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Les grands programmes sauront-ils mobiliser l’industrie ?

Le président de la République vient d’annoncer le retour d’une certaine politique industrielle dans notre pays afin de revigorer une industrie française qui perd de son dynamisme. L’électronique est concernée.

La politique industrielle a eu ses heures de gloire en France dans les années 1960 et 1970. Le Général de Gaulle, qui en a été à l’origine, y voyait là un outil pour concrétiser ses ambitions pour le pays : assurer une
certaine indépendance militaire de la France vis-à-vis des Etats-Unis, assurer également son indépendance énergétique pour ne pas dépendre du bon vouloir des pays fournisseurs, enfin favoriser tout ce qui était communications, à savoir numériser le
téléphone, construire des autoroutes, des avions et des trains.Hors secteur informatique, cette politique a globalement réussi et a conduit au développement de champions industriels nationaux dont presque une dizaine en électronique. Cette politique industrielle a pourtant été totalement stoppée
vers 1990, pour cause de vent de libéralisme. Taïwan, la Corée et les Etats-Unis n’ont pas eu cet obstacle et ont au contraire su surfer sur la création d’industries nouvelles à coup de milliards de dollars.Les programmes mobilisateurs du président de la République ne s’inscrivent pas dans un contexte type 1960 mais dans un climat de démotivation de l’industrie implantée en France qui se traduit très concrètement par des
manques d’initiatives et d’innovations, sources de chômage.Les premières réactions des observateurs à l’annonce des programmes sont dubitatives mais pas négatives. Ce qui les inquiète le plus, en fait, c’est que le déroulement des opérations va être confié à une agence composée de
fonctionnaires et non à un ‘ grand homme ‘ motivé, et au charisme rassembleur.Il serait pourtant possible que notre président fixe à notre industrie des objectifs globaux plus compréhensibles et crédibles : oui, il nous faut retrouver une plus grande indépendance militaire vis-à-vis des Etats-Unis, qui
n’hésitent plus par exemple à interdire l’exportation vers la ‘ vieille Europe ‘ de composants stratégiques.Oui, il nous faut améliorer notre sécurité intérieure. Oui, d’après nos connaissances actuelles, seul le nucléaire peut nous garantir une autonomie énergétique économiquement acceptable au moins pour les 20 années à venir. Oui,
les meilleures communications possibles doivent rester une grande priorité nationale : la voiture intelligente demandera des infrastructures de plus en plus électronisées et sûres ; les camions doivent aussi pouvoir prendre le TGV ;
mais surtout, si tous les Européens étaient reliés à 50 Mbit/s, nous sortirions de notre ADSL ‘ 22 à Asnières ‘ et serions fatalement les premiers au monde à développer des services en ligne innovants (pour la France,
cela représente un investissement de 5 Md? à 7 Md? en sous-répartiteurs DSLAM).

Ne pas confondre recherche et innovation

A côté de cela, d’autres programmes sont possibles avec des vocations très diverses qui ne relèvent pas toutes obligatoirement de l’innovation. Par exemple, favoriser la génération simultanée de chaleur et
d’électricité dans l’habitat ferait faire de grosses économies et favoriserait une nouvelle industrie électrique : ce n’est qu’un problème d’investissement précoce à (faible) risque (les Japonais sont déjà
lancés dans l’aventure alors que les Français ne connaissent pas encore le mot ‘ cogénération ‘).Le solaire aussi est un créneau possible mais seulement un créneau pour l’instant : les prix du photovoltaïque ne baissent que de 5 % par an et il faudrait diviser les coûts par plus de 10… pour être encore deux
fois plus cher que l’électricité nucléaire !Les beaux discours oublient trop souvent de rappeler qu’il faut bien que quelqu’un paye les kilowattheures subventionnés. La pile à combustible est aussi un enjeu extraordinaire mais nous nous souvenons qu’il se
disait en 1972 que ce ne serait pas un grand produit industriel avant 30 ans. Les spécialistes évoquent maintenant 2020…Il faut en la matière garder les pieds sur terre. Certains thèmes évoqués par le président de la République relèvent encore clairement aujourd’hui de la recherche avant de pouvoir prendre la forme d’un grand programme. Il
ne faudrait surtout pas faire confondre recherche et innovation avec risque industriel financièrement admissible par coup de pouce.En cas de doute, laissons simplement les industriels faire des propositions et s’engager eux aussi financièrement. Coup de chapeau en tout cas à la filière électronique, qui est en grande partie à l’origine de ce brassage
de projets.* Directeur de la rédaction d’Electronique International Hebdo

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Jean-Pierre Della Mussia*