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Philippe Adnot (sénateur) : ” La France doit investir dans sa matière grise “

Pénurie de main d’?”uvre d’un côté, licenciements de l’autre… Comment s’y retrouver face au paradoxe qui caractérise la Net-économie aujourd’hui ? Philippe Adnot, sénateur indépendant et président du Conseil de l’Aube propose quelques pistes.


01net. : Le Syntec
informatique* en appelle au gouvernement pour régler le problème de la pénurie des informaticiens. Qu’en pensez-vous ?
Philippe Adnot : Il n’y a pas de pénurie. Le Syntec évoque généralement la fuite des jeunes diplômés vers l’étranger et le manque de formation initiale. Il demande que le gouvernement ouvre les frontières françaises à la main d’?”uvre étrangère et qu’il crée plus d’écoles. Pourtant, si on fait le bilan du nombre de départs et du nombre d’étudiants étrangers qui restent en France, on constate qu’il est positif. Les échanges internationaux sont d’autre part extrêmement importants pour l’économie.En quoi la fuite des cerveaux peut-elle être positive pour la France ?Parce qu’il faut qu’étudiants et créateurs d’entreprises français aillent à l’étranger pour démontrer leur capacité à réussir. La faiblesse de la France a d’ailleurs toujours été l’absence d’un nombre suffisant d’expatriés : les liens économiques, commerciaux et institutionnels se font s’il y a des relais dans le monde entier. On doit donc inciter les Français à aller partout dans le monde. On dit aussi que la fiscalité française fait fuir les entrepreneurs…Je pense qu’elle peut plus facilement faire fuir les chefs d’entreprise en fin de carrière lorsqu’ils tombent sous le coup de l’impôt sur les grandes fortunes ou des problèmes d’impôts sur la transmission de leur entreprise. En revanche, je rencontre énormément de jeunes créateurs qui se réalisent pleinement chez nous. Mais il faut les aider.Comment l’Etat pourrait-il aider les entrepreneurs ? Par la mise en place d’un crédit de formalités administratives : au lieu de positionner les tâches administratives avant la création d’entreprise, il faudrait que les créateurs puissent prendre des rendez-vous réguliers au fur et à mesure du développement de leur société. Au moment où l’entreprise se crée et se développe, la personne a trop de choses à régler. C’est anormal de le surcharger. Cela épuise les créateurs d’entreprise avant qu’ils aient commencé.Bon nombre de start-up sont en cessation de paiement. Est-ce de mauvais augure ? Non, on assiste à un mouvement régulateur important qui va de soi.Pourtant, la vague de licenciements actuelle peut être lourde de répercussions…Certes, mais c’est parce que certaines sociétés restent dans une conception de l’entreprise qu’il faudra arriver à dépasser progressivement. La logique du profit immédiat ne paie pas. On doit s’inscrire dans le long terme. Je pense d’ailleurs que la valeur des entreprises sera progressivement associée à d’autres dimensions : l’environnement, un projet d’entreprise qui valorise les hommes. Je suis convaincu que les entreprises qui auront les faveurs des clients et des investisseurs sont celles qui développeront une dimension humaine.Qu’entendez-vous par ” dimension humaine ” ?La masse salariale est une valeur potentielle à prendre en compte pour le développement de sociétés, elle ne doit pas être considérée comme une charge. Or, aujourd’hui, on a tendance à oublier que la réussite des entreprises est d’abord liée au travail des gens qui la composent. L’entreprise gagnante est celle qui saura comprendre et utiliser la valeur de ses employés. Je suis peut-être cinq ou dix ans en avance, mais j’en suis convaincu.Quels sont dans ces conditions les bons investissements pour l’avenir ? L’investissement dans la matière grise. C’est le seul moyen d’innover et de conquérir de nouvelles parts de marché. La formation à tous les niveaux est donc un investissement fondamental.La formation est donc un facteur nécessaire à la croissance ? Oui. Sans formation, on n’est pas opérationnel et on n’est pas concurrentiel, surtout aujourd’hui. On ne peut pas se battre sur le prix de la main d’?”uvre. Notre seule chance, c’est l’innovation, la technologie, l’organisation, c’est la valeur de l’ensemble de l’équipe qui travaille.Quels sont les autres facteurs de réussite ?La valeur de l’équipe de management, la valeur du projet de l’entreprise qui réunit toutes les forces pour la réussite. L’entreprise doit également réaliser un investissement maximum pour son développement. Seules les entreprises qui restent toujours à la pointe en alliant pouvoir de l’homme et technologies peuvent gagner. On ne peut pas se positionner autrement que gagnants/gagnants. Ceux qui voient le monde dans une position dominants/dominés se trompent.Tous les pays du monde pourront-ils suivre la même évolution ?Oui, en Chine, en Inde et dans tous les pays d’Amérique latine, on rencontre des universités qui fonctionnent très bien. L’intelligence existe. Ces pays sont donc capables de former des gens de très haut niveau et, en plus, ils sont beaucoup plus compétitifs sur les prix.Cela ne veut-il pas dire que les pays développés risquent, sur le long terme, d’y perdre ? Certainement pas. La vision d’un monde déséquilibré où on gagne bien sa vie parce qu’on est fort et que les autres sont faibles n’a aucun avenir, même si elle est encore dominante. Le pari sur la formation, qui est fait dans tous les pays du monde, est le pari gagnant. Il ne faut pas qu’on fasse l’impasse là dessus. Mais comment l’équilibre entre pays riches et pays pauvres peut-il se faire ? On vend de moins en moins un produit seul. On vend de plus en plus un produit et un service. Le service représente de plus en plus de valeur dans ce que l’on vend globalement. Le service va fatalement se développer à proximité du lieu de consommation du produit. Cela veut dire que nos entreprises mondialisées vont essayer de générer de la valeur dans tous les pays du monde.* : Le Syntec informatique est la Fédération des syndicats de sociétés d’études et de conseil.

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Mélusine Harlé