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Linux ou la malédiction du pingouin

Le logiciel libre représente l’un des plus gros ratés de Sun. Alors qu’elle minorait encore le phénomène il y a deux ans, la firme se raccroche aux branches, mais un peu tardivement.

“Sun n’a aucun projet impliquant l’utilisation de Linux en tant que système d’exploitation” déclarait Ed Zander ?”alors CEO de Sun?” aux analystes financiers en janvier 2000. Une erreur de stratégie qui a coûté cher à Scott Mc Nealy. Symboliquement tout d’abord. Il a dû faire amende honorable deux ans après cette déclaration, en venant lui-même présenter la stratégie Linux de Sun… déguisé en pingouin. Financièrement surtout car tous les analystes estiment que si la firme de Palo Alto avait pris le virage du logiciel libre plus tôt, elle aurait pu enregistrer de biens meilleurs résultats sur sa division hardware (matériel). Sun s’est pourtant amusé publiquement lorsque IBM a annoncé qu’il investirait 1 milliard de dollars sur Linux en 2001. Mais la société n’a pas fait de commentaire lorsque de grandes multinationales comme Credit Suisse ou E-Trade ont remisé une partie de leurs serveurs Sun au placard et préféré des serveurs IBM équipés de Linux. Aujourd’hui encore, lorsqu’il parle du marché des serveurs, Scott Mc Nealy aime à rappeler que Sun détient la première place dans la catégorie des serveurs Unix. Une position confirmée par IDC qui donnait 39 % de parts de marché en chiffre d’affaires à Sun pour le second trimestre 2002, contre 31 % à Hewlett-Packard et 20 % à IBM.

Des marchés qui rétrécissent

Mais ce que notait surtout IDC dans cette étude du 30 août 2002, c’est que le marché des serveurs Unix était en décroissance de près de 20 % par an… au profit des serveurs basés sur des architectures Intel et exploitant Windows ou Linux. En clair : Sun conforte sa première place sur un marché qui se rétrécit d’année en année, attaqué de toutes parts par Linux. Dans la catégorie des stations de travail sous Unix, les statistiques peuvent être encore plus trompeuses. Sun détenait 68 % du marché lors au premier trimestre 2002… mais le marché avait été divisé par deux en l’espace d’un an, toujours selon IDC.Derrière l’aveuglement de Scott Mc Nealy face à la montée en puissance de Linux se cache simplement un problème de rivalité. Linux ne fonctionne que sur des architectures de type Intel. Et Intel est le principal allié de Microsoft. Ce qui rendait alors impossible tout engagement de Sun en faveur du développement de Linux. La société préférait pousser Solaris, son propre système d’exploitation de type Unix. Au point même d’en dévoiler le code source et de rendre ce dernier public lors de la sortie de Solaris 8 en janvier 2000. “Solaris est conçu pour l’exécution d’applications critiques, Linux ne peut pas répondre aux exigences de telles applications”, déclarait alors Scott Mc Nealy pour qui l’affaire était close. Mais, depuis, ce dernier a bien dû faire sien l’un des principaux adages de l’industrie informatique “si tu ne te cannibalises pas toi-même alors les autres le feront pour toi”. Et avancer prudemment sur la voie de Linux.Première opération : le rachat annoncé en septembre 2000 de Cobalt Networks. Un nain de l’industrie informatique. Une toute petite société qui s’apprêtait à annoncer des résultats annuels de 80 millions de dollars de chiffre d’affaires (0,5 % de celui de Sun) pour près de 30 millions de dollars de pertes selon les analystes. Bref un grain de sable comparé à Sun. Qui a pourtant consacré 1,3 milliard de dollars en titres pour l’acquisition de Cobalt. Un non-sens financier comme seule la bulle internet pouvait en créer. Cobalt Networks exploitait le concept de l’appliance, c’est-à-dire du serveur pas cher (dix fois moins qu’un serveur Sun) prêt à l’usage et dédié à une seule tâche ?”en l’occurrence les serveurs internet dans le cas de Cobalt Networks. Et l’architecture retenue par Cobalt était d’utiliser Linux sur des machines à bases de processeurs AMD, ce qui cadrait parfaitement avec l’échiquier stratégique de Sun. “AMD est l’ennemi d’Intel et les ennemis de nos ennemis sont nos amis”, déclarait Jonathan Schwartz, alors vice-président en charge de la stratégie. Quant à Linux, on n’en parlait pas. “Linux repose sur un concept similaire à Solaris, cela facilitera donc le passage des clients de Cobalt vers des machines Sun”, ajoutait Jonathan Schwartz. Ou traduit en langage compréhensible par un directeur financier : “Vos machines Cobalt à 1 000 dollars fonctionnent comme nos machines Sun à 10 000 dollars, vous pouvez donc acheter nos machines à 10 000 dollars”. Un quasi non-sens. Et les citations de Jonathan Schwartz devenaient encore plus comiques quand, quelques mois plus tard, Cobalt mettait discrètement sur le marché un serveur basé sur un processeur Intel. Virage stratégique ? Non, les processeurs AMD plus puissants produisaient tout simplement trop de chaleur pour être utilisés dans les appliances Cobalt, selon un responsable commercial de l’époque.

