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Valentin Lacambre : ‘ Le Web est toujours un facteur d’expression populaire phénoménal ‘

Il y a cinq ans, à l’été 2000, Valentin Lacambre décide d’arrêter son activité d’hébergement gratuit. Nous sommes au lendemain du vote par l’Assemblée nationale d’un…

Il y a cinq ans, à l’été 2000, Valentin Lacambre décide d’arrêter son activité d’hébergement gratuit. Nous sommes au lendemain du vote par l’Assemblée nationale d’un texte révisant les obligations des hébergeurs. Les jugeant ni morales
ni gérables, il ferme boutique.


C’est l’épilogue de la fameuse affaire l’opposant à Estelle Hallyday, qui a fait de lui une figure du Web français. A la fin des années 90, le top model, cherchant à faire fermer un site abritant des photos d’elle dénudée, l’avait en
effet poursuivi et avait obtenu sa condamnation en tant qu’hébergeur.


Pour Valentin Lacambre, la page est aujourd’hui tournée. Mais il n’a pas pour autant quitté la planète Web. Fondateur et co-dirigeant de Gandi ?” qui vend des noms de domaine ‘ ?” et de l’hébergeur
Altern, il s’implique aussi dans des projets tels que Globenet, fournisseur d’accès et hébergeur ‘ associatif et solidaire ‘.


L’homme n’a pas changé, ses convictions non plus. Si, pour lui, Internet est resté un superbe vecteur de libre expression, il aimerait qu’il fasse l’objet d’une administration collective, et ne reste pas aux mains des seuls opérateurs
commerciaux.01net. : Il y a très exactement cinq ans, vous mettiez fin à l’hébergement gratuit sur Altern.org, suite au vote de l’amendement Bloche. Sur toute cette histoire, notamment l’action intentée par Estelle
Hallyday, quel regard portez-vous aujourd’hui ?



Valentin Lacambre : Ce que je ne comprenais pas forcément à l’époque, c’est qu’on s’en prenne au plus faible, au petit artisan, plutôt qu’à un grand groupe. Or, parmi les prestataires techniques, j’étais le plus faible.
L’affaire est tombée sur moi naturellement, mécaniquement. Il était facile de s’attaquer à une petite structure, composée d’une seule personne. Mais au moment des faits, j’avoue que je ne comprenais rien à tout ce
‘ bordel ‘. Je nageais complètement.Est-ce que toutes ces affaires d’hébergement sont aujourd’hui terminées, ou reste-t-il encore quelque chose de cette époque ?


Depuis la mise en place de la jurisprudence en 2002, chacun sait où il met les pieds. Les choses se sont calmées pour tous les hébergeurs. L’époque des procès en masse et sans queue ni tête est révolue. Aujourd’hui, quand des procédures
s’engagent, elles ont un minimum de sens et sont pratiquement systématiquement fondées sur des problèmes de mésentente entre personnes qui se déchirent autour d’un site, d’un e-mail, d’un nom de domaine, etc., et qui essayent de rallier à leur cause
le prestataire.Qu’avez-vous pensé de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ? Est-elle source d’une plus grande clarté pour tous les acteurs ?


Elle m’a beaucoup intéressé sur les problèmes d’expression publique. Concernant les prestataires, la loi est bonne, car elle fixe des règles. Les acteurs commerciaux s’en soucient peu, dès lors qu’elles sont explicites. Par contre, pour
les citoyens ces règles sont du même ordre que la législation répressive habituelle, type Perben 2. La loi entre dans ce système cohérent du ‘ zéro danger ‘, de sécurité totale. Avec encore et toujours la question du
prix à payer en termes de libertés individuelles.Justement, en termes d’appropriation par les citoyens comme vecteur de libre expression, le Web est-il selon vous allé dans le bon sens ?


On est allé dans le bon sens. Internet existe, et est toujours un facteur d’expression populaire phénoménal. On n’a jamais eu un accès à la communication publique à ce point ouvert. C’est hyper positif. Si je veux faire un site Web, je
l’ai le lendemain, et n’importe qui y aura accès.Qu’avez-vous fait ces cinq dernières années ? Dans quoi vous êtes-vous investi ?


D’un côté, j’ai une activité de prestataire technique, avec Gandi, qui vend des noms de domaines, et Altern. La structure de ce dernier existe toujours : Altern est devenu une sorte d’hébergeur
‘ underground ‘ [rires]. Il est surtout utilisé pour du mail gratuit. De l’autre côté, j’ai eu une implication dans le tissu associatif autour des nouvelles technologies et de leurs usages. Il s’agit par exemple de
Globenet, qui est un fournisseur d’accès associatif, et Open GIX, une association pour convaincre les collectivités territoriales de participer à une décentralisation d’Internet, indépendamment de la volonté des opérateurs de fibre optique.


