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Meryem Marzouki (Iris)

‘ Autorité morale forte, la CNIL peut montrer les nombreux dangers du projet INES. ‘

Bonjour et bienvenue sur le chat. Nous sommes très heureux de recevoir aujourd’hui Meryem Marzouki !


Bonjour à tous.Hercule : Selon vous, quels risques courre?”t?”on avec cette nouvelle carte ?


Le risque d’un fichage généralisé de la population, d’abord. Le risque de banalisation de la biométrie ensuite.martine : Quels sont les avantages pour nous de posséder cette carte électronique ?


Il faut poser la question au ministère de l’Intérieur. Cela dit, les arguments du ministère sont principalement la lutte contre la fraude à l’identité, ce que nous contestons. En effet, pour l’instant, et cela a été confirmé par un récent
rapport d’une commission du Sénat, il n’y a pas de chiffres sur cette fraude en France. On ne peut donc pas dire que cela justifierait le projet INES, d’autant que les risques sont très importants.Journaliste_01net : Que pensez?”vous des modalités de délivrance de la future carte d’identité telles qu’elles sont prévues dans le projet actuel ?


Le projet actuel est flou à ce sujet. D’ailleurs, le seul document public officiel date du 1er mars. Voulez-vous parler des modalités pratiques de délivrance par les communes ?Marie : Franchement, ce n’est pas de la parano de croire qu’il y a danger à être tous fichés ?


Non, ce n’est pas de la parano, il suffit de se reporter à quelques exemples. Vous connaissez le fichier FNAEG ? Il contient les empreintes digitales des personnes mises en cause dans des affaires judiciaires. Au début, en 1998, il
avait été conçu uniquement pour contenir les empreintes des auteurs de crimes sexuels graves. Il a été ensuite progressivement étendu, au point qu’un syndicaliste, qui avait été condamné à 5 mois de prison avec sursis, s’est retrouvé dans ce
fichier. Un autre fichier, le STIC, a été aussi étendu et a même fait l’objet de détournements d’utilisation. Le problème est qu’une fois que le fichier existe, on ne peut plus en maîtriser vraiment l’usage, et l’expérience montre que ces usages
sont toujours étendus.Roro : Comment va se présenter cette carte ?


Who knows ? D’après ce qui a été officiellement annoncé, elle se présentera au format carte de crédit, avec une puce, et des informations inscrites dessus.zak : Bonjour. Ne sommes-nous pas déjà fichés avec les cartes bancaires ? Et les portables ?


Bien sûr qu’on peut nous suivre à la trace ! Mais on a le choix, pour l’instant. On peut téléphoner avec des fixes, ou via des cabines (bien que leur nombre diminue..). On peut payer en liquide. Bien sûr, ce choix est de plus en plus
virtuel, car ces moyens sont de plus en plus pratiques. Mais le vrai problème avec la carte d’identité biométrique, c’est le changement des rapports de pouvoirs entre les citoyens et l’Etat. Jusqu’ici, ces rapports sont basés sur une confiance
mutuelle. Le citoyen déclare son identité, et celle-ci n’est pas associée à des éléments biologiques. Avec le projet INES, on entrera dans un processus irréversible. Il sera très difficile de prouver qu’il y a une erreur sur la personne, par
exemple, car on aura une totale confiance dans la biométrie. De plus, le projet INES, ce n’est pas seulement la carte : c’est aussi le couplage avec un fichier centralisé, qui contiendra entre autres des informations biométriques.Journaliste_01net : Avez-vous participé à l’élaboration du récent rapport rendu sur ce sujet au ministère de l’Intérieur par le Forum des droits sur l’Internet ?


Moi-même, ainsi que des représentants d’autres organisations qui ont formé le collectif pour le retrait du projet INES, nous avons effectivement participé. Le président de la Ligue des droits de l’homme a participé au débat de Paris, j’ai
participé à celui de Lille. Vous pouvez consulter les comptes rendus de ces débats sur le site du FDI. La CNIL a aussi conduit des actions, et plusieurs représentants du collectif y ont participé.Jérémie : IRIS, c’est quoi ?


IRIS, c’est ‘ Imaginons un réseau Internet solidaire ‘. C’est une association créée en 1997, qui a pour objectif la défense des droits de l’homme et des libertés sur Internet. Vous pouvez consulter notre
site :
www.iris.sgdg.org.Javanaise : Un test de contrôle biométrique est en cours à Roissy. En quoi consiste?”t?”il ?


