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Jean-Louis Guigou (Datar) : ” Internet est un processus de destruction créateur d’emplois “

Internet modifie notre rapport au travail et a un impact sur l’activité économique et l’emploi.

Que n’a-t-on pas dit sur l’impact d’Internet et des NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) sur la création d’emplois ?Pour les mauvais augures, des pans entiers de l’économie devaient disparaître et emporter dans leur sillage des régions ou des secteurs d’activité.Pour d’autres, au contraire, l’avènement d’Internet et de la nouvelle économie devait révolutionner les pratiques et changer du tout au tout notre rapport au travail.En guise de conclusion à notre feuilleton sur les mythes et les réalités d’Internet, Jean-Louis Guigou, directeur général de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) replace le rôle d’Internet sur l’activité économique à sa juste valeur.De son point de vue, si Internet joue un rôle moteur dans la croissance économique et la création d’emplois, l’émergence du Réseau s’inscrit aussi dans un ensemble de mutations de l’appareil productif et décisionnel de l’économie française, entamé il y a plus de vingt ans.

01net.: Comment analysez-vous les bouleversements récents qu’a connu l’économie française ?

Jean-Louis Guigou : L’idée que nous défendons à la Datar se base sur le cycle de Kondratieff. Tous les trente à quarante ans l’économie connaît de grands changements.De 1980 à l’an 2000, nous avons vécu une période de profondes mutations et de transformations de l’appareil productif. Il y a eu une véritable mutation culturelle.Aujourd’hui, les usines sont remodelées. Les salariés se sont adaptés. Nous sommes partis pour vingt ans de croissance.
Quel rôle jouent Internet et les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) dans la création d’emplois ?
Internet a créé beaucoup d’emplois, un peu comme quand le chemin de fer a délogé les diligences. Mais dans le même temps, il met au rebut et rend obsolète des formations, des technologies et des processus de production… Comme le disait Shumpeter : ” c’est un processus de destruction créatrice “.Mais le solde est positif et les nouvelles créations d’emplois sont beaucoup plus importantes que les destructions proprement dites. En 1999, le secteur d’Internet et des NTIC représentait déjà 6 % du PIB. C’est-à-dire plus que les secteurs de l’automobile et de l’énergie réunis.De plus, selon une étude du Bipe [Bureau d’informations et de prévisions économiques], le taux de croissance du secteur est de 20 % par an. La contribution à la croissance annuelle de l’économie française serait ainsi de 0,6 à 1,6 point. C’est énorme ! Et en terme de créations d’emplois, cela représente un gain annuel de 74 000 à 190 000 emplois.
En cas de crise économique, ce secteur ne serait-il pas le premier exposé ?
En période de récession, c’est l’emploi industriel qui est le plus touché alors que les NTIC sont beaucoup moins affectées. A l’inverse, lorsque qu’il y a croissance, la création sur les NTIC est beaucoup plus forte que sur l’industrie, car il s’agit d’un secteur très réactif. Par ailleurs, Internet constitue un formidable vecteur d’intégration qui facilite l’insertion des jeunes défavorisés. On voit se créer un peu partout des ateliers de sensibilisation à ce nouveau média. Internet transmet à ces populations l’idée de modernité de jeux et de communication.
Au niveau géographique, quelles régions tirent le plus profit du phénomène Internet ?
Sur le plan des bassins d’emploi, il n’y a pas de bouleversement de la carte géographique. Il n’y aura pas de changements fondamentaux, seulement quelques transformations. Nous voyons apparaître une France polycentrique, une France polarisée et une France en réseau.L’Hexagone prend la forme d’un graphe. Un ensemble de points connectés entre eux, avec la décentralisation. Nous allons vers une France avec plusieurs centres où il n’est pas sûr que Paris conserve son hégémonie…L’émergence de technopoles (Grenoble, Rennes, Lille, Sophia-Antipolis…), où l’on voit se développer conjointement bassins d’emplois et structures universitaires, est caractéristique de ce phénomène.Des écoles de l’Internet sont aujourd’hui un peu partout : à Marseille (avec la Belle de Mai), à Tourcoing (pour la mode), à Bourges (pour la sécurité des réseaux) ou encore à Roannes (pour la médecine et les tissus médicaux). Toutes les formations dispensées dans ces établissements spécialisés déboucheront sur des diplômes de l’enseignement supérieur reconnus par l’Etat.
En quoi Internet modifie-t-il notre rapport avec le travail ?
Internet contribue au développement du télétravail. Dans ce domaine, la France affiche un léger retard. En Europe, 6 % des actifs sont des télétravailleurs, soit 10 millions de personnes, contre seulement 3 % en France.Ce ne sont plus uniquement les secrétaires qui font du télétravail, le phénomène touche aussi les décideurs. Nous avons en France un gisement de télétravail très important et qui va s’amplifier. La demande est très forte, surtout chez les cadres supérieurs… de plus de 50 ans. Ceux-ci n’ont aucun désir de perpétuer la civilisation du “métro-boulot- dodo”.Avec le TGV, les 35 heures et la semaine de quatre jours, les résidences secondaires du Lubéron se transforment de plus en plus en maisons principales, équipées d’ordinateurs et connectées à Internet. Les cadres remontent alors sur Paris deux à trois jours par semaine et ne disposent plus dans la capitale que d’une ” maison occasionnelle “.C’est une économie nouvelle qui se développe et bien évidemment, c’est très profitable pour l’aménagement du territoire.
Parallèlement, ce développement du télétravail n’induit-il pas des suppressions d’emplois, dues notamment aux délocalisations de postes à l’étranger ?
Sur ce point, le flux migratoire existe dans les deux sens et il n’est pas du tout stabilisé. Nous avons assisté à une fuite des cerveaux vers la Silicon Valley, où 60 000 français vivent actuellement. Mais ces gens-là ont maintenant entre 35 et 40 ans et commencent à revenir. Ils sont un peu fatigués de penser dollar toute la journée et ont envie de revoir le Beaujolais, les vignes, la Côte d’Azur… Aujourd’hui, les cadres partent plutôt en Angleterre. Mais il s’agit-là d’une situation transitoire, d’une migration momentanée qui dure un ou deux ans, tout au plus.
A contrario, l’Europe est en train de se livrer à un pillage des cadres supérieurs en Afrique du Nord (au Maroc), en Inde et en Extrême Orient. Au niveau des titres de séjour, cela se fait illégalement ou légalement selon les pays. C’est un vrai pillage et c’est dramatique…

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Propos recueillis par Philippe Crouzillacq