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Les dix vérités de l’offshore

A l’heure des premiers vrais retours d’expérience, quel impact a l’offshore sur le marché des services et de l’emploi informatiques en France ? Etat des lieux.

Moins de 2 %. C’est la part de l’offshore dans le chiffre d’affaires des SSII françaises, selon Syntec informatique. Un petit 2 % serait-on tenté de dire, puisque certains analystes
n’hésitent pas à multiplier la mise par deux ou trois. En soi, l’information n’a rien de fulgurant, si ce n’est qu’elle a été délivrée, mercredi 25 janvier, à l’occasion de la première conférence du
Syntec consacrée au sujet. Un signe des temps.Jusqu’alors évasif sur les délocalisations, la chambre syndicale en reconnaît enfin explicitement le caractère inéluctable. Un phénomène appelé d’ailleurs à doubler ou tripler sous peu puisque, selon Jean François
Rambicur, président de la Commission économie-marchés, l’offshore représentera ‘ entre 4 et 6 % du marché concerné d’ici à 2009 ‘. Plus étonnant encore, la
chambre syndicale place le ‘ plafond théorique ‘ à 15 % !

1. Délocalisation : les grandes SSII françaises en tête

Les délocalisations prennent des formes diverses, allant du rachat de sociétés à la création de filiales, en passant par la sous-traitance à des SSII locales ou aux représentants français de sociétés de services indiennes. Ainsi,
Capgemini et Atos Origin mènent une politique de délocalisation massive, notamment en Inde. Le premier a annoncé son intention de porter ses effectifs indiens à 10 000 d’ici à 2007 contre 3 000 actuellement. Toutefois, seuls 100 à
150 salariés indiens de Capgemini travailleraient pour des clients français, selon un observateur.Les SSII de taille plus modeste ont, elles, plutôt fait le choix du nearshore. Sopra a ainsi ouvert un centre à Madrid, Unilog s’est implanté au Maroc et au Liban, tandis que GFI a choisi l’Espagne et
le Maroc. Pour des effectifs se limitant pour l’instant à quelques centaines de personnes. ‘ On n’a pas encore observé le décollage attendu ‘, estime Dominique Raviart, analyste chez
Ovum.Cette offre structurée n’empêche pas quelques grands comptes de négocier directement avec les ‘ pays low cost ‘ ou via l’intermédiaire de sociétés pivots.
‘ BNP Paribas a ouvert un centre au Maroc et la direction informatique de Peugeot réfléchit à une délocalisation d’une partie de son informatique en Inde ‘, relève ainsi Annie Combelles,
présidente de la société de conseil Q-Labs.

2. L’Inde reste la destination phare

Ce pays concentre, selon Marc Laporte, DG d’IDC France, ‘ 75 % de exportations informatiques mondiales ‘. La barrière de la langue et le décalage horaire constituent toutefois
de sérieux handicaps et les SSII indiennes n’ont pas encore connu, en France, le succès annoncé. Plus proche géographiquement et culturellement, le Maghreb présente, quant à lui, un défaut majeur : les ingénieurs n’y sont pas
assez nombreux.Au-delà de destinations plus exotiques comme Madagascar ou la Chine ?” annoncée comme le nouvel eldorado de l’offshore ?”, l’Europe de l’Est est promise à un avenir
radieux. A l’image de l’écosystème américain, qui repose sur le Canada et le Mexique, l’Union européenne pourrait s’appuyer sur les nouveaux entrants pour bâtir sa zone économique intégrée. Ce qui suppose, toutefois, de
prendre le contre-pied de la directive Bolkestein et de niveler les conditions de travail par le haut.

