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Halte à la baisse de qualité du logiciel… et à la hausse du prix de la maintenance

Au terme de près de quarante ans de carrière au sein de notre communauté informatique et télécoms, tant en France qu’à l’étranger et tant du côté…

Au terme de près de quarante ans de carrière au sein de notre communauté informatique et télécoms, tant en France qu’à l’étranger et tant du côté des fournisseurs que des utilisateurs, je vous fais part ?” en toute indépendance ?” de la très grande inquiétude que m’inspire l’évolution de l’industrie du logiciel au cours de ces dernières années. Au moment de prendre ma retraite ?” et donc une certaine distance ?”, mon propos s’adresse autant aux éditeurs qu’aux utilisateurs.La qualité moyenne des logiciels et des progiciels ?” annoncés tambour battant par les éditeurs et rapidement livrés en clientèle – est en stagnation, et le plus souvent en baisse. Cela s’observe aussi bien à travers le nombre de bogues par milliers de lignes de code et le délai nécessaire pour obtenir les corrections qu’au vu des problèmes de portabilité : nous sommes encore loin de ce que les Américains appellent plaisamment “platform agnostic” quand ils veulent qualifier un progiciel ou un composant logiciel capable de fonctionner sans encombre sur toutes les grandes plates-formes logicielles classiques. Sans parler des problèmes d’interopérabilité entre composants logiciels : l’assemblage d’un système à partir d’éléments logiciels achetés chez les éditeurs et censés “interopérer” paisiblement se révèle, en pratique, difficultueux et très coûteux en termes d’intégration. Nous sommes encore très loin du paradis annoncé des systèmes ouverts, où l’utilisateur pourrait jouer au Meccano. La cause essentielle de cette préoccupante situation est claire : les éditeurs, certainement poussés ?” et donc en partie excusables ?” par leurs actionnaires, habitués à des croissances annuelles supérieures à 25 %, privilégient l’annonce rapide à grand renfort de marketing et de communication, ainsi que la commercialisation prématurée de produits insuffisamment testés pour prendre de vitesse leurs concurrents. Mais tout cela ne peut se faire qu’aux dépens de la qualité. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les utilisateurs essuient les plâtres et qu’ils subissent les inconvénients liés à la mise en ?”uvre de produits plus “prototypaux” que “finis “.Il est tout à fait possible techniquement de tester des logiciels et, donc, d’en contrôler la qualité : contrôles de logique formelle en amont, revues de code, processus d’intégration-qualification, et, dans un second temps, tests suffisamment longs in situ, dans les conditions d’exploitation réelle chez des clients pilotes. Tout ce processus devant, évidemment, être scrupuleusement conduit avant la mise sur le marché. Ce processus de qualité est, certes, coûteux, mais l’industriel se doit de l’assurer.Or, les grands éditeurs de logiciels ?” et les plus petits vont naturellement suivre ?” annoncent une refonte profonde et unilatérale de leur mode de commercialisation et de tarification, dont il ressort que le prix de la maintenance à la charge de l’utilisateur augmente considérablement. Les simulations faites sur les parcs d’ordinateurs des grandes sociétés montrent un doublement du coût global.Cela revient à dire que les éditeurs font financer par leurs clients la “finition” de leurs produits par le biais d’une maintenance de plus en plus chère. A ma connaissance, l’industrie du logiciel est la seule qui se permette (et impose) un modèle pareil. Et ce quand il est du devoir élémentaire d’un industriel d’assurer lui-même, à ses frais, la qualité et la fiabilité de ses produits. Il est souhaitable et nécessaire que le client coopère, mais pas au point de financer les frais d’un contrôle qualité pour le moins tardif.Ce double phénomène ?” la mercantilisation croissante des affaires et l’industrialisation déficiente des produits ?” est d’autant plus alarmant que le logiciel présente la caractéristique, tout à fait bénéfique au demeurant, de se diffuser dans de nombreux produits et services. Ainsi, presque toutes les industries sont ?” ou seront ?” en bonne partie “logicialisées” : non seulement le pourcentage des salariés travaillant sur ordinateur atteint 30 %, mais la part du logiciel “embarqué” dans le coût global des produits atteint, elle aussi, 30 %. Il ne saurait donc être question que les clients payent, par maintenance interposée, la finition et le contrôle qualité de logiciels, dont l’importance devient fondamentale. Evitons la confusion des rôles.J’exhorte donc les éditeurs à se livrer, dans leur propre intérêt, à une véritable introspection critique. Je crois que le Syntec Informatique et le Cigref devraient se donner là un objectif commun de progrès. Je suggère aux pouvoirs publics, et plus précisément au secrétariat d’Etat à l’Industrie, de diligenter une étude critique ?” et constructive ?” du modèle d’affaires qui soustend la relation éditeur-utilisateur. Car ce modèle a d’importantes répercussions, par effet de ricochet, sur une grande part de l’économie.Une telle étude peut être réalisée par des experts, de compétence et de neutralité indiscutables, qui seraient reconnus comme tels par les deux parties. Je considère qu’il est urgent d’effectuer ce travail. Celui-ci me paraît, en effet, être un préalable essentiel à d’autres travaux attendus par notre communauté, qu’il s’agisse de la brevetabilité des logiciels ou, plus amplement, de l’inévitable mise à jour du droit français de l’informatique. Ce dernier, l’un des plus grands droits du monde, doit respecter ses origines romaines et napoléoniennes, mais il doit aussi s’adapter au nouveau contexte créé par l’évolution des nouvelles technologies de linformation et de la communication.

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Pierre-Yves Le Bihan