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La réalité virtuelle: le credo des chercheurs et des bureaux d’études

La baisse de prix des stations et la coopération entre industriels et laboratoires devraient renforcer l’audience de la réalité virtuelle.

Un mur d’image affichant un véhicule en relief à l’échelle 1 et une cabine de simulation de vol constituent des exemples aboutis de réalité virtuelle. Mais celle-ci ne s’introduit qu’à pas de loup dans le secteur industriel ?” en particulier l’aéronautique, l’automobile, l’énergie, le pétrole, les transports ou la défense. Les coûts et le manque de solutions clés en main expliquent cette faible audience. Pour développer la crédibilité de cette technique spectaculaire et prometteuse, le gouvernement soutient un grand projet sur trois ans, démarré en février 2001, la Plate-forme française de réalité virtuelle (Perf-RV), amplifiant la synergie des expérimentations des grands industriels et des laboratoires de recherche.Mais que signifie réalité virtuelle ? “Ce terme a été galvaudé, précise Souheil Soubra, responsable du projet environnement virtuel du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment). Nous lui préférons l’expression d’environnement virtuel. Une représentation tridimensionnelle, où l’interaction et l’immersion sont des aspects très importants.” Pour Jean Lorisson, de la direction innovation et qualité de PSA Peugeot Citroën, “la réalité virtuelle se situe en aval de la modélisation et de la maquette numérique et se caractérise par l’immersion, le temps réel et l’interaction. Sa finalité est de permettre des expériences sensorielles et cognitives dans un monde artificiel”, précise Philippe Fuchs, chercheur au centre de robotique de l’Ecole des mines de Paris. Si elle a débuté avec des PC assortis de lunettes actives et de visiocasques, on commence à trouver des tables de réalité virtuelle ou “workbenchs” et des salles d’immersion cubiques, ou “Cave” (Cave Automatic Virtual Environment). Dans le premier cas, l’utilisateur, équipé de lunettes stéréoscopiques et d’une souris 3D, agit sur des objets imaginaires résultant de la projection d’images sur un plan horizontal et un plan vertical. Dans le second cas, les projections se font sur les faces du cube dans lequel se trouve le participant. En France, les workbenchs sont rares et les Cave encore plus, alors que les salles immersives avec grand écran mural permettant de travailler sur des objets en 3D ou en stéréoscopie se multiplient depuis quelques années dans les grandes entreprises. “Dans l’automobile, par exemple, on obtient une visualisation réaliste à l’échelle 1, qui permet de savoir si un concept est viable ou non,” précise Raymond Fournier, responsable de programmes interfaces homme-machine, réalité virtuelle et robotique au CEA.

