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Faiseur d’images

De l’univers intime imaginé par Geoffroy Demarquet, on retient peu de visages, mais davantage de silhouettes féminines, d’impressions et d’atmosphères. La mélancolie, l’absence, la disparition sont…

De l’univers intime imaginé par Geoffroy Demarquet, on retient peu de visages, mais davantage de silhouettes féminines, d’impressions et d’atmosphères. La mélancolie, l’absence, la disparition sont au c?”ur de ses compositions. La recherche esthétique est au centre du procédé, car l’artiste se dit faiseur d’images plutôt que photographe. J’ajouterais ‘ défaiseur ‘ d’images tant il prend soin ensuite, en retouche, d’effacer ou d’estomper le décor, le personnage, l’époque qui impriment ses clichés. Il laisse ainsi le spectateur libre d’imaginer ce qu’il a volontairement laissé en pointillé.MPV : Vous êtes graphiste professionnel et photographe occasionnel. Comment avez-vous débuté la photographie ? Et quel rôle joue-t-elle aujourd’hui dans votre création ?G.D. : C’est le graphisme qui m’a fait revenir à la photographie. J’avais débuté la photo enfant, comme tout le monde, initié en famille au cours des vacances. Mais je m’y suis vraiment familiarisé en tant que graphiste, en réalisant de très beaux livres d’artistes. J’ai acquis à leur contact une culture de l’image et de son utilisation à travers différents supports et contextes artistiques ou publicitaires. Ce qui a petit à petit suscité mon envie de m’y essayer en privé, en réalisant tout d’abord des portraits de mes meilleures amies, ensuite des portraits de particuliers qui me font entièrement confiance et me laissent carte blanche. Je me limite à ces commandes occasionnelles et à ma recherche personnelle avec des modèles artistes volontaires.MPV : Je note dans vos sujets une certaine récurrence des mises en scène très théâtrales de personnages féminins, les jeux de silhouettes impressionnistes ou expressionnistes. Quels sont vos thèmes de prédilection ? La mise en scène est-elle primordiale dans vos images ?G.D. : Mes thèmes sont les femmes, leur approche émotionnelle et graphique. Une partie de ma démarche photographique se traduit par une envie de ‘ forcer l’imagination autour d’une personne ‘.MPV : Vos images sont des mises en scène appuyées en suite par un important travail de retouche dans leur texture, leur couleur, leur matière . L’idée de retouche est-elle présente lors de la prise de vue ou naît-elle une fois l’image réalisée ?G.D. : D’une manière générale, en prise de vue, je me concentre sur la composition, plutôt géométrique, qui facilite au maximum la lecture de l’image. Ensuite, en retouche, je recherche des matières ou des textures pour renforcer l’esthétique et le sens de l’image, à travers différents procédés manuels ou informatiques. La retouche n’est pas systématique, il faut qu’elle soit utile et porteuse de sens. L’idée de son emploi vient parfois dès la prise de vue. Par exemple, l’image de l’écharpe détachée du corps estompé m’est apparue en observant cette écharpe en train de voler. Je l’ai vue pour elle-même. J’ai alors imaginé pouvoir l’isoler et lui rendre sa propre vie, tout son éclat. Je voulais magnifier cette chose insignifiante, inverser notre regard habitué, inverser l’effacement habituel. L’objet devient immortel, l’homme éphémère. Autres exemples, dans ma série des portraits d’Alyz, j’ai retouché et estompé le décor pour mettre en avant sa silhouette ou son portrait, ajoutant du brouillard pour accentuer l’atmosphère pesante de l’hiver, ou détachant son visage très pâle en masquant l’arrière-plan obscurci.MPV : Vous recadrez vos images au format carré, les vieillissez en leur apportant de la matière et les traitez dans des couleurs douces, passées, tel un virage sur un vieux tirage. Serait-ce une façon détournée de faire de l’argentique avec du numérique ?G.D. : Peut-être une façon de faire de l’image plus que de la photographie. Parfois, je pense davantage naviguer dans les arts plastiques que dans la photographie. