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Jean-Claude Larue (Sell)

‘ Pour un jeu acheté, il y a deux jeux copiés sur les réseaux P2P. ‘

Bonsoir à toutes et à tous, nous avons le plaisir d’accueillir Jean-Claude Larue, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs !


Bonsoir à toutes et tous.Picsoux : Monsieur Larue, quelle est la stratégie du Sell aujourd’hui pour lutter contre la contrefaçon ?


Ne pas confondre contrefaçon et peer-to-peer sur la contrefaçon, nous allons systématiquement en justice pour poursuivre les ‘ gros poissons ‘. Dernière condamnation : 60 000 euros de dommages et
intérêts plus 6 mois de prison avec sursis.mathieu : Qui est surveillé pour le peer-to-peer ?



Surveillance statistique par ‘ radars automatiques ‘ sous contrôle de la Cnil (Commission nationale informatique et libertés). Notre but : éduquer, éduquer, éduquer… Pas de poursuites actuellement, des
messages sont adressés aux internautes leur indiquant qu’ils contreviennent à la propriété littéraire et artistique.raymond : ‘ Gros poissons ‘ = (re)vendeurs ou aussi des gros téléchargeurs ?


Pour nous, les ‘ gros poissons ‘, cela signifie les ‘ bandits ‘ dont c’est le business et qui se font 10, 15, 20 000 euros par mois, de véritables magasins souvent avec des
produits venant de l’Europe de l’Est.Pinson : Ne devrait-on pas indiquer en gros sur les emballages de jeu ‘ Interdit aux moins de 10/12/18 ans ‘ ?


Je pense que c’est fait par la signalétique ‘ PEGI ‘ : 12+, 16+ et 18+ également au dos du jeu ‘ descripteurs ‘ qui sont des pictogrammes décrivant le contenu du jeu : sexe,
violence, drogues… Nous pensons qu’ainsi l’acheteur et la famille pour l’adolescent sont clairement informés du contenu du jeu sans avoir à retirer la pellicule de cellophane.Romanus : En matière de jeux ‘ violents ‘ comme Grand Theft Auto, pensez-vous prendre des mesures de restriction supplémentaires ? J’ai entendu que l’affaire du
‘ hot coffee ‘ avait relancé la polémique…



On informe largement dans le cadre d’un jeu comme Grand Theft Auto vendu à plus d’un million d’exemplaires en France le contenu du jeu dans les magazines, sur le point de vente, sur l’emballage…Maxdu35 : Pensez-vous que le jeu vidéo français connaît actuellement ses dernières heures ?


Cuicui : Les studios français sont-ils vraiment ‘ malades ‘ ? Si oui, que leur manque-t-il pour fonctionner ?



Très bonne question ! Si le gouvernement français ne prend pas ses responsabilités comme il s’y est engagé, alors, en effet, la situation deviendra préoccupante. Nous étions 5 000 créateurs en France, nous sommes aujourd’hui
entre 500 et 800. Produire un jeu en France coûte 100 et au Canada 60 ! Si rien n’est fait, avant deux ans, il n’y aura plus de création sur le territoire français donc : alerte rouge !Maxdu35 : Quelle est la première décision que l’Etat doit prendre pour sauver le jeu vidéo français ?


Un crédit d’impôt, c’est-à-dire la possibilité pour les sociétés de déduire de leur impôt (ou de se faire rembourser par l’Etat) un pourcentage de leurs dépenses de création. C’est ce qu’a fait le Canada il y a des années. Résultat :
plus de 10 000 emplois créés au Québec. Le gouvernement a transmis sa demande à Bruxelles qui a deux mois pour répondre si rien n’est fait dans la loi de Finances 2006, il sera hélas trop tard… Quel gâchis !mathieu : Que risquent les gens qui téléchargent pour leur propre utilisation ? Qui ne revendent pas, et cela reste à la maison ? Xactionx59 : Que risque quelqu’un qui télécharge (pour son usage
personnel) des jeux vidéo ?