Il s’agit d’une expérience de passage des frontières avec contrôle biométrique. C’est limité au terminal 2F de Roissy.Journaliste_01net : La carte d’identité électronique ne répond?”t?”elle pas à un besoin d’harmonisation des législations au niveau international ?


Il y a une autre expérience en cours à l’aéroport de Nice. Non, la carte d’identité biométrique ne répond pas à une obligation internationale. Il y a une telle obligation pour les passeports uniquement. Au niveau international, le seul
identifiant biométrique nécessaire pour les passeports est la photo numérisée. Au niveau européen, la photo numérisée et l’empreinte digitale sont imposées par un règlement datant de décembre 2004, mais ça ne concerne aussi que les passeports. Plus
précisément, ce règlement dit explicitement que les cartes d’identité nationales sont exclues de ce règlement. C’est donc une décision des Etats nationaux.Samsung : Pensez?”vous que les droits de l’homme sont bafoués sur Internet aujourd’hui ?


Sur Internet et hors Internet. Mais il faut être plus précis. Voulez?”vous parler d’un pays en particulier, d’un usage en particulier ?Cassis : Quelles sont vos actions au quotidien ?


Nos actions consistent essentiellement à mener des campagnes de sensibilisation, des citoyens et des associations plus généralistes. Nous nous adressons aussi aux pouvoirs publics, mais ils ne nous écoutent pas souvent:) Nous menons des
campagnes de mobilisation, nous publions des analyses pour que les enjeux soient mieux compris.Martine : Engagez?”vous des poursuites contre certains sites ?


Non, nous n’avons pas fait cela. D’autres le font.Javanaise : Vous parlez du risque de fichage… Mais ne sommes?”nous déjà pas tous fichés avec notre n?’ d’Insee ?


Le numéro INSEE (le numéro de sécu) est le seul identifiant unique, avec un numéro attribué à chacun. Mais justement, la loi restreint très fortement l’utilisation du numéro de sécu. Un gros problème avec INES est que le ministère de
l’Intérieur envisage d’utiliser le numéro INSEE dans le cadre du projet pour les vérifications de l’état civil. Tous les syndicats de l’INSEE ont protesté, en rappelant que cela ne s’était jamais vu depuis le régime de Vichy. Ils ne veulent pas que
l’INSEE devienne l’auxiliaire du ministère de l’intérieur. Le collectif contre INES a aussi envoyé aujourd’hui une lettre ouverte au directeur de l’INSEE pour lui demander de refuser.Journaliste_01net : INES : C’est 1984 ou Bienvenue à Gattaca ?


Je ne dirais pas 1984, je dirais Brasil. A cause du fait qu’on risque de se retrouver dans l’impossibilité, qu’on est bien celui qu’on est, et non celui qu’on croit !! Je voulais dire de
prouver qu’on est bien..zak : A quand la puce électronique collée sous ou sur la peau ?


Je ne sais pas… Faisons en sorte que cela n’arrive pas.jo : Est-elle sûre à 100 % ou risque-t-on des failles informatiques ?


Vous voulez dire la carte INES ? Elle ne peut certainement pas être sûre à 100 % ! Même si elle l’était, ça ne durerait qu’un moment. On voit cela à l’expérience. Mais il faut savoir aussi que les empreintes digitales ne
sont pas une technique fiable à 100 %. La reconnaissance par les empreintes est basée sur des méthodes statistiques. Plus la base est large, plus il y a de risques d’erreurs. De plus, la biométrie en elle-même n’est pas une technique
complètement sûre. Des études ont montré le taux d’erreurs pour les différentes techniques, les taux ne sont pas négligeables du tout.alex : Qui a inventé cette carte ? Bill Gates ?


Ou Nicolas Sarkozy ? Allez savoir…Journaliste_01net : Sortons un peu du sujet. Que pensez?”vous du débat sur le bracelet électronique ?


La biométrie est une technique très ancienne. L’usage des empreintes digitales, par exemple, date de la fin du XIXe siècle. Ce qui change est l’automatisation et l’informatisation de l’usage de la biométrie.maya : Comment fonctionnera-t-elle ? A partir de quand sera-t-elle en circulation ?


