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Eric Walter : « L’Hadopi est une transition, pas une fin en soi »

Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi, a accepté de répondre à nos questions sur l’avenir de cette administration et celle de la réponse graduée.

Le secrétaire général de l’Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) aime croiser le fer. Qualifié de Darth Vader du Net par des internautes, il n’a jamais refusé le débat sur son blog ou sur Twitter. Eric Walter a donc accepté de répondre à nos questions sur l’avenir de la haute autorité et sur ses missions. Assumant totalement la réponse graduée, il a mis sur pied des missions moins connues du public comme l’observatoire des usages licites et illicites.

01Net – Le transfert de certaines missions de l’Hadopi au CSA est programmé pour 2015. Arnaud Montebourg a également évoqué de lui confier les télécoms. Quel est votre point de vue sur un régulateur unique ?

Eric Walter – Difficile de donner un point de vue ex nihilo sur ce sujet. Pour moi, il faut partir des métiers pour savoir ce que l’on veut réguler et comment le faire. Si les métiers sont complémentaires, il n’y a pas de raisons de les éclater dans différentes structures. Mais si, à contrario, ils sont différents, il n’y a aucune raison de les rassembler. Il y aurait une économie d’échelle mineure sur les coûts de gestion.

 

Pensez-vous donc que l’Hadopi, le CSA, l’Arcep ou encore l’Arjel et la Cnil font le même métier ?

E.W. – Aujourd’hui non. Mais le gouvernement se projette dans l’avenir. Dans 5 ou 10 ans, ces organismes auront-ils des points de convergence qui pourraient provoquer une refonte de l’échiquier institutionnel ? Si le gouvernement pense que oui -il y a d’ailleurs eu des travaux effectués dans ce sens par le secrétariat général de la prospective- il est logique qu’il essaie de prévenir la chose. Avoir de l’avance sur ce qui se prépare est une bonne chose.

Mais pour l’instant, partons des métiers tels qu’ils existent et tels qu’ils vont évoluer au vu des changements qu’impose une société connectée. S’il s’agit de faire une fusion pour s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, comme aux Etats-Unis, ce n’est pas la bonne démarche, à mon sens.

 

La mission d’observation mise en place en 2013 a été très active. Elle est utile en quoi et à qui ?

E.W. – Elle est utile en acquisition de la connaissance. L’un des premiers constats que nous avons faits à l’Hadopi a été l’absence de connaissance précise et objective des phénomènes que nous étions supposés travailler. Je pense au piratage, mais surtout à la circulation des contenus culturels sur Internet. Il faut se rappeler qu’avant cela, nous avions généralement une étude faite dans un sens par l’un des camps, et une série d’études similaires réalisées par le camp d’en face et disant le contraire. Au milieu, l’administration devait tenter d’y comprendre quelque chose. Il fallait reconstruire un protocole d’observation et de recherche suffisant fin et scientifique pour proposer d’autres choses que des enquêtes d’opinions. Nous nous appuyons sur des recherches scientifiques, des professionnels et des travaux d’enquêtes qui désormais sont reconnus. Aujourd’hui, ces études font référence.

Elles servent aux débats publics, à améliorer notre réflexion et à rebondir sur la partie prospective. Elles nous permettent aussi d’évaluer des solutions pérennes. Rappelez-vous qu’à l’époque, Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la CPD (Commission de la Protection des droits), affirmait déjà que la réponse graduée n’est pas un système pérenne. C’est un système transitoire. Hadopi est une transition, pas une fin en soi.

Après Hadopi 1 et son modèle répressif, cet observatoire est-il devenu le nouvel ADN de l’Hadopi 2 ? N’aurait-il pas fallu démarrer par là ?

E.W. – On ne peut pas refaire l’histoire. Il aurait peut-être fallu démarrer par là, mais cela aurait été trop tôt. Et puis il fallait que l’on soit décrié. La réponse graduée est aussi l’ADN de l’Hadopi. Ca a créé un contexte qui nous a obligé à rechercher une qualité optimale et un bon niveau de performance.

Aujourd’hui, ce degré de performance dans les études est apprécié par les ayants-droits, les internautes et les médias. Des performances qui sont aussi reprises par la Commission européenne dans ses travaux. C’est clairement le nouvel ADN de l’Hadopi. C’est aussi sa mission centrale. À l’époque de sa création, le législateur n’avait pas occulté ça. C’était notre rôle. Nous n’avons rien inventé.

La mission d’observation des usages licites et illicites est l’idée du législateur de 2009. On retrouve dans les débats parlementaires de l’époque le constat d’une absence de connaissance. En un an et demi, on y a répondu. C’est d’ailleurs cette mission qui nous a permis d’avoir une réflexion, entre autres, sur le partage des contenus, leur rémunération ou encore la chronologie des médias.

