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L’Amérique ne veut pas de la TVA européenne

Au nom de l’équité commerciale, Bruxelles entend appliquer une TVA sur les produits extra-européens téléchargés sur Internet. Les États-Unis se mobilisent.

” C’est malheureux à dire, mais c’est une preuve supplémentaire que les Européens ne comprennent pas ce qu’est internet. “ Harris Miller, le président de l’Information Technology Association of America (ITAA), l’un des plus puissants lobbies de la high-tech américaine, est furieux. Le 12 février, les ministres des Finances des Quinze ont décidé d’imposer une TVA sur les produits grand public téléchargeables vendus dans l’Union par des sociétés extra-communautaires. Une décision qui devrait être appliquée le 1er juillet 2003.Harris Miller n’est pas le seul à exprimer cette colère. Les géants américains du Net, Amazon en tête, désapprouvent aussi. Washington, de son côté, condamne et menace, par la voix de son sous-secrétaire au Trésor, Kenneth Dam, d’en appeler à l’arbitrage de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). En prenant cette décision, les dirigeants européens n’ignoraient pas qu’ils allaient se mettre à dos la plupart des éditeurs de logiciels, des vendeurs de musique, de vidéos ou de livres sous forme digitale installés hors du Vieux Continent. Pour l’essentiel, aux États-Unis.Personne aujourd’hui ne paraît capable de quantifier ce marché avec précision. “Mais ce n’est pas ce qui compte, dit Harris Miller. Ce qui est important, c’est l’avenir.” À l’heure actuelle, il est probable que le total des“biens digitaux” acquis par les Européens aux États-Unis ne dépasse pas, au mieux, quelques millions de dollars par an. Mais les experts prédisent une croissance exponentielle de ce marché. Et c’est la raison pour laquelle le cabinet d’études Gartner affirme que ces dissensions sur la fiscalité à propos d’Internet sont appelées à devenir dans les mois qui viennent une source de tension majeure dans les négociations commerciales internationales. L’Europe plaide la simple équité : les entreprises européennes devront elles aussi lever une TVA sur ces produits numériques.

Un système inapplicable

Mais, vu des États-Unis, un tel discours n’a pas de sens. “Chez nous, les entreprises n’ont pas à lever la TVA sur tous les produits et services vendus hors de leur État d’origine, sauf si elles sont représentées physiquement sur place, rappelle Harris Miller. Pourquoi croyez-vous que la Cour suprême en a décidé ainsi ? Parce qu’il y a une multitude de régimes de TVA aux États-Unis et que le système aurait été inapplicable. Surtout, il aurait pénalisé les petites et les moyennes entreprises, qui n’ont pas les moyens de se transformer en collecteurs d’impôts.” Et c’est précisément ce danger que fait encourir la décision des ministres des Finances de l’Union européenne, avance le président de l’ITAA. En outre, si la Cour suprême interdit aux entreprises américaines de lever une quelconque taxe au-delà de l’État dans lequel elles sont installées, n’est-ce pas, a fortiori, le cas pour le reste du monde ?Chez Gartner, l’analyste French Caldwell doute également qu’un tel système soit applicable, mais pour des raisons technologiques cette fois-ci. Comment savoir si le serveur depuis lequel sont téléchargés les livres ou le film que l’on vient d’acheter est en Europe ou en dehors ?En attendant, Washington entend se servir du calendrier pour torpiller les ambitions fiscales européennes. Ce projet doit être approuvé par les parlements de chacun des pays membres et par le Parlement européen. Ce processus devrait prendre au minimum 18 mois. Et le manque d’enthousiasme affiché par Londres fait naître l’espoir aux États-Unis que le fidèle allié pourrait finir par s’aligner sur la position américaine.

Un précédent facheux

Il reste que la violence de la réaction américaine ne s’explique par seulement par la promesse alléchante du marché européen. L’Amérique de la high-tech redoute aussi un effet de contagion. Le courant, de plus en plus fort, qui plaide pour la fiscalisation d’internet aux États-Unis ne manquera pas de se saisir du précédent. “Je suis sûr que c’est un argument qui sera utilisé”, reconnaît Harris Miller.Fin novembre, le président Bush a signé une loi reconduisant pour trois ans le moratoire fiscal sur l’accès à internet et le commerce électronique. Mais avec 60 milliards de dollars (69,2 milliards d’euros) d’achats en ligne en 2001, experts et responsables politiques sont de plus en plus nombreux à estimer qu’un tel privilège ne se justifie plus désormais.Les entreprises américaines, elles, se conformeront à la législation européenne. Du moins celles qui ont pignon sur rue et qui affichent des ambitions sur le Vieux Continent. Gilles Brabant, directeur de Real Networks pour l’Europe du Sud, affirme que les nouvelles règles ne changeront rien. D’abord parce que Real Networks va implanter des services au niveau européen, alors qu’à aujourd’hui, encore, il faut se connecter sur le site américain. Ensuite, parce que Real Networks a intégré dans la stratégie de vente de certains de ces produits, comme les abonnements en ligne ou les évolutions de la politique fiscale communautaire.Du côté de l’Union européenne, on approuve, bien entendu, la décision des ministres des Finances des Quinze. Ils “prennent date pour l’avenir et ont le mérite de donner un cadre juridique au commerce en ligne”, affirme Njara Zafimehy, président du Gera (Global Entertainment Retailer Association, qui regroupe les principaux distributeurs de produits culturels à l’échelle européenne).Selon Njara Zafimehy, ” le prix ne pourra plus être un argument de vente suffisant. Chacun devra redoubler de créativité pour attirer les consommateurs. “Mais par-dessus tout, estime encore le président du Gera, la mesure fiscale ne doit pas occulter les autres freins au développement du e-commerce européen : le développement des infrastructures et des technologies haut débit. Et les États-Unis n’en sont pas responsables.

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Thomas Maurice, à New York, et Thierry Del Jésus