Ce n’est qu’un projet pour l’instant. On n’a pas beaucoup d’informations publiques. IL est prévu que la carte soit lisible sans contact, ce qui est un danger supplémentaire. D’abord il y a des risques d’interception des données lues,
ensuite des risques de lecture indue. Enfin, il y a le risque de lecture sans que le porteur de la carte en ait conscience.Gabe : Et qu’arrivera?”t?”il à ceux qui ne la voudront pas ?


ALors qu’un débat était en cours, le ministre de l’Intérieur a annoncé le 11 avril que la carte serait obligatoire.riri : Ne trouvez-vous pas que l’on se dirige de plus en plus vers un Etat totalitaire ?


Il est certain que le contexte est de plus en plus sécuritaire, et qu’il y a une prolifération des fichiers et du fichage. Le champ des personnes présumées suspectes s’étend de plus en plus, pour en arriver à soupçonner tout le
monde.jean : Est?”il vrai que les cartes reposeront sur le même système que les cartes bancaires avec un code, avec le risque de pouvoir les pirater ?


D’après le document datant du 1er mars (mais les choses ont peut-être changé), la lecture des informations sur la carte se fera avec plusieurs niveaux de sécurité, dont un code. Ca ne fonctionnera donc pas
simplement comme une carte bancaire, mais cela n’enlève rien aux risques de lecture et d’utilisation indue des informations.delphine : Cette carte électronique s’appliquera?”t?”elle pour tous les pays européens ? Il me semble que la Belgique l’a déjà mise en circulation, non ?


La carte belge est électronique (carte à puce), mais ne contient pas de biométrie. Aucun pays européen n’a encore mis en place la carte biométrique. Au Royaume Uni, une loi a été votée, mais ce n’est pas mis en place, et il y a de très
fortes contestations. En Allemagne, c’est encore en projet, comme la France.Martine : Est-ce que cela vous dérange que l’on soit surveillé ? Avez-vous quelque chose à vous reprocher ?


Cela me dérange qu’on soit soupçonné systématiquement. Vous reprenez la formule de Pasqua quand il était ministre de l’intérieur: ‘ Celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à cacher ‘. Je considère qu’on a
toujours quelque chose à cacher, même quand on n’a rien à se reprocher.Journaliste_01net : La carte d’identité électronique peut?”elle décemment servir à lutter contre le terrorisme comme cela est avancé par certains ? A?”t?”on des exemples tangibles de réussite en la
matière ?



Ce que l’on sait, et cela a été rappelé par le collectif, c’est que dans les attentats les plus meurtriers, ceux qui les ont commis ont utilisé leur propre identité. C’est un argument de façade, pour faire accepter au sein de la population
des projets tels qu’INES. On insiste moins sur d’autres raisons : le contrôle de l’immigration, le contrôle de l’attribution des prestations sociales… et la santé de l’industrie de la biométrie, qui est un énorme marché.criss : Quel est votre rôle au sein de l’association Iris ?


Je suis présidente de l’association.Martine : A quand une carte d’identité européenne ?


Quand il y aura une citoyenneté européenne.marco : Que peut-on faire pour arrêter cette idée de carte électronique ?


Se mobiliser, largement et fortement. Le collectif a lancé une pétition, il y a déjà plus de 1500 signatures. Il en faut beaucoup plus. Je vous propose de la signer aussi :
www.ines.sgdg.org. Nous allons mettre en place plus d’informations et d’autres actions. Nous sommes en relation avec des associations d’autres pays d’Europe, c’est important de se coordonner. IRIS
est membre d’une fédération européenne, EDRI : c’est très utile pour se coordonner et mener des actions communes.lud : Quelles informations exactes se trouveront sur cette carte ?


Encore une fois, je ne peux répondre qu’en fonction des documents publics du ministère de l’Intérieur, et ils datent de mars. Ce qui était prévu, c’est l’état civil de la personne, son adresse, ses identifiants biométriques (photo et
empreintes). La carte est censée aussi servir de moyen de signature électronique, ce qui pose un autre problème. En effet, si la carte sert à la fois pour les contrôles d’identité (objectif de police), pour les téléprocédures administratives et pour
les transactions commerciales électroniques, il y a mélange des genres. Et donc un risque d’accès à des informations par l’administration ou par des sociétés commerciales, alors que ces informations sont très sensibles.delphine : Comment marche la signature électronique? Pouvez-vous m’éclairer, svp ?


