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Dans huit ans, vous communiquerez (peut-être) par télépathie grâce à un… bonnet

Une start-up se propose de produire un appareil portable, similaire à un bonnet, capable de lire et interpréter l’activité cérébrale pour permettre une communication immédiate avec des machines et des humains.

Jusqu’à présent, les bonnets vous tenaient les oreilles au chaud en vous donnant éventuellement l’air bête, mais c’était bien tout. Demain, vous aurez toujours l’air bête mais pourrez communiquer par la pensée grâce à couvre-chef un peu particulier.

C’est en tout cas la promesse que veut tenir OpenWater, jeune start-up qui vante ainsi ses mérites futurs sur son site Web : « OpenWater est en train de créer un appareil qui peut nous permettre de voir dans votre cerveau et votre corps avec beaucoup de détails. Avec cela vient la promesse de nouvelles possibilités pour diagnostiquer et traiter les maladies et bien au-delà – celle de communiquer uniquement par la pensée ».

Une folie sérieuse

« Communiquer par la pensée », comme dans télépathie ? Dans le petit monde des « jeunes pousses », les promesses folles et intenables sont légion et on serait tenté d’y ranger celles d’OpenWater. Pourtant, un nom apporte tout à coup un sérieux crédit à cette entreprise : Mary Lou Jepsen. C’est celui de sa fondatrice, intimement associée à l’innovation technologique sous de nombreuses formes depuis de nombreuses années. A commencer par le projet OLPC XO (One Laptop per Child), qu’elle a cofondé en 2005 avec Nicholas Negroponte, du Media Lab du MIT, où elle a enseigné. On pourrait également citer les plus de cent brevets portant son nom. Sans oublier, enfin, son passage par le laboratoire secret de Google, X, et enfin son rôle chez Facebook/Oculus qu’elle a quitté pour fonder cette entreprise.

Non intrusif et wearable

A priori sérieux, donc, le projet d’OpenWater n’en est pas moins un défi technologique de première importance qui doit dépasser au moins deux principaux obstacles.

Il faudra tout d’abord à la start-up réussir à miniaturiser un IRM, ou un équivalent. Apparemment, cette première borne est assurée. La scientifique confiait à CNBC : « j’ai trouvé comment intégrer les fonctions d’un IRM – une machine qui vaut plusieurs millions de dollars – dans un wearable qui a la forme d’un bonnet de ski ».

Pour l’heure, sans doute parce que le choix de la laine n’a pas encore été arrêté, le prototype n’existe pas encore. On sait juste qu’il utilisera des écrans LCD souples et des émetteurs infrarouges pour surveiller l’activité cérébrale grâce aux flux sanguins – un peu à la manière des capteurs cardiaques intégrés à nos montres.

La promesse est belle, très belle. Car, contrairement à des projets similaires, notamment sponsorisés par Elon Musk, la méthode de Mary Lou Jepsen est non invasive. Il n’y a donc pas de capteurs à insérer dans la boîte crânienne ou de nano-composants à injecter dans le corps. Si le procédé fonctionne – et le “si” est énorme au vu de la complexité du fonctionnement du cerveau –, ce pourrait être un moyen de grandement faciliter la tâche des équipes d’OpenWater. Car, dans les solutions invasives, les puces placées au contact du cerveau doivent être biocompatibles et compactes. Sans compter qu’il faut ensuite que les électrodes soient suffisamment nombreuses pour capter l’activité des neurones. Rester au dehors du crâne paraît donc plus simple… Mais est-ce assez performant ? Seuls le temps et les premiers prototypes le diront.

Capter, interpréter et communiquer

Le second défi est évidemment de convertir les informations de l’activité cérébrale en données interprétables par une machine pour être transformées en texte/message. C’est ce point qui paraît le plus tenir de la science-fiction et pourtant, c’est sur ce point que Mary Lou Jepsen paraît la plus confiante.
La chercheuse prend certes le temps de pondérer un peu les choses. L’analyse cérébrale sera facilitée par son produit, mais l’aspect communicationnel et « télépathique » ne sera pas pour tout de suite.