Il risque de recevoir un message l’informant qu’il fait un acte délictueux. Mais soyons honnêtes : nous ne le poursuivrons pas en justice. Je le rappelle : nous visons les ‘ gros
poissons ‘ !Yuki : J’aimerais savoir pourquoi Ubisoft est réceptif à une quelconque offre d’achat alors que cette société est en bonne santé ?


Vous faites erreur. Yves Guillemot, le PDG d’Ubisoft, a clairement déclaré que l’entrée dans son capital d’Electronic Arts était une action hostile. Il n’est donc pas ‘ réceptif ‘.Labbaipierre : Bonjour, avez-vous des chiffres sur la quantité de jeux échangés illégalement sur les réseaux peer-to-peer ?


Oui ! Les études ont montré que, pour un jeu acheté, il y a deux jeux copiés sur les réseaux P2P. Notre chiffre d’affaires n’est donc que le tiers de ce qu’il devrait être : vous voyez par ces chiffres l’ampleur des
dégâts.Picsoux : Ne pensez-vous pas que le Sell agit pour le profit de son PDG qui est également celui d’Ubisoft France ?


Pas du tout ! il y a un conseil d’administration composé : des fabricants de matériel (Sony, Nintendo, Microsoft), des éditeurs étrangers (EA, Take2…), des éditeurs de jeux français (Ubisoft), des éditeurs du non-jeu (Hachette,
Micro Application). Geoffroy Sardin, patron d’Ubisoft France et président du Sell, est donc une voix sur douze.Snoopy : Les éditeurs ont-ils des royalties sur la vente d’occasion en enseigne (comme Micromania), par exemple ? Car c’est un véritable business. 80 % de mes jeux, je les achète d’occase et je les revends en
magasin… N’y a-t-il pas un manque à gagner là ?



C’est une excellente question, les éditeurs ne touchent rien sur les ventes d’occasion, en effet, c’est une perte sèche pour les éditeurs.clement : Ne faudrait-il pas baisser le prix de vente d’un jeu pour limiter le piratage et le rendre plus accessible au plus grand nombre ?


C’est l’?”uf et la poule… Je vous ai dit que nous ne touchions que sur 33 % des jeux en circulation. Evidemment, si nous touchions sur 100 %, les jeux seraient moins chers… Un jeu coûte en développement
pour les nouvelles générations entre 15 et 25 millions d’euros, c’est donc une simple division entre ces coûts et les quantités vendues.Cecco : Pour revenir au nombre de jeux téléchargés par rapport à ceux achetés, êtes-vous seulement sûr que les deux tiers des personnes qui téléchargent les jeux les achèteraient s’il n’y avait pas moyen de les
pirater ?

Yuki : Qu’entendez-vous par ‘ ampleur des dégâts ‘ ? La personne qui le télécharge ne l’aurait peut-être pas acheté s’il n’avait pas eu la possibilité de le télécharger. Le marché des
jeux vidéo n’est-il pas en pleine croissance en Europe ? (Donc en France).



Oui, c’est vrai, le marché est effectivement en pleine croissance. Je vous livre ce soir un scoop : parmi les 20 produits culturels (livres, DVD, CD, jeux..), les plus vendus en France au premier semestre, le numéro 1 est un
jeu vidéo pour la première fois de notre jeune histoire. Il n’en est pas moins vrai que la révolution technologique actuelle (puissance des nouvelles consoles 50 fois supérieures aux anciennes) entraîne des coûts de développement faramineux.
Nos amis de la vidéo qui ont écroulé leurs prix ont aussi écroulé leurs résultats financiers !Romanus : Ne pensez-vous pas qu’avec l’arrivée des consoles de nouvelle génération et les coûts de développement de jeux vidéos accrus, des mesures du gouvernement français immédiates seraient à prendre? Sinon, l’industrie
française en pâtirait irrémédiablement de façon catastrophique ?



