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Les promesses de l’informatique quantique

Théorisé il y a cinquante ans, l’ordinateur quantique est longtemps resté une abstraction de l’esprit. Il commence tout juste à prendre corps aujourd’hui. Et pourrait, un jour, révolutionner l’informatique.

L’informatique est un monde d’optimistes. Demain, nous promet-on, sera peuplé de puces toujours plus puissantes, de mémoires toujours plus grandes. Une confiance dans l’avenir symbolisée par la loi de Moore, qui prévoit le doublement,
tous les dix-huit mois, du nombre de transistors, par centimètre carré, dans les processeurs, avec à la clé, un gain quasiment proportionnel de leurs performances.Jusqu’à présent, cette loi a été plutôt respectée, et les ordinateurs ont largement profité de la miniaturisation des circuits électroniques. Toutefois, au rythme actuel, dès 2020, les composants des PC seront tellement petits qu’ils
atteindront l’échelle atomique ; c’est-à-dire qu’ils ne seront pas plus grands qu’un atome. Et là, les lois de la physique classique n’auront plus cours ; place à la mécanique quantique.Dans l’infiniment petit, en effet, les règles changent : on peut être et ne pas être, à un endroit et à un autre, en même temps. Embêtant pour un ordinateur… Il y a cinq ans à peine, ces effets quantiques étaient, avant
tout, perçus comme une nuisance, contre laquelle il fallait lutter. Aujourd’hui, les chercheurs pensent pouvoir les utiliser. Pour cela, ils ont ressorti de leurs cartons un vieux projet : l’ordinateur quantique. Une machine qui utiliserait,
pour calculer, des particules élémentaires, à l’échelle de l’atome, comme les photons (‘ particules ‘ de lumière). L’idée n’est pas nouvelle : depuis les années soixante, des scientifiques, tels
que Richard Feynman, du Massachusetts Institut of Technology (MIT), aux Etats-Unis, ont imaginé de tels ordinateurs. Théoriquement, comment ça marche ? Dans les ordinateurs, toutes les informations sont symbolisées par des 0 et des 1 : les
bits. Avec les techniques actuelles, à base d’électronique et de magnétisme, chaque bit correspond à un état physique ‘ stable ‘ et unique : un transistor qui laisse ou pas passer un courant
électrique, une particule magnétique orientée dans un sens ou un autre… En informatique quantique, on exploite des particules pouvant être dans plusieurs états simultanément.

Le Qbit est l’avenir du bit

Ainsi, un ordinateur quantique utilise non plus des bits mais des Qbits ­ contraction de ‘ quantum bit ‘ ou ‘ bit quantique ‘. La grande
différence, très difficile à appréhender, c’est qu’un Qbit peut être à la fois à 0 et à 1. On parle de ‘ superposition d’états ‘. Avec les mathématiques, on peut représenter un Qbit à l’aide de
‘ vecteurs ‘ ou de ‘ nombres complexes ‘ (en référence aux nombres entiers ou réels) et réaliser des calculs à l’aide de probabilités (chaque état d’un
Qbit étant associé à une probabilité). L’intérêt ? En informatique ‘ classique ‘, un système de quatre bits permet de coder 16 valeurs (0000, 0001, 0010, 0011, jusqu’à 1101, 1110 et 1111). Mais le
‘ mot ‘ de quatre bits ne peut prendre qu’une seule de ces valeurs à un instant donné. Du coup, pour effectuer des calculs sur les 16 valeurs, il faut effectuer 16 opérations. En informatique quantique,
un système à quatre Qbits permet de représenter simultanément ces 16 valeurs et d’effectuer, en une seule opération, des calculs sur ces valeurs (toujours à l’aide de probabilités). C’est ce que l’on appelle le parallélisme quantique.Le plus ‘ dérangeant ‘, c’est qu’il n’est pas possible d’avoir les 16 résultats. On ne peut en ‘ lire ‘ qu’un seul ! Pour prendre une
image, c’est un peu comme si on lançait simultanément quatre pièces de monnaie pour jouer à pile ou face : des 16 combinaisons possibles (symbolisables par un ‘ mot ‘ de type 0110 ou 1011), on n’on
obtiendrait qu’une seule. Et c’est là la principale différence pratique entre l’informatique binaire traditionnelle et l’informatique quantique : la première permet d’obtenir tous les résultats possibles en faisant autant de calculs qu’il y a
de combinaisons (en remplissant virtuellement un tableau), alors que la seconde réalise un seul ‘ calcul ‘ pour fournir le résultat recherché.Cette différence fondamentale induit des aptitudes bien distinctes. Car si l’ordinateur quantique ne présente aucun intérêt par rapport à l’ordinateur traditionnel pour les calculs classiques, il se montre sensiblement supérieur quand
il s’agit par exemple de factoriser des grands nombres. Il faut juste concevoir des algorithmes (des ‘ méthodes ‘ de calcul) qui utilisent ses propretés particulières. C’est donc une toute nouvelle
manière de traiter l’information qu’il faut imaginer (voir encadré ci-dessus). Si la théorie est assez complexe, la pratique pose des problèmes extrêmement délicats à surmonter, au point que les ordinateurs quantiques n’ont pas encore dépassé le
cadre d’expériences en laboratoire. Car pour ‘ représenter ‘ physiquement des Qbits, il faut travailler sur des éléments à l’échelle atomique, éléments dont l’état ou même l’existence sont parfois
fugitifs ! Les expériences réalisées jusqu’à aujourd’hui reposent essentiellement sur des photons polarisés et des molécules de dibromothiophène (composées d’atomes de carbone, d’hydrogène, de soufre et de brome). Qui sait si, demain, le PC
quantique ne sera pas basé sur un nuage de gaz ou un liquide dans un tube à essai ? En informatique, mieux vaut éviter les prédictions. En 1949, plusieurs scientifiques, qualifiés alors d’optimistes, avaient prédit que l’ordinateur des années
2000 serait composé de ‘ 1 000 tubes à vide et pèserait à peine une tonne et demi ‘. On connaît le résultat.

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Marc de Suzzoni