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Les pionniers de la Silicon Valley

Du garage d’un pavillon de banlieue californien aux sommets des classements des plus grosses entreprises de la planète, il y a quelques pas… que Hewlett-Packard a franchis, au prix d’importantes transformations.

Dans leur garage, certains rangent leur voiture et leurs outils, d’autres répètent avec leur groupe de musique. Bill Hewlett et Dave Packard, eux, y ont fondé la société qui porte leurs deux noms, devenue au fil des années l’une des plus importantes au monde et la deuxième entreprise de technologie derrière Samsung. En plus de ses 70 ans d’existence, Hewlett-Packard a fait de l’innovation le moteur de son développement, aussi bien au niveau technologique qu’en matière de gouvernance d’entreprise. Elle se trouve aujourd’hui à un moment clé de son histoire, s’interrogeant sur la conservation dans son giron de ses activités micro-informatiques et cherchant de nouveaux relais de croissance. Bill Hewlett et Dave Packard ne sont pas encore confrontés à ce genre de situation à la fin des années 30. Ils se connaissent depuis plusieurs années déjà ; tous deux sont diplômés de l’université de Stanford, et y poursuivent leur carrière. En 1938, le premier y est assistant de recherche, tandis que le second se voit proposer un poste d’enseignant-chercheur. Hewlett recherche alors une maison qu’il puisse partager avec Packard (et son épouse) afin de pouvoir y travailler. Il choisit un pavillon situé au 367, Addison Avenue, à Palo Alto (en Californie), qui a l’avantage de disposer d’un garage. C’est dans ce local d’environ 20 m2 qu’ils élaborent un premier produit, un oscillateur permettant de tester des équipements audio, baptisé Model 200A. Mais, pour le commercialiser, il faut créer une structure. Ils rassemblent 538 dollars et fondent, le 1er janvier 1939, la société Hewlett-Packard (l’ordre des noms est choisi à pile ou face). L’un des premiers clients n’est autre que Disney, qui achète huit Model 200A pour étalonner la sonorisation des cinémas projetant Fantasia, en stéréo, premier film doté d’une bande-son de ce type.Les premières années de Hewlett-Packard ? commodément abrégé en HP ? sont consacrées à la production d’équipements techniques de tests et de mesure : voltmètres, générateurs de signaux, oscilloscopes, etc. La société se forge une réputation par la robustesse de ses produits et leur précision, jugée alors supérieure à celle de la concurrence. Il en sera ainsi pendant plus de vingt-cinq ans… jusqu’en 1966.

1966, une année charnière

Pour deux raisons. D’une part, c’est à ce moment-là que sont créés les HP Labs, sous l’impulsion de Bill Hewlett et Dave Packard, qui considèrent que leurs équipes de développement ne doivent pas se préoccuper du présent, mais du futur, sans se soucier des possibilités de commercialisation immédiates ou du coût des fruits de leurs recherches. D’autre part, cette année marque l’entrée de la société dans l’ère de l’informatique, avec le lancement de son premier système, le HP 2116A. Un “ mini ” (comme on les appelle à l’époque, mais tout de même de la taille d’une armoire) conçu initialement pour automatiser le pilotage et la collecte des données des instruments de mesure de la marque. Les ingénieurs de HP lui font subir la même série de tests de solidité que celle appliquée à ses équipements de mesure. L’institut de recherche océanographique de Woods Hole est ainsi l’un des premiers acheteurs du 2116A et l’utilise pendant une dizaine d’années pour recueillir des données en mer. Le bon accueil réservé à ce premier système amène HP à poursuivre ses efforts dans le domaine du traitement automatisé des données (data processing) et à venir affronter IBM sur son terrain de prédilection.À la fin des années 60 est commercialisé le calculateur HP 9100A, une machine de bureau d’une vingtaine de kilos et de la taille d’une unité centrale actuelle. Pour la première fois, dans les publicités vantant ce produit, HP introduit la notion d’ordinateur personnel. Certes, on est encore très loin des ordinateurs actuels, mais le HP 9100A fait partie de nos ancêtres. En 1972, la société va plus loin dans la miniaturisation en proposant la toute première calculatrice scientifique de poche, la HP-35. Très vite, elle s’impose face aux règles à calcul manuelles, d’autant plus que Texas Instruments emboîte le pas à HP en sortant des produits concurrents. Malgré son prix élevé (395 $ au lancement, soit environ 2 100 $ actuels), elle se vend à 300 000 exemplaires jusqu’en 1975, date de son retrait du marché.

