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Le journalisme dans le Salon

Sade proposait de philosopher dans le boudoir, drôle d’endroit pour un débat. Les journaux en ligne doivent, eux, vendre n’importe quoi. Une boutique est-elle le meilleur endroit pour s’informer ?

Le site d’information Salon.com a reçu, début décembre, le premier prix du journalisme Online, aussitôt baptisé par la presse le Pulitzer du Net. C’est mérité : ce sont des pionniers, et leur site est bon. Quatre jours plus tard, Salon annonçait son alliance avec Nerve.com, excellent site lui aussi, mais orienté… fesse.
Nerve c’est un peu comme Play Boy, mais les filles ont des moins gros seins et les rédacteurs ont lu Sade ou en ont au moins entendu parler à l’école. Les deux partenaires vont créer un espace de rencontres sur le Réseau. Quelque chose de ” sélect ” pour économiquement forts, Nerve et Salon bénéficient d’un visitorat plutôt haut de gamme.Entre ces deux annonces, il y a tout le paradoxe du statut de l’information sur les réseaux. Le lecteur veut de la qualité, mais il veut que ce soit gratuit. Alors, pour que le site gagne sa vie, il lui faut jouer les Madame Claude numériques. Pourquoi donc ? Quelque chose m’échappe. Les internautes sont prêts à payer pour accéder à un site porno, mais pas pour lire de l’information de qualité. Pour preuve : lancé il y a cinq ans par une poignée de journalistes en rupture avec le San Francisco Chronicle, et monté par tours de financement comme une start-up, Salon persiste à ne pas gagner d’argent.Le site a pourtant sérieusement écorné son business model depuis l’origine. Au départ, les annonceurs, à eux seuls, étaient supposés assurer des rentrées suffisantes. Ça n’a pas marché. Salon s’est alors constitué en portail de commerce électronique. Puis a créé un forum fermé très ” Rotary ” à l’américaine (vous savez, ce truc pour notaires et pharmaciens de province échappés des chansons de Jacques Brel) où vous êtes sûr de rencontrer des interlocuteurs de qualité.Je trouve ça dommage. J’aime bien Salon. Sans être LE site de mes rêves, il fait partie des endroits où je vais volontiers flâner. On y trouve assez souvent de l’information de qualité. Et voilà, c’est bien le problème. Un journaliste, un peu comme tout être humain, ça doit manger. Si les lecteurs ne paient pas pour le contenu, on fait comment ? La pub ? Eh, gaffe avec ça ! Les annonceurs ne sont pas des mécènes, leurs lignes de crédit sont limitées, et ils peuvent couper sauvagement les vivres d’un site qui raconte des choses qui ne leur plaisent pas (je vous jure que ça arrive).Les activités annexes ? Les services ? Ben, je ne sais pas. Quand vous allez acheter des croissants, vous ne demandez pas à votre boulanger de faire aussi teinturerie, ou de vous aider à trouver l’âme s?”ur (une religieuse ?)… Alors, pourquoi un site d’information devrait-il aussi vendre des bibelots (depuis la bougie aromatique jusqu’aux préservatifs fantaisie, à moins que ce ne soit le contraire, sur Salon) ou faire site de rencontres ?Je ne doute pas que Salon ne parvienne, encore une fois, à sauver son âme dans cette affaire. Mais la prochaine fois qu’ils vont avoir besoin d’argent, dans quelques mois, ils vont faire quoi ? Le strip-tease de l’éditorialiste en Quicktime payant ? La vente de cassettes douteuses en ligne ? La livraison de croissants chauds avec lédition numérique du dimanche ?
Si vous avez une meilleure idée, écrivez-moi.Prenez votre temps.Prochaine chronique le jeudi 20 décembre

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Renaud Bonnet