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Les acteurs des télécoms s’enlisent dans la crise… et licencient

Entraînés dans un effet de dominos, opérateurs, équipementiers et fournisseurs d’accès multiplient les plans sociaux. La fin d’année s’annonce chaude.

Où est la sortie du tunnel ? Depuis le printemps 2001, les télécoms s’enfoncent dans une crise sans précédent après une décennie de croissance ininterrompue. Eclatement de la bulle spéculative, capacités en infrastructures surnuméraires, arrivée à maturité du mobile, retards à l’allumage de l’UMTS… Le secteur traîne de sérieux boulets. La purge n’est toutefois pas achevée, et la fin de l’année s’annonce cruciale.L'” effet dominos ” joue à plein. Surendettés, les opérateurs investissent a minima. Ce qui se traduit par une baisse brutale du chiffre d’affaires des équipementiers. Et comme la réduction de la masse salariale reste la principale variable d’ajustement, tous dégraissent. Avec, pour leitmotiv, le retour à l’équilibre avant la fin 2003.“Longtemps, les entreprises du secteur ont contourné les procédures de licenciement collectif en incitant, notamment, aux départs individuels par pression psychologique, estime Thierry Franchi, responsable de la branche télécoms à la CGT-PTT. Beaucoup sont aujourd’hui acculées à mettre en ?”uvre des plans sociaux.”Les annonces devraient se préciser début décembre, dans le sillage du plan de sauvetage de France Télécom. L’assouplissement de la loi de modernisation sociale pourrait s’avérer un autre facteur incitateur.

Une vague de rachats néfaste à l’emploi

Selon le cabinet d’études Mercer Management Consulting, les équipementiers ont déjà annoncé, au niveau monde, 310 000 licenciements en 2001, et les opérateurs 40 000 licenciements en 2002. Mû par son rêve d’entreprise sans usine, Alcatel a supprimé, à lui seul, 10 000 postes dans le monde en juin, puis 9 000 supplémentaires en septembre. Fin 2003, le groupe ne devrait compter que 60 000 salariés, contre 110 000 en fin 2000.Les salariés des petits acteurs ne sont pas mieux lotis. Quand ces derniers ne déposent pas le bilan, ils sont rachetés. En quelques mois, LDCom a ainsi repris les activités de Kaptech, Belgacom France, Firstmark, Ventelo et 9 Telecom. Même boulimie chez Tiscali France, conglomérat d’une vingtaine de sociétés ?” Freesbee, Worldonline, Infonie, Liberty Surf, etc.Un mouvement de poupées gigognes, qui génère son inévitable lot de doublons de postes ?” en particulier dans les hotlines. “Le marché nous oblige a des réajustements permanents, reconnaît Patrick Thill, DRH de Tiscali France. C’est la condition sine qua non de survie.” La fièvre pourrait aller jusqu’à contaminer les ” cash machines ” que sont devenues Bouygues Télécom et Cegetel-SFR. Les directions des deux opérateurs auraient évoqué, selon la CGT-PTT, des sureffectifs de, respectivement, 25 et 30 %.Laminés en Bourse, les opérateurs continuent néanmoins d’enregistrer de belles croissances sur le marché intérieur. Et Richard Lalande, directeur général adjoint de Cegetel et vice-président de l’Afors (Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications) ne veut pas sombrer dans la sinistrose.“La crise est conjoncturelle, et non structurelle. Le libre accès à la boucle locale ou le développement du multimédia dans le mobile (MMS) sont autant de facteurs de croissance. A condition que l’Etat favorise une saine concurrence. Le retour à une économie administrée serait le pire scénario catastrophe.”

Des effets différents selon les régions

En attendant une reprise qui se profile, au mieux, à la fin 2003, la crise est vécue différemment suivant les régions. A Sophia-Antipolis, les survivants affrontent la seconde vague de plans sociaux. Octobre a été meurtrier, avec 37 suppressions de postes chez Nortel, 42 chez Lucent, et 200 chez Alcatel Space Cannes. Président de Côte d’Azur Développement, Jean-Pierre Mascarelli tempère le tableau.“Sophia connaît un ralentissement économique, mais pas technologique. Les acteurs qui licencient maintiennent leur activité sur la technopole pour préparer la sortie de crise. La R&D, c’est la dernière branche que l’on coupe.”La Telecom Valley peut aussi compter sur son tissu de start up. “Par essaimage naturel, les victimes de plans sociaux restent souvent sur la technopole et créent leur entreprise.” Preuve du dynamisme azuréen, le maire de Canne vient d’annoncer la création d’une technopole image de 33 hectares à La Bocca. La réalisation, d’ici à 2006, d’un grand campus regroupant les écoles sophipolitaines ?” Essi, Esinsa, Ceram, Eurécom ?” autour du haut débit ou de la communication mobile est également maintenue.Plus axée sur le matériel, Lannion souffre davantage. Avec les charrettes de Highwave Optical, Lucent, Corvis Algety ou Kéopsys, la Trégor Valley devrait retrouver, en janvier 2003, son effectif de janvier 2000. Soit 6 140 employés. Entre-temps, elle aurait perdu quelque 850 emplois par rapport à son apogée de 2001. Au plus fort de l’activité, Highwave Optical frôlait le millier d’employés, contre une soixantaine aujourd’hui.Directeur de l’Agence de développement industriel du Trégor, Patrick Jézéquel croit en la capacité de rebond de la cité bretonne. “Les deux piliers du bassin ?” France Télécom R&D et Alcatel ?” sont toujours présents et s’appuient sur un tissu de jeunes pousses, telle Telisma.”Autre piste : le développement des compétences acquises en optique dans les télécoms en les appliquant à d’autres secteurs, comme la défense, la mesure ou le médical. A partir de janvier, les salariés licenciés bénéficieront d’une plate-forme de reconversion. Lannion pourra prendre exemple sur Etrelles, en Ille-et-Vilaine. Avant la fermeture de son usine de fabrication de téléphones mobiles, Mitsubishi Electric Telecom Europe (Mete) tente de reclasser ses 560 licenciés. A l’occasion d’une journée ” rencontres “, Mete a réuni, fin octobre, cinquante entreprises de la région.A l’échelon national, les forces s’organisent également, et les syndicats connaissent un réel engouement auprès des salariés. “Depuis la rentrée, les appels spontanés se multiplient, alors que le secteur des télécoms ?” jeune, individualiste et sans passé syndicaliste ?” était particulièrement difficile à pénétrer”, concède Thierry Franchi. Un secteur d’autant plus délicat à fédérer qu’il se trouve ballotté entre deux conventions collectives : les télécoms pour les opérateurs et les fournisseurs d’accès internet, et la métallurgie pour les équipementiersA la veille des élections prud’homales, on assiste même à des opérations unitaires, comme l’appel à la grève chez France Télécom, lancé pour le 26 novembre par Sud, FO, CGT et CFDT. A quelque chose malheur est bon. La crise des télécoms aura au moins permis au secteur de connaître un second souffle social.

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Xavier Biseul