Très rapidement, et sans entrer dans les détails techniques, c’est une information sécurisée qui certifie la signature.Furax : Finalement, que l’on ait la carte ou pas, cela ne va pas changer grand-chose parce que, de toute façon, la police peut savoir tout ce qu’elle veut sur n’importe quel citoyen ? Alors, n’est-ce pas un faux
combat ?



Pourquoi dites-vous que la police peut savoir tout ce qu’elle veut sur n’importe quel citoyen ?Journaliste_01net : Au vu des dernières déclarations de Nicolas Sarkozy, le débat parlementaire sur le projet INES ne risque-t-il pas d’être repoussé ?


Ce n’est pas (encore) le cas. Je réponds à la question sur les déclarations de Sarkozy. Oui, pour l’instant, il semble que le gouvernement veuille réfléchir à deux fois, notamment sans doute à cause du coût que cela implique. Mais, d’après
les déclarations de Sarkozy, il ne renoncera pas à la carte biométrique.John Dow : Salutations, Madame Marzouki. C’est une mauvaise chose d’être fiché ? Y aurait-il des avantages pour les citoyens en termes de services, de sécurité ? Les nouveautés dérangent toujours et font peur avec
raison. Pourrait-on accompagner cette mutation plutôt que d’y résister ? La notion de cybernétique vous ‘ parle-t-elle ‘ sur ce sujet ? Merci.



Oui, c’est une mauvais chose d’être fiché. Pourquoi serait-on fiché ? Qui aura accès à ces informations ? Quels usages va?”t?”on en faire ? Quelle confiance est placée dans le citoyen ? Sur les avantages pour
le citoyen : on peut très bien avoir une carte de services, on dit ici ‘ carte de vie quotidienne ‘, sans qu’elle soit liée à la carte d’identité. Avoir dans sa poche une seule carte au lieu d’une n’est pas un
argument, surtout si l’on considère les risques. Les mairies prévoient ces cartes de vie quotidienne. Elles peuvent servir à accéder à plusieurs services, mais elles ne nécessitent pas forcément de comporter l’identité de la personne. Imaginez que
ma carte de vie quotidienne me donne accès à la piscine municipale, parce que j’ai pris un abonnement. Il suffit que ma carte réponde ‘ OUI ‘ ou ‘ NON ‘ au contrôle, inutile de donner mon
nom.Journaliste_01net : La CNIL peut?”elle faire barrage à la carte d’identité électronique ?


Modérément. Il y aura un projet de loi, discuté par le Parlement, et la CNIL ne peut pas s’opposer au législateur. Mais, en revanche, la CNIL est une autorité morale forte, et elle peut montrer les nombreux dangers du projet INES. Si la
CNIL recommande d’abandonner certains des aspects du projet ?” par exemple le fichier centralisé, ou même l’utilisation d’éléments biométriques ?”, les parlementaires et le gouvernement peuvent passer outre, mais il leur faudra
justifier leurs choix, et les citoyens seront sans doute mieux éclairés de connaître la position de la CNIL.Cedric : Le coût de remplacement de la carte, au vu de ses composantes particulières , risque de coûter encore plus cher. Sommes-nous toujours condamnés à payer toujours plus cher ? Doit-on payer notre propre
identité ?



Avant de parler du coût de remplacement, parlons du coût de mise en place. Le gouvernement a prévu que le nouveau système coûterait 25 % plus cher. Il me semble que ces prévisions, qui ne sont d’ailleurs pas étagées, sont très
optimistes. Un rapport vient d’être publié au Royaume Uni par la London School of Economics, qui montre que le coût du projet anglais se montera à plus de 20 milliards d’euros (je dis bien milliards). Certes, ils doivent partir de zéro car ils
n’ont pas du tout de carte d’identité, mais tout de même, ce rapport montre que le coût sera bien supérieur aux estimations du gouvernement britannique.Merci beaucoup, Madame Marzouki, le mot de la fin ?


Merci à tous d’avoir participé à cette discussion. J’espère que nous serons nombreux à nous mobiliser. Vous trouverez plus d’informations à :
www.ines.sgdg.org.

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La rédaction