Nous avons déjà répondu ! Sans mesures dans la prochaine loi de finances 2006, je crains beaucoup pour la création en France. Pour dire le fond de ma pensée, je crois que, si rien n’est fait dans les quelques mois qui viennent, cela
en sera hélas fini de la création à la française.mide : Quels sont les pays les plus touchés par le piratage ?


La Chine : 100 % de piratage, les pays du Moyen Orient et de l’Europe de l’Est, la Russie aussi, bien sûr.Maxdu35 : Soutenez-vous les créateurs de jeux vidéo français ? Si oui, comment ?


Le Sell n’est qu’un syndicat professionnel avec peu de moyens. Nous nous battons becs et ongles avec les gouvernements successifs depuis des années. Hélas, sans succès. Un nouveau scoop ce soir : Renaud Donnedieu de Vabres visitera un
studio de jeu vidéo le 13 octobre à Montreuil. C’est une première historique ! Car malgré toutes nos invitations, TOUS les ministres de la Culture ont refusé de nous rencontrer ! Jusqu’à présent, donc.. Merci, Monsieur le
ministre !raymond : L’augmentation des coûts ne risque-t-elle pas de conduire à un appauvrissement de l’offre ? Sur C64 ou Amiga, il y avait des dizaines de jeux différents originaux. Ces dernières années, on voit surtout des
suites Fifa 2006, Quake 4, etc.



C’est effectivement un véritable problème… Quand, il y a quinze ans, je produisais un jeu pour 100 000 euros, je prenais des risques. Aujourd’hui, un budget de 15, 20, 25 millions d’euros peut mettre une boîte par
terre, d’où l’inflation de suites que je déplore comme vous. Je crains que les nouvelles consoles, par les coûts de développement qu’elles vont engendrer, ne risquent d’accentuer le phénomène.raymond : Monsieur Larue, vous parlez de la fin des développeurs français ! Mais le Sell, c’est le syndicats des éditeurs et des éditeurs qui achètent des jeux à des studios et qui souvent les soutraitent. Ubi
fait les jeux à Casablanca, Shanghai et Bucarest ! Vous vous substituez à l’APOM. Finalement, les éditeurs et les développeurs n’ont-ils pas en France des intérêts divergents ?



Je ne le crois absolument pas. Le jour où il n’y aura plus d’éditeurs pour acheter les jeux des studios français, ceux-ci seront morts. Il est vrai que les coûts en France conduisent à développer à l’étranger. C’est pourquoi nous avons
milité pour le crédit d’impôts qui permet aux studios français de rester compétitifs. Quant aux autres organisations, elles existent et c’est tant mieux.


Nous avons juste, nous, une force de frappe en particulier médiatique et politique, qui fait que nous sommes plus entendus. On pourrait se désintéresser du sort de la création française en disant effectivement : ce n’est pas notre
problème, de toute façon, on vendra les jeux quelle qu’en soit la provenance. Mais ce n’est pas l’attitude citoyenne qui a été la nôtre.pouette pouette : Pourquoi Ubisoft et pas Anuman ? (cf. question sur la visite du ministre).


Pour une raison très simple : Ubisoft a à Montreuil le plus gros studio français. Celui-ci est très impressionnant et nous voulions montrer au ministre la grande diversité de nos métiers (un jeu vidéo, c’est 16 métiers
différents). Nous n’avons rien contre Anuman qui est également membre du Sell, mais il ne pouvait pas fournir une telle vitrine.jeremiedunord : Ne serait-il pas une bonne idée de mettre des bonus avec les jeux comme on le fait déjà avec les DVD ? Making of, etc.


Pourquoi pas ? Mais le consommateur ‘ mass market ‘ nous reproche souvent que les jeux vidéo sont trop longs, ne l’oubliez pas : un DVD c’est 1 h 30 à 2 h de spectacle ; un jeu vidéo,
c’est 100-150 heures pour le terminer.Yuki : Revenons au coût de développement, plus particulièrement des next-gen. N’est-ce pas contradictoire de vouloir faire des jeux à grands budgets alors que les gens se plaignent déjà du prix des jeux ? Ne pourrait-on
pas, par exemple, mettre en avant les jeux à plus faible budget afin qu’on ne juge pas un jeu à ses graphismes ? (Ces jeux coûtant moins cher ne sont souvent pas à portée des yeux du grand public, malgré leurs grandes qualités).