Une technologie encore peu exploitée par les PME

PSA Peugeot Citroën exploite ainsi depuis avril 2000 un écran de 6 m de large sur 2,5 m de haut pour des revues de projets d’extérieur de véhicules en stéréoscopie à l’échelle 1. En revanche, l’étude de la visibilité intérieure pendant le roulage s’effectue dans un simulateur de conduite avec un écran cylindrique ou avec un casque d’immersion avec vision à 180?’. Chez Renault, la direction du design exploite un mur d’image, sur lequel sont réalisées des projections 3D à l’échelle 1. La direction de la recherche, rattachée à l’ingénierie des véhicules, dispose d’une salle restituant une vision stéréoscopique. Le constructeur projette d’installer des murs d’image dans différents services. En matière d’utilisation de salles de projection, l’industrie pétrolière montre l’exemple. Elle est passée de moins d’une dizaine d’installations dans le monde il y a quatre ans à une centaine cette année. La quasi-totalité d’entre elles est constituée de grands écrans cylindriques muraux. Agip mentionne des gains de temps de 25 % sur des études de géophysique utilisant ces équipements. Petrobras installe même de telles salles sur ses zones de forage. L’Institut français du pétrole s’est doté ce printemps d’un grand écran cylindrique mural de 11 m de large et de 2,70 m de haut, animé par un calculateur Onyx2 de SGI. L’installation a coûté 5 millions de francs, et le tarif horaire de location est de l’ordre de 2 000 francs. Utilisé par la filiale Beicip-Franlab de l’IFP et par l’Ecole du pétrole et des moteurs, cet écran est ouvert aux grands industriels, voire aux PME. Mais le virus a du mal à atteindre ces dernières. C’est pourtant à elles que s’adresse le Centre lavallois de ressources technologiques (Clarte) avec son Ingénierium. Or, un an après son ouverture, ce centre doté d’une salle immersive ne compte qu’une dizaine de clients ?” principalement de grande taille, comme Valeo, Gruau ou CFM International. Clarte a développé cette année une salle cubique transportable, baptisée SAS3 (lire Sas cube). Comme l’Adepa, autre organisme opérant dans la sphère des PME, Clarte participe au projet Perf-RV, qui ?”uvre à la démocratisation de la réalité virtuelle.Ce projet du Réseau national de recherche et d’innovation en technologies logicielles concrétise, pour Bruno Arnaldi, professeur à l’Insa de Rennes et responsable de projet de recherche Inria-CNRS, “l’idée de factoriser la recherche et le développement en France en matière de réalité virtuelle “. Il s’agit de mettre l’Hexagone sur la voie que lui montrent les régions plus avancées dans l’utilisation de cette technique, à savoir les pays anglo-saxons, l’Europe du Nord et le Japon. Bruno Arnaldi précise l’enjeu de l’opération : “La réalité virtuelle manque de maturité. Les prix et l’usage freinent son extension. Les industriels se posent la question de savoir à quoi elle sert. Le projet va analyser ses possibilités et montrer à quoi on peut s’attendre.” Les travaux relatifs aux systèmes haptiques ?” faisant appel au sens du toucher ?” et immersifs et au travail coopératif sont pilotés par des laboratoires, tandis que des industriels jouent un rôle moteur dans les travaux de simulation d’assemblage et de formation au geste technique. Au sein du projet, le CEA travaille sur les systèmes haptiques : “On aimerait pouvoir, dans une salle cubique virtuelle, saisir une portière pour la claquer et entendre le bruit que cela fait,” explique Raymond Fournier, du CEA. “Mais on n’a pas encore atteint un niveau de maturité des produits suffisant”, ajoute-t-il. Le couplage matériel-logiciel est un point particulièrement sensible : “Pour un industriel, il est difficile de trouver les bonnes passerelles. C’est une jungle inextricable.”