3. Salaire indiens et français : l’écart se resserre

Selon une étude Unilog-IDC parue fin 2004, 83 % des entreprises européennes évaluent le gain financier de l’offshore à moins de 20 %. On est loin des 50 % d’économie claironné par
certains promoteurs du modèle. Entre la formation, l’encadrement et les dépassements de délai, les délocalisations recèlent d’importants coûts cachés. Sans compter la hausse régulière des salaires ou le turn-over, qui peut atteindre
les 50 % en Inde. ‘ En 2004, les salaires moyens des Indiens et des Français étaient dans un rapport 1 à 3, note Olivier Rozenkranc, fondateur de Business Process Partner. En 2005, l’écart
s’est réduit et le salaire français n’est équivalent qu’à deux salaires indiens. ‘
Il faut aussi tenir compte de la phase d’apprentissage et de montée en puissance. ‘ Les premiers projets ne sont pas rentables ‘, tranche Annie Combelles. Les surcoûts liés à la
formalisation de l’expression des besoins ou aux salaires des managers placés en interface se lissent au fur et à mesure de la relation avec le prestataire. La menace de l’offshore peut, en revanche, participer de
la baisse du prix moyens des prestations. C’est ‘ le coup du lévrier ‘ décrit par Ludovic Melot, directeur d’études au cabinet Precepta : ‘ On introduit un prestataire
offshore en appel d’offres, tout en sachant que l’on ne le prendra pas. ‘

4. La qualité, passage obligé des échanges internationaux

Les SSII indiennes ont fait de la certification CMMi 5 un argumentaire marketing clé de leur stratégie. Un degré de maturité qui, selon le Munci, ne garantit pas la qualité des prestations. ‘ En Inde,
l’approche CMM n’est pas des plus strictes. Les auditeurs locaux prennent souvent des petits projets, qu’ils certifient, puis étendent la certification à toute l’entreprise. ‘
Les mouvements de
personnels sont, par ailleurs, selon Annie Combelles, difficilement conciliables avec un développement industrialisé.Le jeu de la sous-traitance en cascade est aussi dénoncé. Selon Forrester Researsh, la pression sur les prix contraint des SSII indiennes à remplacer, dès qu’elles le peuvent, leurs équipes expérimentées, donc bien payées, par
des débutants, et à confier les ‘ petits ‘ projets à des sociétés de moindre importance. En revanche, l’offshore oblige les sociétés de services françaises ?” et par contrecoup les
DSI ?” à se mettre au diapason (Itil, CMMi, Six Sigma). ‘ Pour bien travailler avec un prestataire offshore évalué CMMi 3 ou plus, une entreprise doit être au moins niveau
2 ‘,
estime Marie-Pascale Reinhart, directrice associée d’Urbanys.

5. Les projets à haute valeur ajoutée sont aussi touchés

L’offshore ne concerne plus exclusivement les tâches répétitives à faible valeur, codage, correction de bogues ou projets de migration. Le principe monte en gamme avec, notamment, le paramétrage de PGI. De l’aveu même de
Syntec informatique, 40 % environ du marché des services est ‘ offshorisable ‘. A contrario, les prestations nécessitant une proximité avec le client et une connaissance métier, sont sanctuarisés. Il en va ainsi du
conseil, de la gestion de projet, de l’intégration, de la livraison et du recettage.La TMA est, elle, sujette à caution. Pour Annie Combelles, c’est la prestation offshore par excellence s’agissant d’un métier bien industrialisé et aux évolutions fonctionnelles mineures.
Elisabeth de Maulde, directrice générale de PAC, est plus mesurée : ‘ Au démarrage, la TMA requiert une relation de proximité et des ajustements difficiles à gérer dans des conditions
offshore. ‘

6. L’offshore est surtout un frein à la création d’emplois

Syntec informatique annonce de 3 000 à 5 000 emplois menacés. Un impact qu’il juge négligeable sous l’effet conjugué, entre autres, ‘ du papy-boom et de la perte d’attrait des
filières scientifiques ‘
. L’offshore conduirait, en fait, à une relative baisse de la croissance des emplois. Le Munci, pour qui le phénomène est sous-estimé (voir 01 Informatique n?’1843, p. 61),
avance le chiffre de 15 000 emplois, en tenant compte des relocalisations d’emplois et des rachats de SSII étrangères.Le cabinet Katalyse va plus loin et pense qu’au-delà de la destruction directe d’emplois, le vrai impact de l’offshore tient dans la non-création d’emplois qu’il induit. La
proportion ? ‘ Quatre emplois non localisés pour un emploi délocalisé. ‘ Jean-Christophe Berthod, responsable du secteur SSII-éditeurs au groupe Alpha, a observé cette tendance dans les chantiers
offshore où il est intervenu en 2004 et 2005 : ‘ Ils n’occasionnaient pas systématiquement de licenciements directs en France, mais ils ont significativement ralenti les
recrutements. ‘

