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La domotique pour les handicapés

A Dunkerque, des handicapés moteur réapprennent à vivre dans des appartements truffés d’électronique. Visite chez Sébastien, devenu relativement autonome, qui savoure une plus grande liberté.

Le carnaval fait vibrer toute la ville. La plupart des Dunkerquois sont de la fête, se livrant aux traditionnelles bousculades dans les rues. Pas Sébastien. Dans le jargon médical, Sébastien est un IMC, un infirme moteur et cérébral. Paralysé dès la naissance, il ne s’est jamais déplacé qu’en fauteuil. Jusqu’à 25 ans, il a vécu en établissement spécialisé, dépendant du personnel soignant. Cette dépendance l’a beaucoup affecté. Comment pourrait-il en être autrement lorsque la simple ouverture d’une porte s’apparente à un défi physique ? Peut-on parler de liberté lorsqu’il faut appeler l’aide-soignante pour ouvrir la fenêtre, éteindre la lumière, baisser le chauffage ou régler le son de la télévision ? “Là-bas, je me sentais infantilisé. J’aurais fini par étouffer “, souffle-t-il. En déménageant, sa vie a pris des couleurs. Grâce aux nouvelles technologies… et à l’Association d’aide aux personnes à handicap moteur (Apahm). A Dunkerque, l’Apahm a aménagé dix appartements ” domotisés “. Truffés de capteurs, ces logements high-tech procurent aux personnes lourdement handicapées une plus grande autonomie.
Dans son appartement, Sébastien réapprend à vivre : il commande l’ouverture des portes, module la température ambiante, le son de sa télé, règle l’intensité de l’éclairage, active les stores simplement en parlant. Une petite console fixée sur son fauteuil et couplée à un système de reconnaissance vocale interprète ses commandes et émet des signaux infrarouges en direction des capteurs incrustés dans le plafond. Ceux-ci recueillent les signaux et les véhiculent le long d’un circuit électrique jusqu’à ce qu’ils atteignent l’élément à activer, provoquant par exemple l’ouverture d’une porte. Sébastien peut même déclencher à distance la mise en route de sa cafetière. Un ascenseur lui permet également de faire un saut au premier étage pour rendre visite à son voisin.
” Je suis devenu majeur à 27 ans “
Lorsqu’un visiteur sonne, il peut, sans être vu, vérifier son identité sur un écran de contrôle grâce à une caméra couplée à un interphone. “Nous souhaitons simplement réduire au maximum les périodes de dépendance d’une personne qui souffre d’un handicap lourd, explique Alain Popieul, directeur de l’Apahm. Nous ne faisons pas de miracles.”

Sébastien est toujours suivi par une tierce personne qui s’occupe de sa toilette le matin, prépare le petit déjeuner, les repas de midi et du soir. Mais le reste du temps, il peut s’organiser à sa guise. “J’ai eu le sentiment de devenir majeur le jour où je me suis installé ici. J’avais 27 ans.”Sébastien savoure cette métamorphose : loin de regretter sa vie d’ermite assujetti à l’omniprésence d’une aide-soignante, il se délecte de cette nouvelle existence qui le rapproche un peu plus de ses “amis les bipèdes” : “Ici, je suis à quelques centaines de mètres du centre-ville. Je peux sortir m’acheter un magazine ou trinquer avec des amis au café du coin. Je peux aussi aller au cinéma : il me suffit de passer un coup de fil au ” handibus ” municipal pour lui demander de venir me prendre devant ma porte.”



D’une commande vocale, Sébastien, qui est titulaire d’une ma”trise en langues étrangères appliquées, peut aussi aller surfer sur Internet pour consulter, à l’aide d’un système de synthèse vocale destiné à éviter la fatigue visuelle, le site du journal espagnol El Pa”s, l’un de ses quotidiens préférés.
Le loyer de son 80 m2 est de 1 700 francs environ, dont à peu près 1 300 francs sont apportés par l’allocation d’aide au logement. Alors que les loyers des appartements du centre tournent, à surface équivalente, autour de 3 000 francs, Sébastien débourse grosso modo 500 francs par mois. “L’accès au logement devrait être un droit pour tous. Admettre que des personnes handicapées paient plus cher que les autres, ce serait scandaleux “, lance Alain Popieul. La prouesse financière de l’Apahm, propriétaire des lieux, est d’autant plus remarquable que la réalisation de ce réseau domestique s’élève à environ 200 000 francs par logement.
Pas de vraie concurrence
A demi-mot, l’association déplore les prix pratiqués par les fournisseurs. Celui de la console domotique utilisée par Sébastien, couplée au système de reconnaissance vocale dépasse les 20 000 francs ! “Pourtant le matériel n’est pas un modèle de perfection, constate Philippe Kopania, consultant en domotique. Il suffit que Sébastien ait la voix enrouée ou qu’il parle un peu plus fort pour que les commandes ne soient plus reconnues !” Et, à ce prix-là, la console n’est même pas étanche, ce qui limite les promenades par temps de pluie. Le produit a même déjà dû être échangé après avoir rendu l’âme.
Aussi choquant que cela puisse para”tre, le ” marché ” du handicap est lucratif. Faire jouer la concurrence est difficile car la plupart du temps, ces fabricants se réunissent en groupement d’intérêt économique (GIE), ce qui ne simplifie pas les négociations. De plus, les problèmes de compatibilité entre les composants d’une installation domotique (par exemple la console et les câbles qui véhiculent les commandes vocales) obligent l’Apahm à acheter tous les composants auprès d’une même enseigne… et à payer le prix fort. Le budget de l’association est alimenté à hauteur de 65 % par les fonds publics, mais Alain Popieul et son équipe doivent quand même frapper aux portes des entreprises de la région pour récolter le complément.
L’Apahm espère qu’une généralisation de la domotique fera baisser les prix : “C’est une question de temps, assure Yves Dupied, ergothérapeute. Aux Etats-Unis, dans les années 50, la télécommande a été inventée pour les handicapés. Dans quelques années, la domotique commencera à envahir les domiciles des personnes âgées.” Dix autres appartements seront bientôt aménagés à Coudekerque, une commune voisine.
Un exemple qui s’exporte
L’initiative suscite aussi un vif intérêt au-delà de nos frontières : Irlandais et Portugais souhaitent s’inspirer de l’expérience dunkerquoise. Aux Canaries, l’Apahm a été contactée par le gérant d’une résidence hôtelière qui souhaite ouvrir ses portes aux paraplégiques. L’association s’est rendue sur les lieux… accompagnée de Sébastien pour la traduction. Le récit de l’escapade figurera peut-être dans son journal intime. Il peut désormais l’enrichir grâce à un logiciel de reconnaissance vocale, sans crainte que des oreilles indiscrètes ne violent son jardin secret. Sébastien l’a intitulé Les tribulations d’un voyageur immobile

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Stéphane Barge Photos : Yves Denoyelle