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La taxe de l’inscription

La taxe sur les supports de stockage numériques n’est pas seulement absurde, elle est symboliquement détestable. Elle assimile toute donnée à une marchandise.

Demain vous achetez un innocent carnet de notes, un tableau blanc, un bloc de Post-it ou une ardoise magique. On vous signale alors que vous devrez vous acquitter d’une taxe à un quelconque organisme, au titre du droit de copie. Et cela sans se soucier de ce à quoi va vous servir ce support d’inscription.Peut-être à rien, d’ailleurs. Peut-être seulement à griffonner lorsque vous êtes au téléphone, ou à écrire des lettres de condoléances ou des lettres d’amour. Il peut aussi servir à recopier les poésies de Rimbaud
(1)
, c’est vrai. Mais ce n’est pas une fonction à quoi il serait prédestiné.Je dis un carnet de notes, mais ce peut être une toile à peindre, une plaque de buis si vous êtes graveur, et pourquoi pas une pellicule photo. Autant de supports qui servent à la reproduction, à la recopie si l’on veut, mais pas seulement à cela.Il nous arrive exactement la même chose avec les supports de stockage numériques : l’Etat décide de taxer la possibilité d’inscrire, dont la copie n’est qu’une sous catégorie possible. L’Etat ne fait pas le détail. L’intention de celui qui inscrit n’est pas prise en compte. Ou plutôt elle est présupposée par la taxe. L’acheteur est d’office soupçonné de se placer dans une opération de duplication d’un contenu commercial. Ce qu’il va inscrire, c’est donc dès le début une marchandise, un objet d’échange à valeur quantifiable.C’est supposer que mes archives, par exemple les multiples correspondances qui sont sur mon disque dur, sont de même nature que les stupidités de l’avant-dernier chanteur à la mode. Et que j’effectue la même opération lorsque je les sauvegarde : je les copie.Alors il n’y a plus d’archive. Il n’y a plus de donnée personnelle. Ni de production personnelle, puisque même celui qui pour la première fois inscrit un fichier qu’il a créé paye une taxe au nom du droit de copie. Mais il ne copie rien, en l’occurrence, il fait. Ce n’est pas une marchandise, ce qu’il essaie d’archiver, c’est sa création. Pourquoi devrais-je payer une société de droits d’auteurs pour graver mes images, ou mon journal intime, ou mes listes de commissions si le c?”ur m’en dit ? Pourquoi devrais-je payer un gérant de circuits de distribution alors que je ne me situe à aucun moment dans une logique de distribution ?Par cette taxe, l’Etat tente de faire passer la donnée toute entière du côté de la marchandise, du négociable et de l’industriel. Il existe pourtant mille et une forme de données, mille et une choses que je peux souhaiter inscrire, sans que ça ait quoi que ce soit à voir avec ces circuits.Si cette taxe est étendue aux disques durs et aux mémoires solides, ce sera encore pire. Ce ne sont même pas des outils d’archivage. Ce sont des composants fonctionnels indispensables à la machine sur laquelle chacun de nous travaille. C’est une fatalité des ordinateurs, ils ont besoin de mémoire, ils ont besoin d’inscrire. L’Etat déclare à notre place ce qu’est notre travail dinscription : une transaction contrôlée par la Sacem. Ces gens sont dangereux, ils décident de la signification de nos actes à notre place. Moi, je ne suis pas fixé. Et vous ?
Prenez votre temps.
(1) Mauvais exemple, il est dans le domaine public, mais bon.
Prochaine chronique le jeudi 18 janvier

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Renaud Bonnet