe les limites de filtrage de contenu sur Internet : Content ID.

Censé protéger le droit d’auteur, ce mécanisme est à la fois contesté par les ayants droit pour ses insuffisances et par les utilisateurs pour son excès de zèle. L’algorithme est incapable de faire la différence entre du vol (par exemple, la diffusion d’un film en entier) et les utilisations licites de contenu (utilisation d’extrait pour parodier, remixer, etc.). Content ID est accusé de restreindre la création et ainsi d’amputer les créateurs d’une partie de leurs revenus.

Pour l’instant, rien n’oblige la plate-forme à opérer un accord avec tous les ayants droit et donc d’appliquer un filtrage exhaustif… Précisément ce que veut systématiser l’article 13. Les contrôles de Content ID interviendraient alors avant publication, et seraient exhaustifs et draconiens.

Vers la fin du statut d’hébergeur

C’est pourquoi la plate-forme est la première perdante avec cette législation : la directive lui imposerait d’engager des ressources et des frais pour mieux redistribuer ses bénéfices des droits d’auteur. Et surtout, elle perdrait son statut de simple « hébergeur » pour devenir juridiquement responsable des contenus qu’elle héberge.

Renversant la tendance, Google via Youtube a alors organisé une campagne anti-directive intense, cultivant sur ce terreau de mécontentement, notamment chez ses Youtubeurs. Un matraquage médiatique planétaire et protéiforme que décrypte la chaîne le Tatou dans sa vidéo.

Le cœur de la stratégie de lobby des GAFA : la menace de tout bloquer. Par laquelle, sous couvert de préoccupations citoyennes, ils invitent les internautes inquiets à « sauver » Internet. Mais, c’est justement ce pouvoir des « gros » sur Ie net que l’UE veut limiter…

Winners take it all … again 

Pourtant intrinsèquement opposés aux GAFA, les défenseurs des libertés numériques s’opposent également à cette directive. Même s’ils partagent ce combat, ce n’est pas pour les mêmes raisons. 

Outre une censure pure et simple pour ne pas payer, ces activistes numériques craignent que seules les grosses plate-formes puissent mettre en oeuvre de tels dispositifs technologiques, pénalisant ainsi les PME et start-up qui voudraient se lancer sur le marché, et renforçant la centralisation d’Internet. 

Sans mâcher ses mots, La Quadrature du net dénonce des « mesures aussi inédites que délirantes ». Et va plus loin : l’association redoute un usage abusif de cette surveillance organisée, sous couvert de la lutte contre le terrorisme, soulignant une décision « totalitaire » des instances européennes:

« Le Parlement européen vient d’adopter un rapport proposant, au prétexte de la lutte contre le terrorisme, de déléguer la censure du Web européen à Facebook et Google. […] imposer une censure généralisée, privée et automatisée de l’Internet. »

Ces débats soulignent la difficulté de réguler un espace comme Internet, qui censuré, perdrait son ADN : un espace de liberté et de partage. Ce qui interroge sur le véritable bénéfice – si ce n’est financier – de la directive copyright.

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Marion SIMON-RAINAUD