Linux, un ami finalement

Mais le rachat de Cobalt n’était qu’une première étape puisque Sun ne commercialisait toujours pas de machines Linux sous sa propre marque. Le 12 août 2002, Scott Mc Nealy a franchi le pas en dévoilant le LX50, le premier serveur Sun sous Linux. À cela, une justification : “Linux est l’ennemi de Microsoft et les ennemis de mes ennemis sont mes amis”. Car chez Sun, on sait manier le comique de répétition, même involontairement. Et cette fois-ci, plus question d’interroger le mythique PDG sur Intel car le LX50 incorporait deux processeurs Pentium III d’Intel. Les analystes, eux, restaient sur leur faim. L’adoption de Linux par Sun les rassurait mais la stratégie n’était pas convaincante. “Les marges seront très faibles sur ce serveur qui est une entrée de gamme, Sun a clairement fait le choix de proposer une offre pour retenir ses clients plutôt que de maintenir ses marges”, expliquait à Reuters l’analyste Walter Winnitzki de First Albany. Scott Mc Nealy, lui, était rassurant : “Nous pouvons produire des machines Linux avec des coûts aussi bas que Dell”.Deuxième acte de la stratégie Linux définie en février 2002 : le poste client, la station de travail. Le 18 septembre 2002, Scott Mc Nealy révélait donc son “desktop client”. C’est-à-dire un PC plutôt classique mais équipé de Linux au lieu de Windows, ainsi que d’un lecteur de JavaCard (la carte d’identification développée par Sun) et de logiciels de bureautique venus du monde Linux. Objectif pour Sun : proposer un poste de travail beaucoup moins cher qu’un PC classique équipé de logiciels Microsoft. Chiffres à l’appui, Jonathan Schwartz indique qu’une entreprise pourrait diviser ses coûts par trois. Et pour Sun, le desktop client est l’opportunité de rentrer dans les entreprises pour leur proposer ensuite les logiciels et matériels Sun du côté serveurs. Car le “desktop client” ne fonctionne que connecté à un réseau, toutes les données des utilisateurs étant stockées à distance. Les analystes n’apprécient pas, ils considèrent que le marché des stations de travail à bas coûts est un marché où le volume crée les profits. Et ils ont toujours en mémoire les deux précédents échecs de Sun sur ce créneau : la JavaStation à la fin des années 1990 et le Sun Ray depuis un an. Ces deux machines, similaires dans leur concept au “desktop client” mais ne fonctionnant pas sous Linux, n’ont jamais séduit les entreprises. Si bien qu’aujourd’hui, la question reste entière : quid de la stratégie Linux de Sun ? Après des annonces fracassantes, la société na pas vraiment pris pied commercialement sur le marché Linux. Mais, symboliquement, Sun a rattrapé son retard et peut désormais se présenter comme un fervent défenseur de Linux. Un premier pas, avant peut-être un engagement plus sérieux dans le logiciel libre.

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Alain Steinmann*