Un management innovant

La technologie n’est pas le seul domaine dans lequel HP est inventif. Ses créateurs vont également mettre en œuvre des méthodes de management innovantes pour l’époque, leur objectif étant d’obtenir le meilleur de leurs employés tout en les respectant. Très tôt dans la vie de l’entreprise, des bonus sont distribués, un plan de participation aux bénéfices est mis en place, une assurance santé est également créée pour tous les employés. Pour stimuler la créativité et l’échange d’idées, HP fait le choix de bureaux paysagers, et les deux fondateurs n’hésitent pas à rendre visite à l’improviste à leurs équipes et à discuter avec eux des projets en cours. Début 70, la société expérimente les horaires ajustables, puis le télé-travail dans les années 80.Pour autant, tous les projets menés par HP ne sont pas couronnés de succès. Le lancement du HP 3000 s’avère, à cet égard, chaotique. En 1971 et 1972, beaucoup de promesses sont faites par les équipes commerciales avant la livraison de ce mini 16 bits conçu pour l’informatique de gestion : jusqu’à 64 terminaux utilisateurs pris en charge, gestion de la mémoire virtuelle, système de gestion de base de données intégré, le tout à moins de 100 000 dollars. Trop de promesses, sans aucun doute. Une date de livraison est néanmoins fixée : novembre 1972. Le premier système est bien installé à cette date, mais il est incomplet : plusieurs fonctions manquent. Pire, la machine est quasi inutilisable tant elle est instable : elle n’accepte pas plus de deux utilisateurs simultanément et se bloque en moyenne toutes les 20 minutes ! C’est principalement la partie logicielle qui pose problème. De nombreux correctifs sont apportés, mais le système n’est pas à la hauteur des attentes. Au printemps 1973, suite à un mémo lapidaire de Dave Packard, le HP 3000 est retiré de la vente, HP reprend les premiers exemplaires livrés et propose à ses clients des systèmes HP 2000 de substitution. Les ingénieurs travaillent d’arrache-pied pour corriger le système d’exploitation MPE. Le HP 3000 revient sur le marché en octobre 1973, en version améliorée : 30 % plus rapide, 20 % moins cher. Par la suite, il est régulièrement mis à jour et bénéficie d’une base d’utilisateurs fidèles ; il ne sera retiré du catalogue qu’en 2001, après une carrière de presque trente ans.

Les débuts de la micro

L’autre virage que HP a du mal à négocier est celui de la micro-informatique. Au début des années 70, la société compte, parmi les employés de sa division calculateurs, un ingénieur brillant : Steve Wozniak. Sur son temps libre, il élabore plusieurs jeux et appareils électroniques, dont un prototype de micro-ordinateur, à brancher sur un simple téléviseur pour l’affichage. Le potentiel de ce dernier projet lui paraît suffisamment important pour qu’il le présente à sa hiérarchie, qui se montre intriguée mais ne le valide pas. Trop simple, pas assez cher pour HP, qui à l’époque s’adresse toujours aux entreprises, aux ingénieurs et aux scientifiques. Peu de temps après, Wozniak quitte HP et fonde Apple avec Steve Jobs, non sans un certain succès.HP viendra à la micro un peu plus tard, sous un angle très professionnel tout d’abord : en 1980, le HP-85 est officiellement le premier PC de la marque, un tout-en-un (avec écran, clavier 92 touches et imprimante) aux allures de calculateur financier. Vient ensuite le HP-150, innovant par son écran tactile, puis le HP-110, son premier ordinateur portable. Ce n’est qu’en 1985 que les premiers compatibles IBM PC voient le jour, avec la gamme de PC professionnels Vectra. Le grand public ne devient une priorité qu’en 1995, avec l’arrivée des premiers ordinateurs Pavilion.L’une des grandes réussites de HP demeure l’impression. À l’époque des grands systèmes, l’impression matricielle, lente et bruyante, règne en maître dans les salles informatiques. Les HP Labs et les équipes de développement travaillent dès lors à corriger ces deux défauts. Après quelques essais plus ou moins fructueux avec Canon et Ricoh, HP lance en 1984 la LaserJet et la ThinkJet. Deux produits qui permettront à HP de devenir, sur le long terme, un géant de l’impression. La LaserJet est une des toutes premières imprimantes laser compactes (par opposition aux imposants modèles à haut débit pour les systèmes HP 3000 et HP 9000). La ThinkJet est la première imprimante à jet d’encre ; elle utilise le même papier perforé que les modèles matriciels. Quatre ans plus tard, la DeskJet inaugure l’impression jet d’encre sur feuille A4, en noir et blanc, puis en couleur avec la DeskJet 500C en 1991. Actuellement, les gammes vont des petits modèles personnels jusqu’aux systèmes pour graphistes ou le tirage d’albums photo.Mais depuis une dizaine d’années environ, les transformations à répétition déstabilisent la société. En 1999, toutes ses activités historiques de tests, de mesures et d’équipements médicaux sont réunies dans une société distincte, Agilent Technologies.

Rachats et restructuration

En 2001, HP réalise une acquisition de poids, celle de Compaq, pour la somme de 25 milliards de dollars. Objectifs : prendre la tête du marché des PC et se renforcer sur le secteur de l’informatique professionnelle. Avec ce rachat, HP met également la main sur Digital (DEC), un des pionniers respectés du secteur, que Compaq avait repris en 1998. La proposition de fusion ne fait pas l’unanimité, les familles des deux fondateurs ne l’approuvant que du bout des lèvres. Deux autres acquisitions importantes rythment la décennie : EDS en 2008 (services informatiques professionnels), pour près de 14 milliards de dollars, puis Palm, en avril 2010, pour 1,2 milliard de dollars. Avec ce dernier, HP conforte son savoir-faire en matière de terminaux mobiles. Mais c’est surtout WebOS, le système d’exploitation mobile, qui intéresse le PDG d’alors, Mark Hurd. Problème : en août 2010, accusé de malversations financières, il doit démissionner ? une nouvelle affaire après la découverte, en 2006, de la mise sur écoute de membres du comité de direction et de journalistes pour détecter l’origine de fuites d’informations. Son successeur, Léo Apotheker, un ancien de SAP, restera sans doute dans l’histoire de HP comme l’homme qui a annoncé la fin des activités liées à WebOS et le projet de cession de la division PC, pour se focaliser sur les activités et les services à destination des entreprises. Désavoué par le comité d’administration (l’action HP a perdu 40 % de sa valeur durant l’année où il a dirigé l’entreprise), Apotheker est remplacé par Meg Whitman, ancienne patronne d’eBay. Sa première décision : maintenir les PC et tablettes au sein de HP. Et sa mission principale semble claire : permettre à la société de retrouver une stabilité qui lui a fait défaut ces dernières années.

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Christophe Gauthier