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Les limites du ” droit de cybergrève ” en France

La récente cybergrève des salariés de World Online Belgique a prouvé l’effet redoutable de ce type d’action. Le droit d’utiliser des moyens informatiques dans le cadre d’une grève en France apparaît moins permissif.

Toutes les revendications des salariés de World Online Belgique ont été satisfaites. Racheté par Tiscali, le fournisseur d’accès à Internet devait affronter une restructuration, à la fin février 2001, source de licenciements. Afin d’obtenir un plan social correct, les salariés avaient entamé une cybergrève.Ils ont ainsi ” squatté ” une partie du site de leur entreprise pendant quelques jours. Les internautes pouvaient y consulter des informations sur le mouvement social et aussi participer à un forum. Frank Poosen, délégué syndical du BBTK et rédacteur en chef du site de World Online Belgique, expliquait à cette occasion : ” Dans notre pays, les syndicats peuvent utiliser tous les moyens de communication qu’ils souhaitent pour faire pression lors d’une grève. Malheureusement, nos confrères suisses et français n’ont pas ce droit-là. “

En 1999, les grévistes d’Elf occupent la salle informatique de l’entreprise

Il n’y a pas eu, en effet, en France de cas similaire à celui de World Online Belgique. Pourtant, la grève des salariés de Elf Exploitation-production, à Pau en 1999, s’en rapprochait. Les grévistes ont réussi le tour de force d’occuper la salle des serveurs informatiques de l’ensemble de la société durant 106 jours.Au bout d’un mois de grève, la direction a porté plainte pour occupation illicite. Sylvie Gibergues, syndicaliste CGC, raconte : “Paradoxalement, nous avons eu le droit d’occuper le site, car le juge a décidé que compte tenu du mouvement collectif, les dix-neuf personnes présentes lors du constat d’huissier ne pouvaient être condamnées.”

La grève au jour le jour sur Internet

Les salariés ont également créé un site Internet pour informer du déroulement de leur grève, alors que la société elle-même ne possédait pas de site à l’époque. Michel Aguer, représentant de la CGT, aujourd’hui à la retraite, se souvient : “La direction a exercé des pressions pour essayer de fermer le site. Mais c’était un site personnel, il était donc parfaitement légal, du moment que nous ne tombions pas dans la diffamation.”Dans la même logique, des salariés en grève de Pizza-Hut, à Paris-Opéra, à Rouen et à Villetaneuse, dans la région parisienne, se sont servi du site de la CGT-Pizza-Hut, tout juste né au mois de janvier 2001, pour communiquer sur les grèves en cours.” Le site a été un outil d’information très efficace, estime Abdel Mabrouki, délégué CGT menacé alors de licenciement. Il nous a permis de diffuser nos tracts pendant la grève, alors que dans les locaux, ceux-ci étaient systématiquement arrachés. Nous avons pu aussi obtenir de nombreux soutiens de la France entière grâce à notre pétition en ligne. “

A la limite du droit

Si l’utilisation de sites pour informer sur des grèves est irréprochable, il semble qu’en France une cybergrève, comme celle menée par les salariés de World Online Belgique, pourrait être répréhensible. Selon le juriste Jean-Claude Patin : “Il s’agit de publier sur un support qui n’appartient pas aux salariés, mais à l’entreprise et c’est donc une appropriation frauduleuse d’un outil.”D’autre part, le problème des non-grévistes se pose. Pour Jean-Claude Patin, ce type de grève pourrait être “une atteinte à la liberté du travail”. Néanmoins, il ajoute, “L’entreprise, qui présente son plan social de licenciement, ne souhaitera pas forcément jeter de l’huile sur le feu en assignant les grévistes pour des détournements dont ils se seraient rendus coupables.”En fin de compte, une grève représente toujours un rapport de forces dans lequel, parfois, les directions préfèrent fermer les yeux quand les grévistes franchissent la limite du droit, au lieu d’amplifier le conflit. Il appartient alors aux grévistes de mesurer leur intérêt à franchir ou non cette limite.

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Mona Moalic