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Les communes prennent leur haut débit en main

Pour pallier la frilosité des opérateurs, les collectivités locales se chargent elles-mêmes de constituer leur équipement grande vitesse. Elles s’appuient sur les MAN, réseaux métropolitains peu gourmands en investissements.

Depuis l’arrêt des investissements privés dans le secteur des télécoms, il y a douze mois, les collectivités locales multiplient les projets d’investissements pour soutenir l’accès internet haut débit“, explique Stéphane Lelux, PDG du cabinet de conseil Tactis. L’Observatoire des télécommunications dans la ville a quant à lui dénombré près de 108 projets de réseaux locaux haut débit dans toute la France, dont 17 déjà opérationnels, le tout représentant plus de 500 millions d’euros d’investissement.

Deux types d’initiatives

Un grand nombre de ces projets sont des MAN, Metropolitan Area Network, des réseaux métropolitains. En clair, il s’agit de réseaux haut débit couvrant une commune, ou une communauté de communes. Ils s’intercalent entre les réseaux nationaux des opérateurs télécoms et les réseaux locaux des entreprises. Toute société branchée sur un MAN obtient un accès à internet, mais aussi la possibilité d’échanger des données à très grande vitesse et des communications voix avec les autres entreprises du MAN, pour un prix défiant souvent toute concurrence.Certaines communes ne s’y sont pas trompées. Plutôt que d’attendre ad vitam æternam que les opérateurs nationaux apportent du haut débit, peu cher, à leur tissu économique local, elles ont développé leur propre réseau. On peut classer leurs initiatives en deux catégories. La première regroupe les communes ayant développé un réseau ex-nihilo, telle Castres-Mazamet. Une société d’économie mixte a été constituée (détenue à 52 % par les collectivités locales et à 48 % par des acteurs privés) pour créer le réseau. Les investissements se sont montés à 3,8 millions d’euros, et c’est Cegetel qui en assure les prestations techniques.Dans la deuxième catégorie d’initiatives, on trouve des évolutions de réseaux existants. Car, avant même l’ouverture des télécommunications à la concurrence, certaines communes avaient pris la décision de relier entre eux leurs sites (administration, écoles, hôpitaux). Elles passent maintenant à la vitesse supérieure en ouvrant ces réseaux à des sociétés privées qui en deviennent les clients. Besançon est à ce titre exemplaire : les premières pierres du réseau haut débit ont été posées en 1993 pour relier la bibliothèque municipale à celle de l’université.En juillet 2001, pour stimuler la concurrence face à France Telecom, les différentes parties prenantes du réseau local ont créé un syndicat mixte, qui a compétence dans l’aménagement du territoire en haut débit. “ L’objectif est d’ouvrir cette infrastructure pour permettre aux opérateurs, qui le souhaitent, de développer de nouvelles offres ADSL “, explique Claude Lambey, directeur des technologies de l’information et des télécommunications. Aujourd’hui, deux opérateurs seraient sur les rangs. Dans le cadre de la création d’un réseau ex-nihilo comme dans l’adaptation d’une infrastructure, le résultat est le même : les collectivités locales participent au financement du réseau et le confient ensuite aux opérateurs télécoms pour en assurer l’exploitation.

De nouveaux opérateurs?

Car, pour l’instant, le code général des collectivités territoriales interdit toujours à ces dernières d’être opérateurs de télécommunications. Elles sont donc contraintes de trouver une société qui veuille bien s’intéresser à leur sort. “Notre projet est ficelé depuis six mois, se plaint le responsable d’une collectivité, mais les négociations avec les opérateurs nous font perdre un temps fou.“Ces conditions pourraient évoluer : le régulateur comme le nouveau gouvernement planchent sur les compétences des collectivités locales en matière de télécommunications et le niveau de leur intervention économique. “Faut-il limiter ces investissements à la fibre noire [fibre optique non encore exploitée, ndlr] et au génie civil, ou aller plus loin ?“, s’est interrogé récemment Jean-Michel Hubert, président de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART), qui a formulé plusieurs propositions le 9 juillet pour faire évoluer le cadre juridique. L’une d’elles suggère “ d’autoriser les collectivités, qui le souhaitent, sous certaines conditions, et dans les zones les moins desservies, à établir et à exploiter elles-mêmes un réseau de télécommunications.“De son côté, le ministère de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire a repris le dossier inachevé du précédent gouvernement. Ses premières orientations devraient être présentées fin août lors de l’Université d’été de la communication à Hourtin. Le ministre de la Fonction publique, Jean-Paul Delevoye, dira notamment comment compléter la loi sur les collectivités locales pour leur permettre, ou pas, d’être opérateur, et quelle part du risque elles peuvent assumer en matière d’investissements.

Un relais de croissance

L’enjeu économique est en effet d’importance. Outre le développement de l’accès haut débit pour les entreprises de province, les MAN constituent aussi un relais de croissance indéniable pour un grand nombre d’acteurs. Les équipementiers télécoms en premier lieu. “C’est au c?”ur de notre stratégie, explique Jean-Marc Odet, responsable produits de la gamme transmission de données de Nortel Networks. Nous pensons que les MAN vont se généraliser au courant de l’année 2003 avec l’interconnexion d’un grand nombre de grosses PME. Dès 2004, les TPE y seront connectées. “Pascal Gay, directeur général France de Foundry Networks, un équipementier centré sur les architectures réseau de nouvelle génération, estime que sa société “réalise déjà 10 à 15 % de [son] chiffre d’affaires mondial sur les MAN. En Asie, le marché explose puisque la plupart des grandes villes chinoises disposent déjà d’un MAN. Les projets des collectivités locales sont importants puisqu’ils représentent 70 % des appels d’offres même si leur taille est souvent plus réduite que celle des projets menés en direct par les opérateurs.” Stéphane Lelux, de Tactis, estime lui qu’en fonction de sa taille, un projet de MAN coûte entre 1,5 et quelque 20 millions d’euros.Certains équipementiers parient même sur la connexion d’individus aux réseaux MAN, ce qui créerait un marché de centaines de milliers de prises. Une des premières initiatives dans ce domaine pourrait démarrer à Paris dans les mois à venir, avec Place Net (lire ci-contre, en page 18).Enfin, les réseaux MAN constituent aussi une opportunité économique pour des acteurs nouveaux dans le secteur, comme Vinci, ou des sociétés d’autoroutes. On les appelle les GIN, les gestionnaires d’infrastructure neutre. Ceux-ci obtiennent des délégations de service public et cofinancent tout ou partie de l’infrastructure du réseau métropolitain, souvent de 80 à 90 % en c?”ur de ville et moins de 70 % en banlieue.

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Thierry Del Jésus et Alain Steinmann