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Danger de blocage du très haut débit en France

Qu’il faille prendre de l’avance en France en matière d’accès très haut débit, il y a consensus sur le sujet. Pourtant, sans initiative volontariste, nous risquons fort d’être les derniers à franchir à grande échelle les étapes de
l’après-ADSL.

Le câble n’est pas un médium très développé en France. La seule solution pour apporter de façon économique le futur très haut débit (entre 20 et 100 Mbit/s) dans chaque foyer est donc de passer par la technologie VDSL2. Maintes
fois décrit dans nos colonnes, ce procédé consiste à prolonger les fibres optiques de nos réseaux télécoms jusqu’à des sous-répartiteurs placés au centre des quartiers ou au pied des immeubles de façon à ce que chacun ou presque puisse être situé à
moins de 300 m (ou 900 m si l’on se contente de 50 Mbit/s) d’un sous-répartiteur ; la technologie VDSL2 proprement dite serait utilisée à partir de là sur les liaisons classiques existantes en cuivre.

Un projet à 5 Md d’euros sur 5 ans

La mise en place de cette infrastructure à l’échelle du pays nécessiterait l’installation de 110 000 sous-répartiteurs et devrait coûter de l’ordre de 5 Md d’euros sur une période que l’on peut estimer à environ 5 ans.
Chaque foyer serait alors relié à l’un de ces n?”uds par la partie aval des liaisons cuivre actuelles, sachant que des départs pour fibres optiques devraient aussi être normalement prévus dans chaque sous-répartiteur au cas où des usagers
intéressés demanderaient une liaison “tout optique” (ce “luxe” pourrait alors leur coûter, en passant par un installateur agréé, de l’ordre de
250 euros en ville).Vouloir câbler la France entière en tout optique de façon volontariste serait aujourd’hui irréaliste : le budget correspondant serait de l’ordre de 20 Md d’euros, une somme qu’il apparaît impossible d’amortir à échéance
raisonnable, ou qu’il faudrait investir sur une très longue période, une stratégie difficilement défendable. En fait, la solution “tout optique “, qualifiée d’idéale par certains, ne se justifie pas en
France (sauf pour de l’habitat neuf) pour deux raisons : notre réseau de boucles locales en cuivre est de bonne qualité ?” le VDSL2 peut donc y être mis en ?”uvre ?”, et nous admettons de plus en plus mal l’installation de
fils aériens installés sur des poteaux, comme il est d’usage au Japon ou ailleurs pour baisser les coûts.Reste que ces 5 Md d’euros, même étalés sur plusieurs années, il faut que des opérateurs puissent en disposer, puis arrivent à les amortir, et cela auprès d’usagers peu enclins aujourd’hui à dépasser leur écot mensuel de
30 euros par mois pour le haut débit. En pratique, France Télécom serait sûrement le plus apte à être le maître d’?”uvre principal d’une telle opération.Mais la société est lourdement endettée, ce qui lui interdit tout investissement à risque : elle sait en effet que le régulateur lui imposera un jour ou l’autre le dégroupage au niveau de ses sous-répartiteurs, et cela à un
prix… qu’elle ne maîtrise pas totalement. Elle ne peut donc pas faire ses calculs d’amortissement comme n’importe quel industriel qui doit prendre une initiative. Ce qui est particulièrement pénalisant et qui risque de conduire à une attitude
très réservée de l’opérateur historique face au VDSL2, l’inverse du souhaitable (d’autant que la cohabitation du VDSL2 et de l’ADSL existant ne se fait pas sans prendre quelques précautions techniques).

Un problème d’amortissement

Parmi les solutions de déblocage possibles, il en existe une, dans la plus pure tradition des politiques industrielles pratiquées en Asie et en particulier à Taïwan : un organisme para-étatique pourrait emprunter les sommes
nécessaires à la réalisation des infrastructures et les reverser à France Télécom au fur et à mesure des investissements. Il se les ferait rembourser au rythme des rentrées de cotisation VDSL2 des particuliers ou des opérateurs dégroupés.Tout le monde serait gagnant : les clients pourraient bénéficier des services souhaités ; France Télécom n’aurait rien à débourser mais posséderait un réseau VDSL2 au bout de quelques années, et ses concurrents pourraient être
dégroupés à un prix raisonnable.L’organisme para-étatique, lui, pourrait rembourser son emprunt (avec les intérêts) probablement en moins de dix ans. L’Etat, enfin, serait le grand gagnant car, avec un tel réseau, des emplois dans des services innovants liés au très
haut débit seraient probablement créés en nombre significatif. Reste qu’une telle initiative devrait être admise par les instances européennes, ce qui n’est pas évident.Même dans un cadre politique national, il s’agit tout de même de faire emprunter par un organisme proche de l’Etat une somme rondelette qui, à son maximum, pourrait atteindre les 2 Md d’euros si l’on ne veut pas que l’affaire
traîne (elle pourrait être inférieure si l’on attendait des recettes cumulées d’abonnements suffisantes avant de réinvestir). Les sauvetages d’Alstom ou de Thomson auront demandé, à eux seuls, la moitié de cette somme. Notons simplement que
l’opération très haut débit, elle, est beaucoup moins risquée. Et elle pourrait créer beaucoup d’emplois, directement ou indirectement.* Rédacteur en chef d’ Electronique InternationalProchaine chronique jeudi 9 mars

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Jean-Pierre Della Mussia*