 

Selon vous, la chronologie des médias est-elle une autre réponse au piratage de contenus ?

E.W. – Oui, c’est l’une des raisons du piratage, mais ce n’est pas la seule. Elle ne concerne pas les séries. D’une façon plus générale, la question de l’exclusivité qui pèse sur les contenus audiovisuels est un des motifs du piratage. Mais le financement en amont contre exclusivité, c’est aussi le carburant de la création. C’est un peu problématique. Le système de financement repose là-dessus. La question est de savoir si l’on peut atteindre les mêmes objectifs avec d’autres moyens. Cette question n’a jamais été posée. On se demande comment l’adapter, mais c’est une rustine. Nous voulons aller plus loin.

Vous avez été attaqué sur la hausse du piratage à l’époque. Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?

E.W. – Cette invocation répétée d’une hausse du piratage est fausse. C’était un argument avancé par certains titulaires de droits qui a été totalement contredit par nos analyses.

 

Même sur le peer-to-peer ?

E.W. – Même sur le peer-to-peer qui s’est stabilisé. Il y a eu une baisse au moment du lancement de l’Hadopi, même un peu avant. La baisse a continué jusqu’en 2011, mais depuis 2012, la courbe est stabilisée. Évidemment, il y a eu des effets de transfert qui sont directement liés aux technologies. On voit aujourd’hui des systèmes de PtoP fermés qui sont proches du téléchargement direct. Mais la cible d’origine qui était que les technologies PtoP ne soient pas utilisées massivement pour du téléchargement illégal a été atteinte. Mais, piratage ou non, les usages migrent.

 

Où en est le projet d’envoi automatique d’amendes ? Va-t-il être déployé cette année ?

E.W. – C’est une réflexion qui appartient au gouvernement. Mais, à ma connaissance, Aurélie Filippetti a dit ne pas vouloir la retenir. C’est un choix gouvernemental sur lequel nous n’avons pas à intervenir.

 

On entend beaucoup de choses sur la subvention 2014 de l’Hadopi. Quel sera son montant ?

E.W. – Elle baisse pour deux raisons qui n’ont rien à voir avec les élucubrations de certains observateurs. Le premier est qu’au lancement d’une institution, il faut faire des investissements à payer cash. Depuis 2012/2013, nous n’avons plus besoin d’investir, donc, nous n’avons plus besoin de cet argent.

La deuxième raison et que l’on a mis les 60 agents de l’Hadopi sur le frein des dépenses. Nous sommes allés au maximum ou presque de l’économie budgétaire publique pour une raison évidente : les finances publiques ne sont pas bonnes.

Ces deux facteurs font que nous avons besoin de moins d’argent. Nous demandons donc, moins de subventions. Cette année, nous avons obtenu 5,6 millions d’euros pour un budget total d’environ 9 millions.

 

Quelles sont les conséquences de cette baisse budgétaire sur votre fonctionnement ?

E.W. – Aucune.

 

Il manque trois personnes dans le collège de l’Hadopi. Cela vous empêche de fonctionner ?

E.W. – Ça ne nous empêche pas de fonctionner. Le renouvellement prend du temps. Cette affaire devrait être réglée dans les semaines qui viennent. Je n’ai aucune inquiétude.

Une commission numérique a été créée à l’Assemblée nationale. Que pensez-vous de cette initiative ?

E.W. – C’est très clairement une excellente initiative. D’autant qu’il y a quelques mois, je plaidais aussi pour la création d’une commission permanente. Ce n’est pas le cas, mais j’espère que ce projet en est une première étape. Il me semble important que la fabrique de la loi prenne en compte la transversalité du sujet Internet pour avoir les mêmes réponses aux mêmes typologies de question.

Naturellement, l’État, l’administration et le Parlement sont organisés de façon verticale, même si d’autres dossiers comme l’éducation ou la culture, sont transversaux. Internet impacte l’ensemble de l’organisation sociale. Je trouve donc important qu’il y ait un endroit pour avoir cette réflexion et cette analyse transversale des différents projets de loi qui traite de ce sujet. Mais je veux aussi rappeler que cette idée de commission a été émise avant moi par Laurent Chemla, une figure de l’Internet, dans un article qu’il avait publié dans Reflets.

 

Cette commission ne va pas doublonner avec le CNNum ?

E.W. – Je ne crois pas. La vocation du CNNUm est de rendre des avis au gouvernement. La commission parlementaire a, elle, vocation à émettre des avis au nom du Parlement. Au contraire, je pense que les deux vont se compléter. Le CNNum est une institution transverse qui était une bonne idée de Nicolas Sarkozy qui a d’ailleurs été maintenue par François Hollande. Aujourd’hui, la création de cette commission est un heureux complément au CNNum.

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Pascal Samama