L’année dernière, j’ai aussi repris un journal, Transfert, mais qui n’a pas continué. On s’est beaucoup amusés, mais ça coûte cher de faire de la presse. Nous avions surtout un problème de modèle économique, on ne
savait pas vraiment où se placer entre un média grand public et une agence de presse spécialisée. On s’était donné un an pour monter ça, nous avions beaucoup d’idées, parfois un peu farfelues. Nous avons sans doute voulu inventer trop de choses en
même temps.Avec le recul, quelles sont les choses qui vous ont passionné ? Ou, à l’inverse, énervé ?


Pour m’énerver, après les histoires de 2000-2002, il faut vraiment le vouloir ! Ce qui continue à m’agacer, en revanche, c’est l’absence totale d’intervention des pouvoirs publics dans la construction des autoroutes de l’information
en France. Pour ce qui est de la circulation des octets, les pouvoirs publics s’en remettent corps et âme aux entrepreneurs privés, avec toutes les perversions imaginables.


L’Etat ne contrôle pas les autoroutes, mais participe largement au choix des villes qui vont être desservies. Dans le cas des routes de l’information, elles ne se construisent que par l’intérêt propre des opérateurs privés. Il faudrait
prendre exemple sur les Etats-Unis ou la Finlande, où l’on n’a pas délivré un blanc-seing aux opérateurs.La France est malgré tout le champion européen du haut-débit. Est-ce une réalité trompeuse ?


La France est en effet bien placée pour ce qui est de l’accès Internet à haut débit. Par contre, pour émettre des contenus, en héberger, tout se passe à Paris. L’architecture française n’est pas décentralisée. Quand on regarde où sont
hébergés la plupart des sites marseillais, où se trouve leur contenu physique, à 80%, cela se passe à Paris. Si les infrastructures se concentrent sur Paris, c’est autant de perdu pour les régions.Vous qui êtes soucieux de liberté d’expression, quel regard portez-vous sur les blogs ?


Les blogs prouvent la persistance d’Internet comme un outil de liberté, et que le Web n’est pas devenu un simple supermarché. C’était la crainte de beaucoup de gens, et ils sont nombreux à avoir revu leur position depuis. Le Web n’a pas
connu le même sort que la FM. Contrairement à cette dernière, il n’est pas limité. Tout le monde peut coexister. La vraie crainte est plutôt qu’Internet ne soit plus composé que d’un petit nombre d’opérateurs se mettant d’accord pour changer ce qui
en fait un outil d’expression.


Aujourd’hui, le réseau est à base de protocoles ouverts, où tout le monde dialogue avec tout le monde. Cela pourrait changer si quelques opérateurs mettaient la main sur le Web pour changer les règles. Si l’URL cesse d’être universelle,
il y a problème.Le Web doit-il être un espace de liberté totale ?


La liberté n’a jamais été totale sur Internet. Si quelqu’un dérape, il en répond devant les juges si besoin. Un des principaux fantasmes est que les gens sont anonymes sur la Toile. Même les gens qui fabriquent des virus se font
attraper ! Il est de la responsabilité de chacun de savoir ce qu’il veut dire et les risques qu’il veut prendre. Je suis pour une société où les gens sont responsables de leurs actes. Il n’y a rien de pire que d’infantiliser les citoyens, de
les mettre en position de ne pas pouvoir faire une connerie. Vivre dans un Etat où tout est contrôlé avant de parler ne me fait pas envie.Et le peer-to-peer, qui a pris un essor incroyable en cinq ans, s’inscrit-il dans cette liberté que vous prônez ?


Le peer-to-peer participe de cette démonstration que l’Internet est, et demeure, un espace de liberté. Cette tentative de contrôle a priori de la pensée ou des modes d’expression, qui me semble totalement néfaste, est
aussi totalement inefficace et inapplicable. Dès qu’on met une barrière, les gens réinventent autre chose. Tout ce qu’on peut faire, c’est laisser les gens s’exprimer, et aller les chercher s’ils dérapent.


Le peer-to-peer est apparu dès que les sites ont commencé à fermer à cause de conflits avec les maisons de disques. Cadenasser totalement des formes de communication dans le simple objectif de maintenir et geler un
modèle économique ?” celui des maisons de disques ?” me paraît improbable. Je ne vois pas comment ça pourrait marcher. L’industrie du disque le sait bien, et essaie de se donner du temps pour s’adapter à quelque chose qui vient
de lui tomber sur le coin de la figure.Si vous aviez un souhait à formuler pour le Net dans les cinq années à venir, quel serait-il ?


J’aimerais voir apparaître des opérateurs associatifs de réseaux, qui ne soient pas des structures de profit, et qui soient mus par d’autres motivations, comme Globenet. Ce serait bien de voir le grand public ne pas être que consommateur
du réseau, s’impliquer dans le réseau lui-même, de voir beaucoup plus d’interventions non commerciales dans sa structure : pouvoirs publics, particuliers, associations. Mon souhait est que le réseau soit géré collectivement.

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Propos recueillis par Guillaume Deleurence