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La France réussira-t-elle à imposer ses décisions sur la toile ?

Un arrêt rendu le 3 mai dernier par la cour d’appel de Paris relance le débat de l’application à internet, réseau international, des verdicts de justice rendus dans un seul pays, comme la France.

Tout a commencé par un banal procès à propos d’un contentieux de marque. En juin 2000, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Freiberger pour avoir utilisé, en France, la marque de pâtes alimentaires Alberto, détenue par la compagnie Roberto. Décision destinée à s’appliquer au seul territoire français. Or, le groupe Freiberger, dont le siège est à Berlin, dispose d’un site internet sur lequel il décrit son activité : fabrication de pâtes, de pizzas, de baguettes, etc. Le tout en trois langues :français, anglais et allemand.Persistant à présenter en ligne et en langue française les produits de sa gamme Alberto, dont la vente est autorisée uniquement hors de l’Hexagone, Freiberger a été à nouveau condamné le 3 mai par la 8e chambre de la cour d’appel de Paris. Motif ? Le site peut être consulté en France. Ce qui contrevient, selon les juges, à l’interdiction d’utiliser la marque litigieuse sur le territoire national. “Cet arrêt pose la question de la territorialité des décisions rendues par la justice française“, note l’avocat de Freiberger, Me Denis Chemla, du cabinet Herbert Smith.

La version française en question

Pour motiver leur décision, les magistrats reprochent à l’industriel d’avoir maintenu une version en langue française de son site, et de ne pas avoir explicitement indiqué que la vente des aliments portant le nom d’Alberto n’était pas autorisée en France. “Transposé à d’autres supports que le net, les dispositions de cet arrêt reviendraient à interdire dans notre pays la publication d’un journal de Suisse romande, qui comporterait un encart publicitaire pour un produit autorisé dans tous les pays d’Europe, sauf en France“, poursuit maître Chemla. De même pour une radio luxembourgeoise que l’on pourrait capter sur notre territoire.

Pas de pourvois en cassation

La cour d’appel a retenu la théorie de la réception : quand on peut recevoir en France des images, celles-ci doivent respecter la législation et la jurisprudence françaises “, constate Me Isabelle Leroux, associée du cabinet Dubarry Le Douarin Veil. Fait notable : l’usage du français par le site semble avoir été déterminant. Cela signifie-t-il qu’une infraction commise en anglais serait moins grave ? Et qu’un simple bandeau ou une note en bas de page suffiraient à contrevenir à des décisions rendues par des juridictions françaises ? Contrairement ce qui avait été décidé dans l’affaire Yahoo ?” dont le site exhibait dans ses pages enchères des objets de la période nazie, ce qui est interdit en France ?”, les magistrats parisiens n’ont pas cette fois envisagé la solution technique qui consisterait à brider l’accès au site allemand de Freiberger pour les ordinateurs disposant d’une adresse internet française. “Cela s’explique peut-être par leur méconnaissance de la technologie du réseau“, persifle un habitué du Palais. Les juges ont préféré donner l’ordre de supprimer purement et simplement les mentions en français. On ne pourra pas compter sur une décision solennelle dans cette affaire, puisqu’à ce jour aucune des deux parties ne souhaite se pourvoir en cassation. Dommage, cela aurait contribué à consolider le droit français de linternet.

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Nicolas Arpagian