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Tourné vers l’infini

Niché à 2 550 mètres d’altitude, l’interféromètre du plateau de Bure explore sans relâche l’espace interstellaire jusqu’aux confins de l’Univers.

Pour comprendre l’Univers, il faut traquer l’invisible. C’est la mission que mène l’Iram, l’Institut international de radio-astronomie millimétrique depuis 1979. Cet organisme, fruit de la collaboration entre l’Allemagne, l’Espagne et la France, exploite deux types d’instruments : le radiotélescope de 30 mètres de Pico Veleta, près de Grenade, et l’interféromètre du plateau de Bure, près de Grenoble. Niché à 2 550 mètres d’altitude, ce dernier, avec son réseau de six radiotélescopes de 15 mètres de diamètre, est le plus performant au monde dans le domaine de la radioastronomie millimétrique.L’observation du rayonnement millimétrique dont la longueur d’onde se situe au-delà de l’infrarouge permet d’étudier la matière froide, c’est-à-dire les poussières et molécules qui se trouvent entre les étoiles, dans l’espace interstellaire, mais aussi les objets situés derrière les nuages interstellaires et donc invisibles pour les instruments optiques. Ces radiotélescopes ont grandement amélioré notre connaissance de l’Univers. Ils ont notamment permis de découvrir de nouvelles molécules, de mieux comprendre le processus de naissance et de mort des étoiles, la composition des galaxies ou la formation des planètes, remontant jusqu’aux origines de l’Univers, il y a 13 milliards d’années. L’Iram améliore en permanence les instruments d’acquisition, de mesure et de traitement des informations. Lors de notre visite au siège de l’institut, à Grenoble, nous avons pu suivre les étapes de développement et de fabrication des éléments les plus complexes de l’interféromètre et du radiotélescope de 30 mètres.Les scientifiques, ingénieurs et techniciens collaborent également à la fabrication de certains des récepteurs de l’interféromètre géant Alma, en construction dans le désert d’Atacama au Chili. En 2015, cet instrument comprendra 50 antennes espacées au maximum de 16 kilomètres, devenant alors le plus puissant radiotélescope millimétrique jamais créé.

La chasse aux molécules

Bien que n’appartenant pas au groupe local de galaxies, M51 est relativement proche. Située à environ 27 millions d’années-lumière du Soleil et surnommée la “ galaxie du Tourbillon ”, elle est représentative des galaxies à bras spiraux, telle que la Voie lactée. L’analyse du rayonnement millimétrique permet notamment de répertorier les molécules qui la composent et donc d’en apprendre davantage sur ce type de galaxies. D’autant que M51 se présente de face, ce qui facilite son observation.

Un réseau d’antennes mobiles

L’interféromètre du plateau de Bure est le plus performant au monde dans le domaine de la radioastronomie millimétrique. Son fonctionnement repose sur un réseau de 6 antennes paraboliques de 15 mètres de diamètre. Posées sur des rails orientés Nord-Sud et Est-Ouest (lignes de base), elles peuvent être placées dans quatre configurations différentes, en fonction des besoins d’observation. Plus les antennes sont écartées, plus la résolution spatiale est élevée (soit un grossissement plus important). L’interféromètre peut être comparé à un télescope géant dont le diamètre dépendrait de l’écartement des antennes, jusqu’à 760 mètres. Dans cette configuration, l’appareil pourrait distinguer deux pièces d’un centime placées côte à côte à 5 kilomètres de l’interféromètre. Depuis sa mise en service en 1988, l’interféromètre n’a cessé d’être agrandi et amélioré. D’ici 5 à 6 ans, le plateau de Bure accueillera 6 antennes supplémentaires, et la longueur des lignes de base sera portée à 1,6 kilomètre.

De l’espace jusqu’au corrélateur

Les signaux émis dans la longueur d’onde millimétrique sont extrêmement faibles, d’autant qu’ils proviennent de sources très lointaines : ils doivent donc être amplifiés. Mais, pour ce faire, il faut d’abord abaisser leur fréquence. Cette opération est effectuée au sein des récepteurs, au foyer du télescope sous la parabole, par un bloc mélangeur, petite pièce pourvue d’éléments supraconducteurs conçue et usinée à l’Iram. Une fois sa fréquence abaissée, le signal peut être amplifié puis transféré par fibre optique vers le corrélateur installé dans le bâtiment principal de l’observatoire. Ce superordinateur, dont on voit ici l’une des quatre parties, constitue le cœur du système. Capable d’effectuer près d’un million de milliards (péta) d’opérations par seconde, il est conçu pour isoler le signal spatial du bruit de fond, jusqu’à 10 000 fois supérieur. Il aide à déterminer la nature des sources détectées, indiquer leur position, et analyser les molécules, leur composition et leur vitesse de rotation. Tous les éléments qui composent l’appareil ont été conçus en interne par les équipes de R&D, qui travaillent déjà sur la cinquième génération de corrélateur.

De 15 mètres à un micromètre

La parabole du radiotélescope concentre le faisceau de 15 mètres de diamètre vers un miroir secondaire de 1,5 mètre. Le faisceau rentre alors dans la structure du radiotélescope (voir ci-dessus) pour être à nouveau concentré par deux miroirs. Il passe enfin au travers de l’une des quatre fenêtres de Teflon transparentes derrière lesquelles se trouvent les systèmes de réception, correspondant aux quatre bandes de fréquences étudiées. C’est ici que se trouve le cornet qui concentre le signal céleste et le dirige vers le guide d’onde. Les photons terminent leur course dans la jonction supraconductrice d’un micromètre carré. Les récepteurs sont confinés dans le cryostat, une enceinte sous vide refroidie à – 269°C, soit 4 degrés au-dessus du zéro absolu, par de l’hélium liquide. La baisse de la température réduit le “ bruit ” des composants des récepteurs pour faciliter l’isolation du signal spatial (augmentation du rapport signal-bruit).

La salle blanche

L’Iram dispose d’une salle blanche de classe 100. Dans cet espace à l’atmosphère contrôlée, les particules de poussière sont interdites. C’est ici que sont produites les jonctions supraconductrices, ces minuscules composants qui constituent la pièce maîtresse du mélangeur chargé d’abaisser la fréquence de la source radiomillimétrique collectée par l’antenne. Les jonctions, qui ne mesurent qu’un micromètre carré, sont intégrées dans des puces, elles aussi fabriquées en salle blanche. Le composant dans son ensemble est constitué de plusieurs couches de matériaux, niobium, oxyde d’aluminium, déposées par pulvérisation sous vide. Ici, la technicienne manipule un masque lithographique dont le dessin constitue l’une des couches de la jonction. L’Iram réalise aussi une partie des composants qui seront intégrés aux antennes de l’interféromètre Alma (au Chili).

L’atelier d’usinage

Les pièces qui composent le système de réception sont réalisées dans l’atelier par des fraiseuses à commandes numériques, à partir des fichiers de conception assistée par ordinateur transmis par les ingénieurs de l’Iram. Leur précision micrométrique autorise les gravures les plus délicates, à l’instar du bloc mélangeur, pièce maîtresse du récepteur. Autre pièce sensible, le cornet, présenté ici, qui réduit le diamètre du signal en provenance de l’antenne (déjà concentré par plusieurs miroirs) à un millimètre avant de l’injecter dans le guide d’onde qui mène au mélangeur.

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Philippe Fontaine