C’est en fait l’étape d’après, c’est le « moonshot » derrière tout cela. La « télépathie » est l’objectif à terme, pourrait-on dire… Néanmoins, les progrès en la matière semblent impressionnants. Le problème pourrait presque paraître résolu à l’entendre : « Si je vous glisse dans un IRM aujourd’hui, je peux vous dire les mots que vous allez prononcer, les images auxquelles vous pensez. Je peux également vous dire à quelle musique vous pensez ». Avant de continuer : « Et ça c’est aujourd’hui, je parle donc juste de miniaturiser tout ça ».

Bananes et autres pensées plus complexes

Difficile à croire et pourtant des publications scientifiques récentes dans ce domaine apportent du crédit à ses dires. Un article de l’université de Carnegie Mellon (CMU), publié en juin dernier et intitulé « Au-delà des bananes : les scientifiques de CMU exploitent une technologie de ‘lecture de l’esprit’ pour décoder des pensées complexes » ne dit pas autre chose. Le propos est juste plus nuancé.

Le résultat de ces recherches repose sur l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage machine pour « lire les pensées » à partir d’images de l’activité cérébrale. « Nous avons enfin développé une façon de voir les pensées complexes grâce aux signaux captés par les IRM », explique ainsi Marcel Just, professeur en charge de l’étude sur le site de l’université de Carnegie Mellon.

Ainsi, à partir d’une phrase clé, pensée par sept cobayes et qui produit des événements cérébraux spécifiques – un « alphabet de 42 composants significatifs » – les chercheurs ont pu réussir à interpréter avec une précision d’environ 87% ce qui était pensé.

Cette avancée « rend possible pour la première fois de décoder des pensées contenant plusieurs concepts. Ce dont la plupart des pensées humaines sont composées », précise Marcel Just.

Le futur est presque là

Mary Lou Jepsen n’affabule donc pas quand elle clame que son appareil pourra un jour saisir ce que nous pensons pour le traduire en des données transmissibles et compréhensibles. Les bases sont déjà là. Le plus impressionnant, c’est que l’ancienne professeure du MIT pense que cette révolution n’arrivera pas dans des dizaines d’années mais bientôt. Dans environ huit ans, pour être plus exact. Autant dire demain au regard de l’enjeu et de la complexité technologique.

Difficile à croire ! Pourtant, les progrès dans ce domaine semblent rapides même si on imagine facilement que les dernières étapes pour aboutir à un système pleinement fonctionnel seront les plus complexes et difficiles à franchir. A vrai dire, depuis quelques mois, ce champ de recherches est en ébullition. La Darpa, le bras armé de la recherche militaire américaine -à qui on doit notamment Internet- a d’ailleurs annoncé aujourd’hui, lundi 10 juillet 2017, que six laboratoires bénéficieront de son programme NESD, pour Neural Engineering System Design.

L’objectif du NESD est de développer « un système implantable capable de fournir des communications précises entre le cerveau et le monde numérique ». Ces interfaces, qu’on appelle les wetwares, auront pour mission de convertir les signaux chimiques et électriques du cerveau en données lisibles par une machine, et inversement.

Evidemment, l’arrivée de ces technologies, que certains voient de manière positive, en prédisant qu’elles permettront aux humains de continuer à être compétitif face aux intelligences artificielles, posent également des questions éthiques lourdes. Que devient la liberté de penser à partir du moment où il est possible d’être « écouté » contre sa volonté ? Mary Lou Jepsen indique être consciente du problème et semble chercher des solutions. « Nous essayons de faire en sorte que le bonnet ne fonctionne que si la personne qui le porte le désire », précisait-elle à CNBC. Elle ajoute également : « Nous filtrerons également les éléments que la personne qui porte le bonnet ne juge pas bon de partager ». Des bonnes intentions et un possible enfer. Et si nos boîtes crâniennes étaient l’ultime boîte de Pandore ?

Sources :
CNBC
Université de Carnegie Mellon

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Pierre FONTAINE