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” Les bases de données comportementales sont trop généralistes “

Martha Rogers, consultant en management d’entreprise

Depuis la publication, en 1993, de son best-seller The One to One Future, Martha Rogers n’a cessé d’approfondir ses recherches sur le marketing personnalisé et la relation client. Des notions qui ont pris un poids insoupçonné avec la diffusion massive d’Internet. Paradoxe ? Pas si sûr. Car en raison même de son caractère mondial, le réseau rend possible une approche à la fois globale et personnalisée de l’utilisateur final, et induit un renouvellement complet de la démarche commerciale. Dans un entretien à 01 Informatique, le gourou américain du management détaille la contribution des systèmes d’information à cette révolution inédite, celle du marketing. Peut-on faire du marketing personnalisé sans Internet ?Internet n’est pas indispensable. Si je retourne chez le coiffeur où je suis allée il y a quelques semaines, il se souvient de moi, il conna”t mes goûts, se rappelle ma coupe de cheveux. En un mot, il fait du ” one to one ” sans le savoir. Mais tout se complique s’il veut industrialiser le processus et toucher un maximum de gens. Là, il ne pourra plus faire l’impasse sur la technologie. Internet facilite cette approche, c’est tout.C’est là qu’interviennent les bases de données comportementales…Non, elles sont trop généralistes.Pourtant, c’est leur capacité à cibler les comportements individuels qui leur assure le succès !Une vraie base de données comportementale devrait pouvoir atteindre la personne visée, et pas se limiter au groupe social auquel elle appartient. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas ” la ménagère de moins de 50 ans ” en tant que telle qui nous intéresse, mais cette personne-là, qui est du sexe féminin, qui se trouve être une ménagère de moins de 50 ans et qui a, par ailleurs, tel profil de consommation… Cette dimension, essentielle, manque actuellement aux bases de données comportementales.Mais lorsqu’on a affaire à une multitude de clients, comment garantir la même qualité de relation avec chaque individu ?Lorsqu’on entreprend une démarche axée sur la relation client, il faut sélectionner les consommateurs les plus importants. Quitte à revenir sans complexe sur un comportement bien ancré : accro”tre à tout prix sa part de marché. Il faut savoir dire non à un client pour pouvoir donner ” plus ” à moins de gens. Les banques, elles, n’hésitent pas à le faire. Récemment, une grande société s’est ainsi aperçue que ses trois cents premiers clients représentaient plus de la moitié de son activité. Elle a décidé de tout focaliser sur eux. Et ça a marché ! Reste que les entreprises se concentrent trop sur le produit, et pas assez sur le service. La démarche que je prône est donc la suivante : avoir des clients, et ensuite seulement leur vendre des produits. Les entreprises font généralement l’inverse. Elles fabriquent des produits, et se demandent seulement après à qui elles vont bien pouvoir les vendre. Beaucoup de sociétés qui se sont investies, sur vos conseils, dans le marketing personnalisé, trouvent que ça revient trop cher. C’est cher, parce qu’elles ne raisonnent qu’en termes de réduction des coûts. Regardez IBM : ils ont déporté une grande partie de leur processus de commandes sur le Web. Bien sûr, c’était au départ un investissement non négligeable. Mais à l’arrivée, ils ont économisé plusieurs millions de dollars ! Alors que c’était une simple entreprise de catalogues, IBM est maintenant une véritable entreprise en ligne.Comment se situe l’Europe sur ce marché ?En Europe, les entreprises sont encore frileuses. C’est très frappant, notamment en Angleterre. Là-bas, tout ce qu’on leur dit de faire est réputé comme impossible. Cela dit, vous êtes très en avance sur les Etats-Unis dans un domaine, celui des télécoms : là, il y a une vraie concurrence industrielle et commerciale, avec une approche personnalisée du client et des mécanismes de fidélisation. Sur ce plan, je vous envie !Un tel mouvement ne risque-t-il pas de faire de l’ombre à la vie privée ?C’est tout le contraire. Une entreprise qui conna”t bien ses clients, et qui commence à les fidéliser, a tout intérêt à bien les traiter et à ne s’adresser à eux qu’à bon escient. Elle doit leur proposer des services utiles, agréables, pour eux comme pour leur famille. Sinon, on retombe vite dans le “spamming”, à savoir l’invasion incontrôlée des bo”tes aux lettres électroniques, et tout le monde est mécontent. Mais si chacun joue le jeu, alors non seulement le client ne sera pas dérangé dans sa vie quotidienne, mais en plus il se sentira flatté.Ne craignez-vous pas que cette tendance corresponde à un phénomène de mode ?Si vous pensez que les ordinateurs sont une mode, oui.

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Propos recueillis par Pierre-Antoine Merlin