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À la barre de ” technos ” étrangères

Ils ont pris les commandes d’un groupe international, au prix d’une véritable révolution culturelle… Premier volet de notre plongée chez ces managers sans frontières.

Leur passeport compte au moins deux à trois tampons d’entrée aux États-Unis par an, et les anglicismes ont contaminé leur français maternel. Une étude menée par les universitaires Fons Trompenaars et Charles Hampden-Turner en 2000 montre que la compétence transculturelle, c’est-à-dire la capacité d’intégrer des valeurs apparemment opposées, est la qualité principale des chefs d’entreprises multinationales. Patrons d’une filiale française d’une société américaine, ces polyglottes, aussi à l’aise avec l’empirisme américain que le cartésianisme hexagonal, composeraient une micro-élite, selon Charles Gancel, directeur associé du cabinet Inter Cultural Management (ICM). Car, “chez une très large majorité de cadres européens, l’enracinement culturel reste très fort “. Des voyages en pagaille, une sensibilité aux environnements professionnels cosmopolites, tel est l’univers classique de ces Français séduits par les méthodes de l’Oncle Sam. Nombre de managers “transculturels” ont collaboré à des multinationales avant de prendre la tête d’une entité française. Aux dires de Christophe Letellier, vice-president et general manager de Peoplesoft, ce sont ses seize années passées chez IBM qui lui auraient permis d’accéder à ses fonctions actuelles : “Mon expérience de la vie dans un groupe américain a sans aucun doute été un facteur de réduction de risque tant pour Peoplesoft que pour moi.” En outre, le choix de travailler dans un groupe américain s’est imposé de manière quasi inéluctable puisque, dans le domaine de l’informatique, “le leadership à la fois technologique et commercial vient d’outre-Atlantique “, rappelle le dirigeant.

L’appel du large

De fait, rares sont ceux qui ont précédemment travaillé dans des entreprises françaises. Si Philippe Delanghe, directeur général Europe du Sud chez Docent, a fait un passage chez Bull, c’est après avoir collaboré chez Oracle qu’il a pris la tête de la plateforme e-learning en Europe. De ces expériences, il déduit que “les Français, moi y compris, ont tendance à théoriser du beau, de l’élégant, du bien réfléchi. De leur côté, les Américains adoptent une démarche très pragmatique. Celle-ci n’est pas très stimulante intellectuellement mais elle permet d’être efficace “. Vice-president et general manager Europe du Sud de Dell, Bruno Vinciguerra ne peut que cautionner ce cliché culturel. C’est directement sur le sol américain que le Frenchie, alors consultant associé spécialisé dans les nouvelles technologies chez Bain Company, a été repéré par le constructeur informatique. Le retour au pays natal ne s’est pas fait sans difficultés : “Il est plus facile de vendre un nouveau service aux États-Unis. Les Européens sont plus rétifs au changement. Par ailleurs, les relations avec les fournisseurs, les partenaires et les clients sont plus tendues de ce côté-ci de l’Atlantique.”Sur le sol américain, faire du business est une seconde nature… et le Nouveau Monde un terrain conquis. “Les composantes du capitalisme américain sont devenues dominantes “, justifie Jimmy Anidjar, senior vice-president d’Oracle France et Middle East and Africa (MEA) du groupe. Et d’expliquer que “structurellement, les Américains n’ont pas besoin de faire l’effort de comprendre les différences culturelles “. Le management interculturel suivrait donc une voie à sens unique.

Le prix de la liberté

Intervenant depuis 23 ans dans le milieu informatique, Jimmy Anidjar observe : “Les patrons français, qui, pendant des années, se sont évertués à faire valoir leur différence auprès de leurs supérieurs américains, le font aujourd’hui de moins en moins.” Le dirigeant d’Oracle France aborde dorénavant avec ses supérieurs “uniquement les sujets sur lesquels nous pouvons avoir une influence. Je ne dépense plus d’énergie à essayer d’expliquer la loi Aubry sur les 35 heures en France, le fonctionnement des comités d’entreprises en Allemagne, les règles comptables en Italie… Et j’économise ainsi beaucoup d’énergie “. L’évitement de ces sujets est d’autant plus aisé que, dans les limites des règles du jeu établies par le siège, la latitude laissée aux filiales serait grande. Jimmy Anidjar résume : “On est d’autant plus libre qu’on a de bons résultats, on est d’autant plus encadré qu’on a de mauvais résultats.” Des objectifs atteints en appliquant un management “interculturel” ?

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Valérie Quélier