Nous ne décidons pas, c’est la technologie. Aujourd’hui, par exemple, le consommateur n’accepterait plus une course de voitures qui ne soit pas quasiment de la qualité Formule 1 sur TF1, c’est techniquement possible (next-gen) et on
ne peut pas revenir en arrière. On sait bien qu’en TV le prochain combat est la TV haute définition.Juju : Pourquoi avez-vous décidé de recourir à Advertigo ?


Parce qu’il n’y a que deux sociétés en France qui ont la techno adéquate sur le peer-to-peer que nous avons démarré avec copyright ?” qui est une très bonne société ?”, mais nous avons fait jouer la
concurrence commerciale.gsealiah : Bonsoir, je ne comprends pas trop vos relations avec Copyright agency et Advestigo. Comment pouvez-vous respecter nos libertés ?


Nous avons demandé ?” les premiers en Europe ?” à pouvoir repérer les téléchargements sur le P2P. Nous nous sommes tournés vers la Cnil pour être certains de bien respecter les termes de la loi d’août 2004. C’est une
loi de la République et pas une décision d’un syndicat professionnel, nous nous limitons à envoyer les messages, nous ne conservons en aucune manière les adresses des internautes repérés.Romanus : Avez-vous déjà pensé à des campagnes visant à attirer plus de femmes dans le milieu du jeu vidéo ? Comme l’a récemment prouvé Nintendo, les femmes représentent un énorme potentiel.


Mais c’est le cas ! Les Sims ont été vendus à 45 millions d’exemplaires dans le monde et ont attiré beaucoup de femmes dans l’univers du jeu vidéo. Nintendogs est un produit formidable
qui se vendra à des millions d’exemplaires. Je vous informe que ma fille y joue au moins une heure par jour et deux heures le week-end !! C’est un jeu fabuleux qui va beaucoup plaire aux filles et aux femmes ; ça y est : les éditeurs
ont compris que 50 % de l’humanité étaient composées de femmes, et croyez moi ,ils vont s’y mettre !Furax : Existe-t-il une coordination au niveau mondial pour lutter contre le piratage de jeu vidéo ?


Comme vous venez probablement de le lire, les studios de cinéma viennent de décider d’actions communes au niveau mondial pour le jeu vidéo. Tout cela se fait actuellement avec notre fédération européenne ISFE (International
Software Federation of Europe)
et nous avons engagé des discussions au plan mondial.David : Donc, si je comprends bien, vous ne faites qu’envoyer des messages… Mais ils disent quoi, dans ces messages ? Pourquoi alors plusieurs personnes se sont-elles déjà fait arrêter ?


Excellente question ! Les amis qui sont avec nous ce soir doivent bien comprendre qu’il y a deux actions totalement différentes :


– la poursuite des truands qui vendent sur Internet des jeux piratés ou contrefaits et qui, comme je l’ai dit, gagnent des dizaines de milliers d’euros. Contre eux, on va en justice : ils payent 50 à 60 000 euros d’amendes
et récoltent six mois de prison avec sursis ;


– cela n’a rien à voir avec le particulier ou le gamin qui fait du téléchargement pour son usage personnel et qui n’est en aucune façon un ‘ professionnel ‘ ; celui-là ne reçoit qu’un avertissement car
son intention n’est pas délictueuse.Merci beaucoup, Jean-Claude Larue. Le mot de la fin ?


J’ai été très impressionné par la qualité des questions, leur pertinence et le fait que nos interlocuteurs étaient parfaitement au courant des problématiques complexes auxquelles doit faire face notre industrie. Je crois à l’avenir de la
création française de jeu vidéo. C’est cela mon combat car le loisir numérique est le loisir de ce siècle.

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La rédaction