7. Les développeurs ne sont pas tous menacés

Les métiers de conception détaillée, de développement de code et de tests sont les plus exposés à la délocalisation. Faut-il pour autant y voir la ‘ fin programmée des programmeurs ‘ ? Non. Le scénario
‘ idyllique ‘ d’usines logicielles n’ayant plus qu’à assembler des briques élémentaires, codifiées à l’avance, et donc aisément délocalisables, ne tient pas.‘ Tous les systèmes d’information ne sont pas encore standardisés et les besoins en développement spécifique restent importants, analyse Jean-Christophe Berthod. Ils nécessitent une
présence sur place, une adaptabilité. Au final, les délocalisations sur le développement sont moins nombreuses qu’annoncées. ‘
Et puis, on aura toujours besoin de développeurs de haut niveau ayant, en double
compétence, la connaissance du métier du client. Par ailleurs, l’offshore fait émerger de nouveaux besoins en France, en interface, tels que les chefs de projet à distance.

8. Les centres de services, une riposte made in France

Pour Syntec informatique, le cap est fixé. Il faut jouer sur l’évolution des compétences des développeurs et favoriser les métiers porteurs ?” chefs de projet, experts métiers, architectes, acheteurs…
C’est dans ce sens qu’il a créé un Club des grandes écoles informatiques, afin d’adapter les formations aux besoins et attentes des recruteurs.Une rhétorique à laquelle n’adhère pas le Munci. ‘ L’offshore ne va pas emporter tous les postes de développeurs sur son passage. Il n’y a donc pas de raison de transformer le paysage de la
formation initiale. Remettre en cause la carrière “logique” de l’informaticien qui veut que l’on ait fait d’abord ses “preuves” dans le développement avant de devenir chef de projet ou consultant
paraît dangereux. ‘
D’autant qu’il existe des parades locales à l’offshore, tels les indépendants et les centres de services en province. Présentant des coûts d’infrastructure et une masse salariale allégés
qui conduisent à des gains de 15 à 35 %, les uns et les autres peuvent rivaliser avec l’offshore sur le plan économique. La proximité en plus.

9. Un risque de nivellement par le bas des conditions de travail

La mise en concurrence des compétences à l’échelle de la planète conduit à déqualifier les profils les plus exposés. Aux Etats-Unis, la rémunération moyenne des développeurs a ainsi chuté de 17,5 % en deux ans.
Pis : les projets de délocalisation sont souvent, dit Jean-Christophe Berthod, ‘ un prétexte pour supprimer des postes liés à des problématiques internes : pyramide des âges, réduction des coûts de structure,
évolution du modèle économique… ‘
Malheureusement, l’actualité récente semble lui donner raison. Cet été, IBM supprimait 14 500 postes, surtout en Europe et aux Etats-unis, et dans le même temps, il recrutait 14 000 employés en Inde. Un
curieux principe des vases communicants. De son côté, HP France place l’impact des délocalisations comme principal justificatif aux suppressions de postes de son actuel plan social. Avec pour, dommage collatéral, la renégociation des
35 heures.

10. Une tendance qui pourrait toucher 10 % du marché

L’offshore ne peut que croître en France dans les prochaines années. ‘ Toutes les entreprises y pensent pour réduire leur coûts ou industrialiser leurs
développements ‘,
observe Elisabeth de Maulde. Si les SSII indiennes n’ont pas percé le marché français, elles pourraient acheter des sociétés françaises pour accélérer le mouvement, à l’image du rachat récent
de Pivolis par KPIT, la huitième SSII indienne.Mais le modèle a ses limites. Dans les pays les plus mûrs, l’offshore connaît un retour de balancier. ‘ Les banques anglaises, qui avaient massivement misé sur la délocalisation de projet avec de grands
prestataires, font aujourd’hui marche arrière ‘
, relève Annie Combelles. Il y a deux ans le phénomène inquiétait fortement les pouvoirs publics américains en raison du nombre d’emplois volatilisés.
Aujourd’hui, avec 10 % du marché délocalisé, le mouvement semble être régulé aux Etats-Unis. En France, un tel reflux n’est pas à l’ordre du jour.

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Corinne Zerbib, Olivier Discazeaux et Xavier Biseul