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Happy nouille heure

De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…

Mes biens chers frères, en cette période de fêtes, n’oublions pas tous ceux qui ont moins de chance que nous, moins de crème et de saumon à mettre sur leurs blinis, et beaucoup moins de boutons sur leur chemise Gucci. Donnons un petit quelque chose à tous ceux qui battent le pavé en chaussures André. C’est à peu près en ces termes que Roland, le boss, s’est adressé à nous lors du dernier comité de direction. Pourtant, ce n’est pas un boy-scout, et les seules bonnes actions qu’il connaisse, ce sont celles de la Bourse.Il nous rassura très vite en nous demandant de lui trouver une idée de charity business où les médias ne voient que la charity, et ne nous cherchent pas des poux dans la tête pour le business. À propos, avions-nous des idées pour les SDF ?Notre directeur du développement pondit alors cet ?”uf incertain : fabriquons un site, proposa-t-il, où nous boosterons la charité en la récompensant. Les internautes donateurs, dès qu’ils signeront leurs chèques, seront automatiquement inscrits à une loterie virtuelle où ils gagneront un gros lot (financé par leurs propres deniers), que nous nous arrangerons pour faire gagner par un de nos proches. Il nous rendra évidemment ce bien mal acquis, qui en fin de parcours atterrira dans les caisses du groupe. Les huissiers, nuls en informatique, n’y verront que du feu : l’algorithme truqué de notre loterie roulera aisément ces pommes dans la farine. Les internautes pourront aussi s’inscrire pour venir servir la soupe aux miséreux, et nous la servirons à leurs côtés, pour la plus grande gloire du groupe. Oui, nous-mêmes et en personne ! Par moins 10 ?’C, emmitouflés dans nos manteaux de cachemire et nos moufles Lanvin, à peine réchauffés par la fumée de nos Davidoff et de nos joints afghans. Immonde, n’est-ce pas ? Mais devant l’enthousiasme du boss, qui demanda seulement “ une légère reconceptualisation du concept loterie “, personne n’osa casser l’ambiance.Tout juste Charlotte, la directrice générale, se fendit-elle d’un petit : “C’est super, mais au plan de l’honnêteté, moi je dis que moi je me demande ce qu’on peut en dire“. Roland balaya sèchement cette remarque par ces fortes paroles : “Pour faire la charité, il faut de l’argent. Donc si la charité nous en fait gagner, elle y gagnera aussi“. C’est ainsi que fut lancé notre Miséréthon, au profit de tous ceux qui pour Noël ont les boules, mais pas l’arbre… Pour le nouvel an, nous avons remis ça, avec notre Loteriche et nos Restos du Fric, et en prime notre Show pour ceux qui ont froid : de vieilles vidéos de Claude François téléchargeables en ligne dans un cybercafé de la Bastille. Pendant que les SDF se réchaufferont en dansant sur Alexandrie, nous peaufinerons notre image en répondant avec modestie aux questions des envoyés spéciaux de Stratégies et CB-News… Vous nous prenez pour des salauds ? Vous avez raison. Si Dieu nous voit, qu’il nous pardonne. Qu’il nous pardonne de n’avoir découvert la charité que si tard…

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La rédaction