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Piratage : la France, premier pays à légaliser la coupure de l’accès à Internet

La loi Création et Internet a été adoptée à l’Assemblée nationale. Elle fait de la France le premier pays à instaurer une riposte graduée extrême à l’encontre des pirates du Net. Gros plan sur ses mesures.

C’est fait. Le projet de loi Création et Internet, censé lutter contre le téléchargement illégal, a été adopté hier soir par l’Assemblée nationale… en présence de seize députés. Voulu par Nicolas Sarkozy, élaboré par le ministère de la Culture, défendu par l’industrie audiovisuelle, le texte instaure un dispositif antipiratage sans équivalent dans le monde. Il fait de la France le premier pays à légaliser la coupure de l’accès à Internet, pour punir le téléchargement illicite de contenus protégés.

Malgré les innombrables amendements proposés par l’opposition et certains membres de la majorité, le texte n’a pas fondamentalement changé depuis son passage au Sénat. Il conserve d’ailleurs les mesures phares du projet de loi initial : un gendarme du Web sera bien créé, et les adeptes du piratage s’exposeront à une « riposte graduée » allant de l’avertissement à la déconnexion pure et simple. Voici les grandes lignes du dispositif antipiratage, adopté hier soir 2 avril (1), dont on imagine bien mal comment il va être appliqué…

La Hadopi aux commandes. Une Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) va être créée pour orchestrer la lutte contre le téléchargement illégal en France. Il s’agit d’une autorité administrative, dont le président sera nommé par le gouvernement et non élu parmi les membres de sa direction, comme cela était prévu au départ. C’est elle qui récupérera auprès des fournisseurs d’accès l’identité des internautes soupçonnés de téléchargement illégal, qui signera les avertissements à envoyer et qui décidera de la sanction à infliger aux pirates récidivistes. Elle n’est pas soumise au contrôle d’un juge, au gand dam des détracteurs du texte.

La détection des pirates. Ce sont les ayants droit (détenteurs des droits d’auteur d’une œuvre) qui repéreront sur Internet les adresses IP des ordinateurs qui auront permis de télécharger ou de poster des œuvres protégées. Ils utiliseront notamment des leurres sur les réseaux de peer-to-peer. Après avoir collecté ces adresses, ils auront six mois pour saisir la Hadopi, qui se chargera d’identifier les titulaires des connexions Internet correspondantes auprès des FAI.

Premier avertissement par e-mail. Si les ayants droit repèrent une adresse IP qui a été utilisée « à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication » d’œuvres protégées, le titulaire de la ligne recevra un premier avertissement par e-mail. Celui-ci sera envoyé par son FAI mais signé par la Hadopi. Il indiquera à l’abonné la date et l’heure de l’infraction constatée, sans nommer le contenu de l’œuvre téléchargée, par souci de « discrétion ». L’abonné pourra contacter la Hadopi pour avoir plus de précisions. Le courriel rappellera aussi à l’abonné qu’il est tenu de sécuriser sa ligne et l’aiguillera vers une liste de logiciels de sécurité.

Second avertissement. Si un nouveau téléchargement est constaté depuis la même adresse IP dans les six mois qui suivent, l’abonné recevra un second avertissement par e-mail et par lettre recommandée. A ce stade, il ne pourra pas exercer le moindre recours s’il n’est pas l’auteur des faits qui lui sont reprochés. Il ne pourra le faire qu’une fois la sanction prononcée.

La coupure. En cas de récidive dans l’année qui suit, la Hadopi pourra ordonner au FAI de déconnecter la ligne incriminée, pendant une durée variant de deux mois à un an. La Haute Autorité pourra proposer une « transaction » à l’abonné et réduire la durée de la déconnexion (à une période comprise entre un et trois mois) s’il s’engage à ne pas recommencer.
La coupure sera effectuée dans les 45 à 60 jours suivant la notification de la Hadopi. Seul l’accès à Internet sera coupé si l’abonné dispose d’une offre triple-play (Internet, téléphone, TV). Pendant la suspension, l’internaute n’aura pas à payer la part de l’abonnement correspondant à l’accès à Internet ; les FAI seront donc maintenant obligés de détailler les prix de leurs forfaits triple-play. L’internaute ne pourra pas s’abonner auprès d’un autre FAI pendant la période de suspension, il sera sur « liste noire ».

Contester la sanction. L’internaute aura 30 jours pour contester une décision de déconnexion de la Hadopi, en exerçant un recours auprès d’un juge. Les modalités de ces recours seront précisées plus tard par décret.

Des logiciels de sécurité « agréés ». La Hadopi publiera la liste des fonctions requises pour qu’un logiciel de sécurité soit considéré suffisamment efficace pour protéger une ligne Internet. La responsabilité d’un internaute ne pourra pas être engagée s’il a installé un de ces logiciels. Ce qui laisse penser que ces logiciels transmettront ou stockeront des données relatives à l’utilisation de la ligne, d’où leur qualification de « mouchards » par les anti-Hadopi. Ces outils de sécurité seront payants. La loi ne précise pas s’ils seront multi-plates-formes ni leur action exacte…

Des sites bloqués par les FAI. La loi autorise désormais un juge à ordonner à un FAI de prendre « toutes mesures propres » à stopper la communication d’un contenu protégé par le droit d’auteur. En clair, un FAI pourra bloquer l’accès à un site hébergeant un contenu protégé si un ayant droit porte plainte au tribunal. Plus besoin de demander à l’hébergeur de retirer le contenu.

Des offres légales plus visibles. Le Centre national de la cinématographie doit préparer avant le 30 juin 2009 des « portails de référencement » pour améliorer la promotion des catalogues de contenus audiovisuels légaux sur Internet. Par ailleurs, la loi stipule que les DRM (verrous numériques) disparaîtront uniquement des contenus commerciaux vendus à l’acte et non au forfait.

Une sortie plus rapide en DVD. Un film pourra sortir en DVD au minimum quatre mois après sa sortie en salles (contre six mois actuellement). Mais des exceptions sont possibles en fonction du contrat d’acquisition de droits. Le délai pourra même être réduit à trois mois si le film n’a pas bien marché au cinéma. En revanche, rien n’est encore fixé s’agissant de la vidéo à la demande sur Internet (VOD). La filière audiovisuelle dispose d’un mois à compter de la promulgation de la loi pour trouver un accord. Sinon, la VOD sera soumise au même régime que le DVD.

(1) Le texte doit encore passer en commission mixte paritaire (sénateurs et députés) le 9 avril avant d’être définitivement adopté, mais il ne devrait pas y subir de grandes modifications. Il pourra aussi passer au crible du Conseil constitutionnel, si celui-ci est saisi sur le sujet.

A lire aussi : le feuilleton de la loi antipiratage et les réactions.

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