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime emprunter à Francis Bacon le terme de ‘ faiseur d’image ‘. Je recadre au carré mes images numériques pour soutenir une lisibilité graphique, une lecture de l’image plus directe, plus percutante. Le carré dirige le regard vers l’essentiel dans l’image : le personnage. Je vieillis l’image par différents moyens, par l’ajout d’une texture peinte (comme sur le portrait blanchi d’Émilie, tête baissée), par des manipulations dans Photoshop ou Illustrator (création de grain ou de motif), ou par une dégradation volontaire d’un tirage, que je scanne ensuite. La série Traces part, par exemple, du jeu de la transformation d’une image simple, d’une situation banale, vers un monde plus abstrait, lointain, créé autour de ces différentes silhouettes figées dans un décor qui disparaît, par l’ajout de peinture. C’est probablement la série sur laquelle j’ai le plus exploité cette idée de texture. Cette série est particulièrement inspirée par le travail d’un photographe que j’ai me beaucoup, Darren Holmes. Dans mes images en général, je cherche à exprimer une nostalgie, un certain spleen, une absence également, et j’essaie par ce biais de les rendre intemporelles, sans époque ni datation précises.MPV : La plupart de vos images font appel au passé et certaines semblent faire référence à des modèles artistiques précis, que ce soit le cinéma expressionniste, la peinture impressionniste, ou la photographie pictorialiste. Quelles sont vos inspirations, vos sources d’imagination ?G.D. : Mes inspirations sont très diverses, elles parcourent l’histoire de l’art, de la peinture flamande, à la peinture pop, en passant par le Quattrocento. Je suis en effet très attaché au cinéma expressionniste, pour son univers visuel très graphique et son atmosphère dramatique exacerbée (que l’on retrouve dans mes séries Théâtre). Je puise dans la photo ancienne, particulièrement celle des premiers photographes dont j’aime l’esthétisme et l’enthousiasme qui se dégagent de la relation modèle-photographe. J’apprécie aussi la photographie contemporaine : la photographie objective pour, entre autres, sa rigueur géométrique absolue, les auteurs ‘ de l’Est ‘ (polonais, russes…) pour leur iconographie très romantique noire, et certains Américains, comme Nan Goldin, pour son exploration sombre de l’intimité.MPV : Techniquement, vous dites travailler en numérique. Quels appareils et outils utilisez-vous ?G.D. : J’utilise principalement le Nikon D70 pour mes portraits, mes paysages et mes esquisses, ou quand par exemple je veux du grain dans l’image. Parfois aussi un Polaroid SX70 ou un Holga 120 quand je recherche certains rendus colorimétriques. Pour le post-traitement, j’utilise Photoshop CS. Je suis passé au numérique pour pouvoir expérimenter tout ce que je n’avais jamais osé faire avant, en argentique, par souci économique. Le D70 m’a tout de suite convaincu, il me donne satisfaction pour le grain et le rendu de l’image, et il est très léger.MPV : En tant que graphiste, quelle importance a le support photographique ? Lequel privilégiez-vous ?G.D. : J’ai le goût de nombreux supports, du tirage ancien à l’écran plasma. Aujourd’hui, l’image est en pleine mutation de par sa matière, sa réalisation, et surtout sa communication. Quand une image circule à travers le monde, en moins d’une seconde, on mesure son côté éphémère : elle est à la fois partout et nulle part et, malgré cette omniprésence, perd sa valeur et sa pérennité. Elle se transforme en une sorte de produit jetable. Le support photographique physique (le tirage) prend alors une tout autre dimension et évolue de plus en plus vers l’objet photographique.MPV : Pourtant, vous présentez régulièrement vos nouvelles images, vos derniers essais sur votre photoblog. Est-ce que cette mise en ligne immédiate est pour vous une façon de digérer, montrer et faire valider vos images par le public internaute ? Fait-elle partie intégrante de votre processus photographique ?G.D. : La publication sur mon photoblog me permet de savoir rapidement si mes images sont ‘ lisibles ‘ et ‘ compréhensibles ‘ et, si ce n’est pas le cas, d’en affiner la retouche. En diffusant mon travail auprès de milliers de personnes très différentes (sexe, culture, nationalité, milieu social), je me confronte rapidement et régulièrement à des sensibilités nouvelles. Si j’ai l’occasion de montrer mon travail de différentes manières aux directeurs artistiques, graphistes, iconographes, photographes, et autres artistes avec qui je collabore, le web reste quand même la meilleure manière de trouver rapidement son public, de faire son autopromotion, motivée et commentée en direct, de se connecter à un réseau d’artistes. Il se crée une émulation artistique sans interférence. Sur le Net, on ne se soucie pas de qui je suis. Je passe outre le circuit photo professionnel fermé, voire parfois sectaire en matière de fabrication et de retouche d’images. Les clivages habituels graphiste/photographe sont désormais dépassés.

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Marilia Destot