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Notre-Dame. orgues

Qui l’eût cru ? Un instrument aussi traditionnel et historique que l’orgue de Notre-Dame de Paris fonctionne grâce à l’informatique depuis 1992. Visite des coulisses, inaccessibles aux touristes.

En plein c?”ur de la capitale, dans une ambiance de carte postale, qui croirait que la cathédrale Notre-Dame de Paris, surgie du Moyen Age il y a presque huit siècles, abrite un orgue dont le fonctionnement est assuré par l’informatique ? L’accès à l’instrument se fait par l’escalier de la tour droite, le même qu’empruntent les visiteurs pour sortir de leur circuit au sein des deux tours. Au premier palier et deux portes plus loin, à une vingtaine de mètres au-dessus du sol, les grandes orgues de Notre-Dame toisent l’allée centrale et le ch?”ur de l’édifice.D’apparence, rien ne laisserait penser que l’orgue le plus grand de France (32 pieds de haut, soit 10,5 mètres, la hauteur de son tuyau le plus immense) est piloté numériquement. Excepté, peut-être, les deux écrans cathodiques situés de part et d’autre des boutons et claviers de la console de l’organiste. La métamorphose s’est effectuée de 1990 à 1992, à la faveur d’une restauration complète de l’instrument. ‘ Le but était de simplifier le câblage et de fiabiliser le fonctionnement de l’orgue ‘, rappelle Miguel Ruiz. Cet ingénieur de la société Synaptel a participé au projet initial et s’occupe depuis de la maintenance informatique de l’orgue. Au XIXe siècle, les liaisons mécaniques de l’orgue avaient déjà été modifiées et électrifiées. ‘ [Elles] ont été remplacées par des torrents de fils reliés à des commutateurs téléphoniques bricolés ‘, se souvient l’ingénieur.Pour fonctionner, l’orgue a besoin d’air comprimé à pression constante que lui fournit en permanence un ventilateur électrique caché à l’entrée de la pièce. L’air arrive alors dans des compartiments étanches qui servent de réservoirs. Quand l’organiste appuie sur une touche du clavier, la soupape à la base du tuyau correspondant s’ouvre, l’air s’engouffre et donne vie à la note. En pratique, c’est plus compliqué. Une soupape alimente, en effet, une série de tuyaux situés sur une même ligne. Pour jouer un seul d’entre eux, il faut placer correctement une réglette coulissante percée de trous (le registre) pour amener l’air au bon endroit.

Personnalisation extrême

A Notre-Dame, ce sont 7 800 tuyaux qu’il faut ainsi commander individuellement depuis la console ! L’informatique a permis de simplifier la transmission de toutes ces informations jusqu’au c?”ur de l’instrument.Pour comprendre leur cheminement, déshabillons la console où se tient l’organiste. A l’extrémité de chaque touche de clavier, de pédale ou de bouton de registre, se situe un capteur à effet Hall couplé à une carte électronique. Moins sensible à la poussière (considérable dans la cathédrale) qu’un contact électrique, ce type de capteur est constitué d’un aimant dont le déplacement, lors de l’appui sur une touche par exemple, fait varier une tension électrique. Celle-ci est convertie par la carte en données numériques, et transmise à l’ordinateur industriel IBM situé lui aussi dans la console.Via un réseau local, les informations circulent à 16 Mbit/s jusqu’à un autre ordinateur situé dans le soubassement du buffet, la partie habillée de bois de l’orgue.Le rôle de ce micro est de trier les informations de tirage de soupape ou de déplacement de registre, et de les relayer vers les sous-réseaux adéquats qui arrosent l’ensemble de l’orgue. En fin de chaîne, l’information arrive à l’électro-aimant, protégé dans un boîtier, qui ouvre ou ferme la soupape, ou au moteur électrique qui déplace le registre.Mais la simplification du câblage n’est pas le seul avantage. L’informatique autorise une personnalisation poussée de l’instrument en fonction du musicien. Par exemple, l’organiste peut définir l’attaque et le lâcher des touches, c’est-à-dire la hauteur d’enfoncement à laquelle le son apparaît et celle où il s’arrête. Un tel réglage est tout simplement impossible sur un orgue à transmission électrique traditionnelle !De la même façon, l’organiste peut mettre en mémoire les combinaisons de registre dont il aura besoin au cours de son récital. En cours de jeu, il rappelle celle de son choix grâce à des commandes disposées à la base des claviers ou au-dessus du pédalier.‘ Le système existe depuis une centaine d’années et n’a pas été inventé par l’informatique, reconnaît Philippe Lefebvre, mais l’ergonomie est largement améliorée. ‘ Toutes ces données sont stockées sur une carte à puce personnelle indispensable pour ‘ démarrer ‘ l’orgue. ‘ Ma carte peut ainsi contenir près de 6 000 recettes personnelles que j’utilise pour faire ma cuisine ‘, précise l’organiste conquis.

Des archives hors du commun

Mais le plus surprenant n’est peut-être pas encore là. Dans le dos de l’organiste se trouve un troisième ordinateur qui sert de passerelle Midi. Grâce à lui, le musicien peut enregistrer un morceau, puis faire rejouer l’orgue pour écouter le résultat et juger de l’effet en se déplaçant dans l’édifice. Il est même possible d’aller plus loin : chacun des récitals donnés sur l’orgue est enregistré, ce qui constitue des archives hors du commun : ce n’est plus le son qui est sauvegardé, mais la manière de jouer d’un artiste.Signe du temps qui passe, la société informatique Synaptel rebaptisée Interphase-Synaptel, s’est tournée aujourd’hui vers le domaine des télécoms. Philippe Lefebvre ne se fait pas d’illusions : ‘ Nous sommes conscients que le système arrive en fin de vie après plus de dix ans de service, précise-t-il, et qu’il faudra le changer d’ici trois à quatre ans. Nous souhaiterions à cette occasion revenir à un système mixte qui permettrait à l’orgue de fonctionner, même en cas de panne informatique. ‘ La transmission des touches et des registres se ferait alors par voie électrique et linformatique servirait à la mise en mémoire des combinaisons de jeux et aux enregistrements. Tout en conservant, bien sûr, la qualité sonore des grandes orgues de Notre-Dame de Paris

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Olivier Lapirot