L’aéronautique en tête des expérimentations

Parallèlement, le CEA réorganise sa recherche en technologie de l’information ?” en particulier en réalité virtuelle. Ce domaine y est associé à la robotique et aux téléopérations, y compris en chirurgie, sur lesquels travaillent l’organisme depuis une vingtaine d’années. Jacqueline Eymard, chef du projet Pl@tenum, la plate-forme en gestation consacrée aux technologies numériques, constate : “On n’en est pas à la réalité virtuelle utilisée comme un outil au même titre que la CAO. Les environnements immersifs sont chers. Les industriels ne veulent pas investir, et ils ne savent pas bien ce qu’ils peuvent attendre de la réalité virtuelle .” Outre un “workbench” prévu pour cette année, l’équipement de Pl@tenum comportera une salle immersive ouverte aux grands et aux petits industriels. La plate-forme met l’accent sur la combinaison de la vision, du toucher et du son et coopère avec des spécialistes des sciences sociales. L’aéronautique fait aussi partie de la tête de peloton en matière d’expérimentation d’environnements virtuels. L’un des acteurs de Perf-RV, le Centre commun de recherche d’EADS, a ainsi développé, pour la conception et le développement de lanceurs et d’avions, des applications mettant en ?”uvre la réalité virtuelle. Airbus utilise pour sa part des systèmes graphiques interactifs servant à vérifier la qualité, à étudier les collisions entre pièces et à simuler des montages et des démontages.Le CEA travaille à améliorer tout cela par le biais d’interfaces haptiques. On finira, par exemple, par sentir l’effort à fournir pour enfoncer et remettre en position les touches d’un tableau de bord. Les travaux portent aussi sur le partage de scènes virtuelles entre utilisateurs en réseau. Yves Baudier, adjoint au responsable du département ingénierie et technologies de l’information du centre, précise : “La réalité virtuelle, qui, pour nous, inclut le graphique 3D interactif, donne lieu à un premier niveau d’applications et recèle de grandes perspectives de développement. Il faut que les sociétés s’approprient ces techniques et qu’elles les intègrent dans leurs processus.” L’automobile n’est pas en reste en matière d’expérimentation : PSA Peugeot Citroën vient d’acquérir un workbench qui servira pour inspecter des sous-ensembles tels que des moteurs, des boîtes de vitesses, des planches de bord. “Nous effectuons aussi des recherches sur la conception en mode immersif ?” par exemple, pour un intérieur de véhicule, explique Jean Lorisson. L’ingénieur portant un casque avec suivi de mouvements et un gant de données saisit des objets et les déplace avec sa main virtuelle. Il choisit un élément dans une bibliothèque de volants et le place, et il fait de même pour le pare-soleil.” Les autres axes de travail sont l’utilisation du son pour renforcer l’impression de réalisme, les systèmes à retour d’efforts et les salles d’immersion cubiques. L’industriel participe sur ces deux derniers domaines à Perf-RV. Objectifs annoncés par Jean Lorisson : “Mieux comprendre les chaînes de traitement, identifier les meilleurs logiciels et avoir un retour d’expérience sur les facteurs humains mis en cause dans un travail en environnement virtuel comme la fatigue et la difficulté à prendre des décisions.” Franck Batocchi, de la direction de la recherche et de l’innovation automobile de PSA Peugeot Citroën, précise : “Passer à cette nouvelle technologie nécessite un travail culturel, du projeteur au directeur général. On essaie, on montre que cela fonctionne, on démultiplie les efforts.”

Une valeur ajoutée dans le monde de la construction

Chez Renault, le logiciel de simulation de conduite Scaner offrira cet automne la possibilité d’utiliser un visiocasque pour s’immerger dans un habitacle et étudier le comportement d’une voiture. Comme son concurrent, l’industriel participe à Perf-RV. Il y travaille sur les interfaces multimodales, la simulation d’assemblage et les interfaces haptiques. “Nous étudions les modèles dynamiques de la perception de l’haptique”, précise Andras Kemeny, chef de groupe de recherche simulation de conduite et réalité virtuelle de Renault. Cela pour enrichir l’outil qu’a développé le constructeur pour ses présentations sur mur d’image.D’autres secteurs entrent dans la danse, comme l’énergie, les transports, la défense et l’espace. Mais tous n’en sont pas au même stade. “Il y a un manque au niveau de l’utilisation de cette technique dans le secteur de la construction en France”, souligne par exemple Souheil Soubra, du CSTB. Un domaine où les nouvelles technologies ne pénètrent pas aisément et où aucun acteur ne peut imposer de nouveaux modes de travail et de coopération interentreprises. “Nous sommes convaincus que l’utilisation des environnements virtuels peut apporter une valeur ajoutée certaine aux différents intervenants d’un projet ?” architectes, bureaux d’études, entreprises de construction et clients”, affirme Souheil Soubra. D’où la participation du CSTB au projet européen Divercity, qui élabore pour cet automne une première version opérationnelle d’une plate-forme de collaboration centrée sur une maquette virtuelle en 3D. Se focalisant pour cette étape sur la construction d’un bâtiment de bureaux, il permet de définir le projet architectural, de réaliser des évaluations acoustiques, thermiques et d’éclairage, ainsi que de planifier et de suivre le chantier. Un pas de plus en direction d’une intimité avec la CAO aussi forte que celle de la simulation.

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Boris Perzinsky